2015 | Déc
Dans le fonds des édits impériaux des Archives ottomanes du Premier Ministre à Istanbul, on trouve une carte manuscrite d’Athènes en couleurs. Elle est cataloguée sous le titre « Plan de la forteresse et de la ville d’Athènes » (Atinakalesiyle varoşunun krokisi) et constitue la seule carte ottomane de la ville que nous connaissions.
Elle mesure 141,5 sur 112 cm, mais elle est restée pliée pendant des années, si bien qu’il y des traces visibles d’humidité et d’altération des couleurs. Toutes les indications et les noms de la carte sont écrits en turc ottoman, y compris les inscriptions dans les deux cadres rectangulaires à droite et à gauche de la partie supérieure. L’auteur demeure inconnu.
Photographie 1: Orientation de la carte
La carte est orientée NE-SO et la zone cartographiée est la ville d’Athènes intra muros. Il s’agit de la muraille dite « mur de Haseki », voïvode d’Athènes entre 1774 et 1795. Ce mur fut construit par le travail obligatoire imposé à de nombreux Athéniens en 1778, en un court laps de temps (les chroniques parlent de 70 à 108 jours). Le cartographe a indiqué toutes les tours le long du mur, ainsi que six portes. Il vaut la peine de relever que, bien que les sources mentionnent toutes sortes de noms, en grec et en turc, pour chacune des sept portes des murailles d’Athènes (par exemple, la porte d’accès au rocher de l’Acropole portait le nom de Porte de la Forteresse, Porte des Monuments ou Porte de Karababa), le cartographe semble les ignorer complètement. Au contraire, les noms que l’on trouve sur la carte sont entièrement nouveaux, ce qui est du plus grand intérêt pour la topographie et la toponymie d’Athènes, et naturellement un élément important pour la relation du cartographe avec la ville.
Le réseau routier intra muros et à proximité des murailles est assez bien représenté, le mot tarik (route) apparaissant souvent à côté des traits épais indiquant les routes. Au sud-est, une ligne pointillée indique le cours de l’Ilissos, qui est ici dénommé Kuru Dere (Xiropotamos, Fleuve desséché). Le relief géographique est indiqué autour du rocher de l’Acropole, de la Pnyx et de la colline des Muses, dans la partie sud-ouest de la ville. Le cartographe a utilisé d’épaisses lignes noires pour dessiner les collines rocheuses qui abritaient de nombreuses installations militaires et des fortins.
Des groupes de points et de traitillés autour des murailles de la ville indiquent la végétation, tandis qu’à l’intérieur des murs, la carte devient plus précise, avec des dessins colorés de maisons avec toits et jardins. Toute la ville a été dessinée sans indication de perspective, suivant la tradition de la cartographie occidentale du milieu du 18e siècle, lorsque les plans de villes avec des rues soigneusement délimitées et des bâtiments en silhouette constituent le principal moyen de faire la promotion d’une ville. Sur la carte ottomane d’Athènes, nous voyons des toits, des jardins, des arbres et des arches, indiqués par des cercles et des rectangles. Il n’y a qu’une seule exception à cette manière de faire, pour les minarets, dessinés avec tous leurs détails architecturaux et dessinés exactement à côté des mosquées.
Photographie 2 : Zone centrale de la ville d’Athènes, aujourd’hui Plaka-Monastiraki
Alors que le contour des maisons est indiqué en noir, les bâtiments non destinés au logement, mentionnés comme mosquées, églises, bains, etc., sont indiqués en rouge. Plus spécifiquement, les bâtiments ottomans (mosquées et bains) sont esquissés en rouge, sans remplissage, tandis que les églises et les chapelles sont indiquées en rouge avec fonds gris. L’un des aspects les plus intéressants de cette carte est qu’elle ne donne pas les noms des bâtiments indiqués. Malgré des différences dans le détail des bâtiments dessinés selon qu’ils sont surmontés d’une voûte ou d’un simple toit, les églises sont toutes indiquées avec la mention monastère (manastır) et les mosquées par l’indication sainte mosquée (cami-i şerif).
Au centre de la carte, où est représentée l’Acropole, cette omission dans l’identification des bâtiments et l’indifférence pour les monuments architecturaux sont particulièrement notables : le rocher de l’Acropole est simplement dénommé « Forteresse d’Athènes ». Le plan du Parthénon est indiqué simplement, sans aucun souci du détail, tandis que son orientation est erronée (son axe a été retourné vers le nord-est-sud-ouest). Par ailleurs, la seule inscription qu’elle nous offre concerne le sanctuaire musulman construit à l’intérieur du Parthénon, lui non plus ne portant aucune dénomination particulière : ce n’est qu’une autre sainte mosquée.
Photographie 3 : Le rocher de l’Acropole
Sont indiquées sur le rocher de l’Acropole, outre le Parthénon, de nombreuses petites maisons, dont l’existence est attestée également par les textes et les dessins des voyageurs de l’époque. L’Acropole constituait un petit village, où les soldats de la garnison ottomane résidaient avec leurs familles.
Le dessinateur de cette carte a accordé plus d’importance aux bâtiments et structures pouvant présenter quelque intérêt militaire. Ainsi, toutes les citernes sont soigneusement indiquées, ainsi que les tours-dépôts de munitions, les fortins, les magasins souterrains et les portes. Nous avons également des indications sur des points présentant un intérêt militaire pour d’autres quartiers que l’Acropole : fortins avec canons, murs de protection avancée devant la porte de la forteresse, longues tranchées pour les fusiliers et de nombreuses autres infrastructures militaires analogues sur les collines de la Pnyx et de Philopappos.
Dans le coin supérieur droit de la carte se trouve un cadre rectangulaire avec un profil des fortifications de l’Acropole en brun et rouge, et l’indication de l’échelle. L’inscription mentionne qu’il s’agit du dessin de deux côtés de la Forteresse d’Athènes – celui des bastions du côté du mur d’enceinte et celui tourné vers la ville – ainsi que de ses fortifications, de la citerne et des pièces souterraines qui s’y trouvaient.
Photographie 4 : Dessin dans le coin supérieur droit – le rocher de l’Acropole et ses fortifications
L’inscription la plus importante de la carte est celle qui se trouve dans le coin supérieur gauche. Nous y lisons la description suivante : Il s’agit d’une «Carte de la Forteresse d’Athènes, avec la ville et les murailles qui la défendent, dont la conquête a été possible grâce à l’aide de Dieu Tout-Puissant ». Suit la date : 11 Zilkade de l’an 1242 de l’Hégire, soit le 6 juin 1827.
Athènes s’est rendue aux Ottomans et à leur chef Kütahi (Reşid Mehmed Paşa) le 25 mai 1827, après le second siège décisif qui eut lieu au cours de la Guerre d’Indépendance. Cette carte ottomane, purement militaire, a sans doute été dressée au cours du siège, en se basant peut-être sur d’autres cartes provenant de l’Occident, pour servir lors des combats et plus tard ; après la reddition, elle a été envoyée et offerte à Constantinople en signe de victoire.
Athènes, telle qu’elle est représentée, est une petite ville avec des maisons à toits de tuiles, des jardins verdoyants, un grand nombre d’églises, quelques bâtiments ottomans concentrés dans un petit rayon, une forteresse avec des fortifications imposantes et une muraille qui l’enferment complètement, mais dans laquelle s’ouvrent des portes vers l’intérieur des terres et vers le littoral.
*les photographies sont des détails de la carte
Référence de la notice
Stathi, K. (2015) Athènes sur la carte ottomane de 1827, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/la-carte-ottomane-de-1827/ , DOI: 10.17902/20971.34
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Κορρές Μ (2010) Οι πρώτοι Χάρτες της πόλεως των Αθηνών. Κορρές Μ (επιμ.), Αθήνα: Μέλισσα.
- Σκουζές Π (1948) Χρονικό της σκλαβωμένης Αθήνας στα χρόνια της τυραννίας του Χατζή Αλή γραμμένο στα 1841. Βαλέτας Γ (επιμ.), Αθήνα: Κολολού, Α.
- Bessan JF (1835) Souvenirs de l’expédition de Morée en 1828: suivis d’un mémoire historique sur Athènes, avec le plan de cette ville. 1st ed. Valognes: Gomont.
- Eyüpgiller KK (2004) Atina Akropolü’nde bir cami. Mimarlik Tarihi, Oct 100: 118–121.
- Stathi K (2014) The Carta Incognita of Ottoman Athens. In: Hadjianastasis M (ed.), Frontiers of the Ottoman Imagination, CHAP, Leiden, Boston: Brill, pp. 169–184.
Archival source
- BOA, HAT 946.40721