2016 | Sep
Les logements vacants sont un sujet qui revient souvent dans le discours public, tantôt comme indice de la richesse d’un pourcentage important des ménages grecs disposant de plus d’un logement, tantôt comme une ressource sociale qui reste inexploitée alors qu’elle pourrait contribuer à résoudre les problèmes de logement.
Le pourcentage beaucoup plus grand de la propriété propre dans les pays de l’Europe du Sud –en particulier en Espagne et en Grèce, où ce taux dépasse les 80%– est l’un des facteurs à l’origine de l’image selon laquelle les foyers allemands pauvres sont forcés d’aider les ménages riches des pays du Sud. Cette image résultait d’une lecture sélective des résultats d’une recherche de la Banque Centrale Européenne (BCE, 2013a et 2013b) telle qu’elle a été mise en avant surtout par des articles dans la presse spécialisée (Financial Times, 2013). Cette lecture sélective s’appuyait sur la comparaison de la fortune médiane et non de la fortune moyenne dans les pays du Sud-européen par rapport à l’Allemagne. Cela signifie que l’on comparait la valeur médiane –c’est-à-dire la valeur de la fortune qui se trouve par exemple à la 50e place sur 100 fortunes classées par ordre de grandeur– et non la valeur moyenne des 100 fortunes. Cette manière de faire occulte la dispersion beaucoup plus grande de la richesse en Allemagne par rapport aux pays du Sud (environ quatre fois plus grande) et conduit à la conclusion, erronée en réalité, qu’un pays avec des ménages pauvres porte le poids des fautes de l’eurozone.
On a déjà abondamment répondu à ces arguments (De Grauwe & Ji, 2013). Dans le présent article, nous nous concentrerons surtout sur le contenu réel du terme « logements vacants » à Athènes ; rappelons que le logement en propriété propre dans les pays du sud a une fonction sociale très différente –il concerne aussi une part importante des couches populaires– du fait que dans ces pays, les systèmes de logement social sont beaucoup moins développés en comparaison de ceux des pays de l’Europe de l’ouest et de l’Europe du nord.
La question fondamentale est de savoir dans quelle mesure les logements vacants à Athènes sont un indice de prospérité, dans le sens d’un parc immobilier important dont l’usage est occasionnel. Il y a par exemple des logements vacants en grande quantité aussi dans des villes comme Londres, où ils font surtout l’objet d’un investissement pour des ménages très riches sans qu’ils soient utilisés régulièrement. La deuxième question est de savoir dans quelle mesure ces logements vacants constituent la fortune des ménages grecs, et la troisième –sans doute la plus importante– si ces logements vacants peuvent être utilisés pour résoudre les problèmes de logement qui se sont aggravés au cours de la récession qui se prolonge. Nous tenterons de répondre à ces questions en établissant un modèle spatial des logements vacants, que nous avons pu établir à partir des données détaillées des recensements de l’Office hellénique de la statistique (ELSTAT).
La carte des logements vacants pour 1991 pour l’ensemble du pays (Maloutas, 2000 : 24-25) fait ressortir trois types de concentration différents (carte 1), qui correspondent à des formes différentes de logements vacants. La concentration la plus répandue concerne des logements dans des régions montagneuses du pays (en particulier dans le Pinde et dans les montagnes du Péloponnèse), soit, dans une large mesure, définitivement abandonnés par leurs occupants, soit utilisés uniquement comme maisons de vacances. Comme le recensement a été effectué en mars 1991, les maisons utilisées uniquement comme résidences de vacances ont été recensées comme logements vacants. Cette concentration est liée à l’urbanisation rapide de l’après-guerre, qui a conduit à l’abandon progressif des habitats plus éloignés et au déménagement dans des centres plus ou moins grands du pays. Dans ce sens, il est paradoxal que la carte des logements vacants reproduise en partie la carte physique du pays, les communautés de montagne présentant les plus forts pourcentages de logements vacants.
Carte 1: Pourcentage de logements vacants sur le nombre total de logements par municipalités et communes en Grèce (1991)
Source: Maloutas (2003)
Le deuxième type de concentrations de logements vacants regroupe les logements de vacances soit loués soit en propriété propre dans les régions touristiques du pays. Les concentrations les plus denses apparaissent dans les îles, en particulier dans les îles avec les plus grands flux touristiques. Une part importante de ces logements appartient à des étrangers.
Le troisième type de concentrations de logements vacants concerne les résidences secondaires destinées aux vacances mais aussi très souvent utilisées en raison de leur proximité aux grands centres urbains. Ce type est lié également à l’urbanisation de l’après-guerre et concerne la résidence de vacances dans les régions des grands centres urbains. Il est significatif que l’on trouve des logements vacants dans les communautés du littoral du département de l’Attique, des départements voisins et dans les départements de Salonique, Chalcidique et Piéria. Dans les années 90, les ménages athéniens disposaient de résidences de vacances dans une proportion de 15-20%; la plupart de ces résidences étaient des constructions neuves à faible distance de la ville (Maloutas, 1990). La propriété de résidence de vacance présentait une dispersion sociale importante, liée aux modalités d’acquisition, qui dans de nombreux cas, suivaient le même processus que la construction de logement –souvent sans permis de construire– dans les banlieues populaires.
La résidence de vacances périurbaine, en particulier autour des centres urbains les plus importants, a changé brutalement la physionomie des régions concernées, comme on le voit dans l’exemple du littoral d’Avlida (photo 1a et 1b). Peu à peu, les lieux de vacances les plus proches et les zones qui ont bénéficié de nouvelles infrastructures de communication ont commencé à se transformer, en partie du moins, en zone de résidence permanente. Le RER et les routes régionales à circulation rapide –à partir de l’axe central de l’Attiki Odos– ont joué un rôle décisif dans l’extension de ce phénomène (carte 3).
Photographies 1a et 1b : Photographies aériennes du littoral d’Avlida, dpt de l’Eubée (1969 et 1990)
Source: Service géographique de l’Armée
Cet aperçu général montre bien que la plus grande partie du parc de logements recensés comme vides ne se situe pas dans des régions où il pourrait être utilisé pour répondre aux besoins courants en logements, étant donné que ces besoins se rencontrent surtout dans des zones densément construites des grands centres urbains. Ce premier constat toutefois n’est que partiellement juste.
La cartographie des logements vacants en 2011 en Attique (carte 2) offre une image plus claire de leur emplacement et de leur utilisation potentielle.
Carte 2: Distribution du nombre de logements vacants en Attique par Unité d’Analyse Urbaine [1] (2011)
La carte 2 permet de voir que les grandes concentrations de logements vacants, en nombre absolu, se trouvent dans les zones côtières de l’Attique septentrionale et orientale, ainsi qu’à Salamine. Cette répartition correspond pleinement à des zones de résidence secondaire de vacances. Toutefois deux autres enclaves de logements vacants s’observent au centre d’Athènes et du Pirée.
Le tableau 1 confirme que les plus grands chiffres de logements vacants par rapport à la population se concentrent dans les régions périphériques, dans les îles et dans les zones côtières de l’Attique, où ces logements sont utilisés surtout comme résidences de vacances. Au contraire, les chiffres les plus bas se retrouvent dans des municipalités de la première zone suburbaine, dont la plupart sont habitées par des classes sociales moyennes et moyennes-élevées.
Tableau 1a : Les 15 municipalités présentant le taux le plus élevé de logements vacants pour 100 habitants en Attique (2011)
Tableau 1b : Les 10 municipalités présentant le taux le plus bas de logements vacants pour 100 habitants en Attique (2011)
Source: Panorama des recensements 1991-2011
En chiffres absolus, les logements vacants de l’Attique se montaient à 608 500 en 2011, en augmentation de 265 500 (77,3%) par rapport à 2001. La concentration –même en chiffres absolus– concerne surtout les zones en dehors du centre, puisque la municipalité d’Athènes concentrait 132 000 logements vacants et la municipalité du Pirée 27 300 soit 21,7% et 4,5% respectivement de l’ensemble de l’Attique. Ces taux sont légèrement plus élevés que leur poids démographique spécifique (17,3% pour la municipalité d’Athènes et 4,3% pour la municipalité du Pirée).
Carte 3 : Évolution du nombre de logements vacants en Attique par UnAnU (2001-2011) [1]
La carte 3 montre que certaines régions périphériques de l’Attique (côte orientale et diverses zones en Mésogée, dans la région d’Oropos, Vari, Salamine) présentent une diminution du nombre de logements vacants par rapport à 2001. Cela est peut-être dû à l’augmentation du taux de résidence principale, dans certaines de ces régions au moins, du fait de l’utilisation d’anciennes résidences secondaires recensées précédemment comme vacantes. Cette interprétation est corroborée par la mise en place de nouvelles infrastructures de communication importantes, en particulier l’Attiki Odos. Cette variation peut toutefois être due aussi au fait que le recensement de 2011 a eu lieu en mai –au lieu du mois de mars– ce qui peut faire varier de façon importante le taux des logements de vacances vacants dans des régions comme Salamine. La carte 3 montre également des augmentations importantes du nombre des logements vacants aussi bien dans des zones périphériques que dans des zones centrales, tandis que, comme on le voit à partir de la carte 4 et du tableau 2, le rythme d’augmentation des logements vacants au cours des années 2000 a été significativement plus grand dans les zones centrales de la ville.
Carte 4 : Les municipalités de l’Attique selon l’augmentation du taux de logements vacants pour la période 2001-2011
Tableau 2a : Les 15 municipalités avec la plus forte augmentation de logements vacants en Attique (2001-2011)
Tableau 2b : Les 10 municipalités avec la plus faible augmentation de logements vacants en Attique (2001-2011)
Source: Panorama des Recensements 1991-2011
Le tableau 2 montre que la dynamique d’augmentation des logements vacants pour les années 2000 ne provient pas de régions où se concentrent traditionnellement un grand nombre de logements vacants, c’est-à-dire des zones plus périphériques et côtières du département. Les 10 municipalités présentant la plus faible augmentation appartiennent précisément à cette catégorie.
L’augmentation au contraire se voit surtout dans les zones densément construites de la métropole qui englobent les deux grands centres, mais aussi dans des zones directement voisines, comme Zografou, Kallithea, Galatsi et Vyronas pour Athènes, et Nikea, Korydallos, Perama et Keratsini pour le Pirée.
À partir de la composition des deux groupes de zones du tableau 2, on peut émettre l’hypothèse que la grande augmentation du nombre de logements vacants de la période 2001-2011 n’est pas univoque quant aux raisons qui l’ont provoquée. Parallèlement, la carte 5 –où l’on prend en compte pour le calcul, outre l’évolution des logements vacants par unité spatiale, la proximité d’unités ayant la même tendance au changement– montre un clivage net entre un centre et un secteur périphérique, qui fait ressortir l’importance des réseaux et des infrastructures de communication, comme l’Attiki Odos et le RER.
- Les municipalités du centre et proches du centre enregistrent une augmentation importante de logements vacants en raison du déplacement général de la population vers les banlieues, des stratégies familiales pour limiter les frais de logement –déménagement dans des logements plus petits ou cohabitation– mais aussi du fait que la demande en logements dans les zones densément construites du centre est limitée en raison du fait que ces quartiers sont mal considérés, ou à cause des possibilités d’achat limitées de ceux qui seraient disposés à y habiter.
- Dans les banlieues chères (Philothéï-Psychiko, Papagou-Cholargos et Paleo Faliro) l’augmentation forte peut-être attribuée aussi bien à l’abandon de certains logements dû à la crise qu’à la capacité plus grande des propriétaires de faire face à un loyer plus bas ou à la vente de leurs propriétés à des prix beaucoup plus bas par rapport au propriétaire immobilier moyen de la ville.
Carte 5: Indice d’autocorrélation spatiale. Évolution du nombre de logements vacants (2001-2011)
L’autocorrélation spatiale renvoie au degré de corrélation entre paires de valeurs d’une variable et à leur distance (géographique) entre elles. La logique du test s’appuie sur la comparaison de la valeur –de la variable à vérifier– de chaque unité spatiale avec la distribution des valeurs des unités spatiales voisines.
Une autocorrélation positive, ce qui est le cas le plus fréquent, indique que des valeurs égales (similaires) de la variable à vérifier tendent à se regrouper spatialement. La concentration des valeurs qui se trouvent au sommet de la distribution {groupe de valeurs élevées [HH-(High–High)]}, de même que la concentration des valeurs dans la partie inférieure de la distribution {groupe de valeurs basses [LL-(Low–Low)]} sont très fortes. Une autocorrélation négative indique la proximité d’unités spatiales avec des valeurs (in)égales, ce qui signifie la présence d’unités spatiales isolées soit avec des valeurs hautes dans des zones où prédominent des valeurs basses {enclave de valeurs hautes [HL-(High–Low)}, soit inversement, d’unités spatiales avec des valeurs relativement basses entourées de zones à valeurs hautes {enclave de valeurs basses [LH-(Low–High)}. Enfin, l’absence d’autocorrélation spatiale signifie qu’il n’y a pas de relation évidente entre proximité spatiale et distribution des valeurs de la variable. |
En guise de conclusion, on peut affirmer que malgré le fait que la plupart des logements vacants que l’on trouve en Attique sont des résidences secondaires dans les zones côtières, l’augmentation de leur nombre dans les années 2001-2011 est particulièrement importante et se concentre dans les zones centrales densément construites d’Athènes et du Pirée. Les logements vacants dans ces zones –qui ont été affectées de façon disproportionnée par la crise en raison de leur population socialement plus vulnérable, mais aussi à cause de la tendance constante des classes moyennes et moyennes-élevées à les abandonner– constituent une ressource importante qui ne doit pas être négligée lorsque l’on recherche des politiques de réhabilitation des zones centrales ciblées sur l’aide à leurs populations.
[1] UnAnU = Unités d’Analyse Urbaine. Elles correspondent au niveau des Secteurs de recensement de ELSTAT, à la différence près que l’on a intégré aux UnAnUr les petits Secteurs de recensement, de telle sorte qu’il n’y ait pas d’UnAnUr avec une population inférieure à 900 habitants. Ces fusions ont été opérées pour éviter des problèmes de fiabilité. L’Attique est divisée en 3000 UnAnUr, d’une population moyenne de 1250 personnes.
Référence de la notice
Maloutas, Th, Spyrellis, S. (2016) Logements vacants, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/logements-vacants/ , DOI: 10.17902/20971.63
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Μαλούτας Θ (1990) Αθήνα, κατοικία, οικογένεια. Ανάλυση των μεταπολεμικών πρακτικών στέγασης. Αθήνα: ΕΚΚΕ, Εξάντας.
- Μαλούτας Θ (2000) Αστικοποίηση και κενές κατοικίες. Στο: Μαλούτας Θ (επιμ.), Κοινωνικός και Οικονομικός Άτλας της Ελλάδας. Οι πόλεις, Αθήνα, Βόλος: Εθνικό Κέντρο Κοινωνικών Ερευνών, Gutenberg, Γιώργος & Κώστας Δαρδανός, Πανεπιστημιακές Εκδόσεις Θεσσαλίας, σσ 24–25.
- De Grauwe P and Ji Y (2013) Are Germans really poorer than Spaniards, Italians and Greeks? Vox. Available from: http://voxeu.org/article/are-germans-really-poorer-spaniards-italians-and-greeks.
- Maloutas T (2003) Les habitations vacantes. In: Sivignon M, Deslondes O, and Maloutas T (eds), Atlas de la Grèce, Paris: CNRS – Libergéo – La Documentation Française, pp. 70–71.
- The Eurosystem Household Finance and Consumption Network (2013) Statistical Tables to the Eurosystem Household Finance and Consumption Survey. Frankfurt. Available from: http://www.ecb.europa.eu/home/pdf/research/HFCS_Statistical_Tables_Wave1.pdf?93617b19d03b9491c9e7adde682e7688.
- The Eurosystem Household Finance and Consumption Network (2013) The Eurosystem Household Finance and Consumption Survey-Results from the First Wave. Frankfurt.
- Wilson J (2013) Poor Germans tire of bailing out Eurozone. Financial Times, Frankfurt, 22nd March. Available from: https://www.ft.com/content/2f89e5ee-930a-11e2-9593-00144feabdc0.