Le parc immobilier du centre d’Athènes
Triantafyllopoulos Nikos
Cadre Bâti, Logement, Politique, Économie
2015 | Déc
Lors des quarante premières années environ qui ont suivi la guerre, le centre d’Athènes a fleuri, s’est densifié, a changé esthétiquement et fonctionnellement, mais a toujours constitué le nombril de la vie économique et culturelle de la métropole. Son apogée a été suivie d’une période de déclin, particulièrement intense lors des trente dernières années environ. La densité élevée du centre combinée à l’augmentation de la circulation automobile et au manque de réseaux de transports en commun efficaces, en particulier avant la construction du métro, ainsi que la dégradation accélérée de l’environnement ont créé des conditions favorables à l’exode de la population et au départ de nombreuses activités. La prospérité économique en augmentation constante et l’adoption de nouveaux modes de vie et de nouveaux modèles de consommation ont poussé une partie de la population d’Athènes à chercher de nouvelles scènes à la périphérie de la ville, où se déroulerait désormais le théâtre de leur vie quotidienne, et qui exprimeraient mieux les nouvelles valeurs et les nouveaux modèles de société. L’extension inévitable, mais peut-être excessive et anarchique de l’agglomération urbaine s’est accompagnée de la création de marchés et de centres commerciaux périphériques, qui ont affaibli le centre commercial traditionnel d’Athènes. La population d’Athènes, fraîchement embourgeoisée, n’avait pas de mémoire ni de valeurs collectives, ou de conscience d’une culture urbaine, et très vraisemblablement n’était pas à même de maintenir un dialogue actif avec le passé de la ville. Il n’y eut probablement jamais de forte demande sociale pour que l’État entreprenne des actions pour renverser le cours de la dégradation du centre d’Athènes.
Les droits de mise en valeur immobilière qui avaient été attribués à la propriété foncière durant la période de fort développement du centre-ville ont favorisé son exploitation intensive et la production de rentes foncières élevées. Notamment grâce à la méthode contestée de la contreprestation, on a donné une certaine solution au problème de logement d’une population en augmentation rapide, et des activités qui s’y développaient. À la place des anciens bâtiments, peu élevés, on a construit peu à peu des immeubles neufs, ultramodernes pour l’époque, à plusieurs étages, qui exploitaient l’espace privé au maximum, aussi bien horizontalement que verticalement. On a élevé des immeubles locatifs ultramodernes pour l’époque et des immeubles de bureaux et de magasins de luxe, qui par rapport au passé pouvaient recevoir deux fois plus d’habitants ou d’activités. On a ainsi créé un parc immobilier constitué de cellules très fréquentées, qui communiquent souvent entre elles par des galeries attrayantes débouchant sur l’espace public. Souvent élégants, mais habituellement imposants, certains de ces bâtiments constituent aujourd’hui une partie de l’héritage architectural de la ville, quand bien même ils n’ont pas été classés, au même titre – quasiment de droit – que certains bâtiments plus anciens ayant survécu à la période de la contreprestation.
La situation du parc immobilier du centre d’Athènes est aujourd’hui particulièrement problématique, comme l’indiquent les résultats de recherches récentes effectuées par le département d’Ingénierie urbanistique et Développement régional de l’université de Thessalie sur une large partie du centre comprenant 1650 bâtiments, résultats que nous présentons ci-après.
Densités élevées et parc immobilier dévalorisé
Le parc immobilier au centre d’Athènes peut être considéré aujourd’hui comme dévalorisé. Plus de la moitié des bâtiments (55%) dans toute la zone étudiée ont été construits il y a plus de cinquante ans, tandis que 20% environ d’entre eux sont bien plus vieux. Entre 1970 et 1990, on a construit 15% des bâtiments, tandis que très peu de bâtiments (environ 7% du total) ont été construits entre 1990 et aujourd’hui (carte 1). Toutefois, la vétusté du parc immobilier ne serait pas un problème pour la ville si ces bâtiments étaient suffisamment bien entretenus et répondaient aux besoins de leurs usagers modernes, et si certains d’entre eux offraient quelque élégance architecturale. L’ensemble des bâtiments quasiment a besoin aujourd’hui d’interventions coûteuses pour réparer, moderniser et améliorer leur rendement énergétique (carte 2). Pour plus de 60% des bâtiments, le coût des réparations et de la modernisation dépasse leur valeur marchande actuelle (2015.
Carte 1 : Période de construction des bâtiments (estimation)
Source des données : Recherche sur le terrain de l’auteur, Q3 2013
Carte 2 : Exploitation du coefficient de construction
Source des données : recherche de l’auteur pour les superficies bâties Q3 2013, informations sur les propriétés provenant du Cadastre, Plan d’urbanisme général de la municipalité d’Athènes. Traitement des données par l’auteur.
La carte représente les bâtiments dont la superficie bâtie dépasse ou est en dessous des possibilités de construction autorisées sur la base des coefficients de construction en vigueur aujourd’hui, après leur réduction au cours des dernières décennies.
Les différentes nuances de rouge indiquent l’intensité du dépassement du coefficient de construction actuel. En vert, les possibilités de construction restantes. |
L’ensemble quasiment des terrains a été bâti avec des coefficients de construction élevés. L’adoption de coefficients réduits au cours des trois dernières décennies environ a eu des résultats plutôt limités (carte 3, combinée avec la carte 1). Le dépassement important de la superficie bâtie de nombreux bâtiments par rapport aux coefficients actuellement en vigueur, rend inapplicables voire utopiques les propositions de démolir certains bâtiments pour en bâtir de nouveaux ou pour créer des espaces communs non bâtis. C’est le cas si l’on ne tient pas suffisamment compte du montant des indemnités de l’immobilier privé, dans des conditions de manque quasi absolu de ressources financières, ou de l’inefficacité des mécanismes économiques et urbanistiques, comme le transfert du coefficient de construction. Même si les constructions de grande superficie et la densité des pâtés de maison rendent plutôt difficiles d’appliquer les principes de la planification bioclimatique dans les cas de rénovation et de modernisation des anciens bâtiments, la densité élevée de la ville pourrait dans le même temps sans doute constituer l’un de ses avantages, au moins en ce qui concerne l’économie d’énergie, à certaines conditions.
Carte 3: Coût de rénovation et de modernisation du parc immobilier
Source des données : recherche de l’auteur – visites sur le terrain, Q3 2013. Traitement des données par l’auteur.
La carte représente le coût de rénovation à neuf du parc immobilier plus le coût de réhabilitation énergétique, sans autres interventions intérieures ou extérieures.
Les données concernant l’état de chaque bâtiment ont été récoltées sur place. Le traitement des données a été fait à l’aide d’un algorithme évolué. |
Pourcentages élevés de propriétés vides et forte dispersion sociale de la propriété
Dans les années de la crise, on relève un nombre très élevé de propriétés vides, aussi bien des magasins en rez-de-chaussée (Carte 4), que des locaux en tous genres aux étages des bâtiments (carte 5). Le pourcentage de locaux inoccupés atteint dans certains quartiers du centre-ville 40% de la superficie bâtie totale des magasins et environ 37% pour les locaux des étages ; 18% des bâtiments sont entièrement vides, dont plusieurs sont classés. Ces pourcentages particulièrement élevés de locaux inoccupés sont la manifestation la plus caractéristique de la crise généralisée que traverse la ville. Au delà de la dégradation de l’image de la ville, ce sont les fonctions sociales et économiques de la ville qui sont gravement touchées.
Carte 4 : Magasins vides au rez-de-chaussée
Source des données : recherche et traitement de l’auteur, Q3 2013
La carte illustre le pourcentage de la superficie des locaux commerciaux vides aux rez-de-chaussée de chaque bâtiment, sur le total de la superficie de leur rez-de-chaussée. |
Carte 5 : Appartements vides des étages
Source des données : recherche et traitement de l’auteur, Q3 2013
La carte représente le pourcentage de la superficie des espaces vacants de chaque bâtiment sur l’ensemble de la superficie, sauf rez-de-chaussée et sous-sols. |
Deux des caractéristiques structurales principales du régime de propriété des bâtiments existants dans la zone du centre d’Athènes sont la petite propriété et la multipropriété. Ces caractéristiques sont dues d’abord à la propriété morcelée de la terre, puisque plus de 80% des terrains ont une superficie inférieure à 500 m2. Sur ces petits terrains, on a construit des bâtiments avec des taux élevés de copropriété. Sur l’ensemble des 1650 bâtiments étudiés, la moyenne des copropriétaires se monte à 32, selon les résultats du traitement des données primaires fournies par le cadastre. Environ 50% des bâtiments appartiennent à plus de 75 propriétaires. On a même relevé plusieurs bâtiments, d’une superficie importante, avec plus de 300 copropriétaires. La multipropriété est plus répandue dans les immeubles de bureaux, et a contribué sans conteste à leur dégradation, surtout du fait des difficultés de gestion et d’entretien.
Les pourcentages élevés de copropriétés et la petite propriété indiquent la présence limitée du grand capital au centre d’Athènes et attestent de la dispersion sociale forte de la propriété. Par conséquent, la dégradation et la dévalorisation du parc immobilier, combinées à la crise économique, constituent désormais un phénomène aux retombées sociales importantes, puisque c’est le patrimoine d’un grand nombre de petits propriétaires qui s’en trouve dévalorisé, pour qui investir leurs économies dans l’immobilier du centre-ville constituait par le passé un choix important pour le cours de leur vie.
Synergies négatives
Les bâtiments du centre d’Athènes sont dans leur grande majorité dans un mauvais état d’entretien, consomment beaucoup d’énergie, avec des pourcentages élevés de locaux vides, et servent à des usages offrant une valeur ajoutée très faible pour un centre métropolitain. Les structures vieillies et dévalorisées des bâtiments ne peuvent plus abriter les fonctions centrales qui se concentrent généralement au centre d’une métropole moderne. En raison du coût élevé des travaux de rénovation et de modernisation, du taux élevé de copropriété et des loyers bas, ils continuent de se dévaloriser, et sont peu à peu abandonnés. L’ampleur du problème des bâtiments abandonnés a généré un cercle vicieux : l’environnement urbain se dégrade en raison des bâtiments abandonnés, et les bâtiments sont abandonnés en raison de la dégradation de l’environnement urbain. Le phénomène s’étend peu à peu à l’ensemble de la ville, avec des conséquences économiques et sociales multiples. La présente crise économique profonde et durable n’est pas seule responsable de ce phénomène : ce sont surtout les insuffisances de l’État dans la planification et la gestion de l’espace qui en sont la cause. De plus, le cadre institutionnel en vigueur rend quasi impossible toute intervention sur des multipropriétés.
L’ensemble quasiment des biens immobiliers vides en propriété propre, et particulièrement les propriétés par étages vides à l’intérieur de bâtiments abandonnés ou à demi abandonnés, se trouve aujourd’hui dans la situation extrêmement défavorable de devoir payer des impôts élevés sans perspective réelle de réutilisation ou de vente. La réhabilitation de propriétés par étages isolées n’y ajouterait aucune valeur ajoutée, pas plus qu’à l’ensemble du bâtiment, que ce soit en termes de marché ou en termes d’esthétique ou de fonctionnalité, quand les espaces communs et leurs installations sont vieillis, en particulier dans les conditions prédominantes de grande offre immobilière sans aucune demande quasiment.
Le parc immobilier du centre, notamment dans la dernière décennie, s’est retrouvé progressivement exclus des processus qui soutiennent la croissance économique et le développement socio-économique. Une immense richesse se perd de façon continue depuis des décennies, avec des répercussions économiques et sociales incalculables, étant donné la dispersion extrêmement élevée de la propriété dans la population Pour le système financier, le parc immobilier du centre-ville ne fait plus l’objet d’un intérêt sérieux, non seulement en raison de sa faible valeur marchande, mais surtout en raison du danger entrepreneurial élevé qu’il y aurait à financer des investissements dans ce secteur. L’impossibilité d’exploiter ces biens immobiliers comme garantie réelle pour obtenir un prêt, prive le marché de ressources précieuses pour financer des activités productives. Étant donné la dégradation de l’environnement urbain et la crise économique, chaque tentative de moderniser l’écrasante majorité des bâtiments est non rentable en termes de marché, et donc impossible de fait, comme l’ont montré un nombre important d’études d’opportunité pour la rénovation de bâtiments effectuées dans le cadre des programmes de recherche de l’université de Thessalie. Les éléments ci-dessus expliquent dans une large mesure le manque complet de mobilité du marché immobilier au centre-ville, que ce soit pour les propriétés par étages ou pour des bâtiments autonomes de promotion.
Cette situation défavorable semble extrêmement difficile à améliorer sans des politiques et des mesures politiques fortes, aussi bien pour améliorer l’espace public que pour réhabiliter le parc immobilier. Sinon, et ce, même une fois que la crise économique sera passée, selon toute vraisemblance et comme par le passé, les utilisateurs potentiels du centre-ville seront contraints de rechercher des emplacements décentrés pour s’installer. Étant donné la large dispersion sociale de la propriété, la question principale qui se pose n’est peut-être pas la question difficile à circonscrire de la gentrification probable de certains secteurs de la ville, mais celle de la justice sociale que l’État doit à des hommes qui ont investi pendant des décennies le fruit de leur labeur au centre-ville, et ont été contraints d’abandonner leurs foyers et de mettre un terme à leurs activités du fait de la dégradation du centre-ville.
Référence de la notice
Triantafyllopoulos, N. (2015) Le parc immobilier du centre d’Athènes, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/marche-de-limmobilier/ , DOI: 10.17902/20971.21
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
References
- Ευρωπαϊκή Οικονομική και Κοινωνική Επιτροπή (2010) Αναγκαιότητα εφαρμογής μιας ολοκληρωμένης προσέγγισης στην αστική ανάπλαση. Βρυξέλλες.
- Πανεπιστήμιο Θεσσαλίας Τμήμα Μηχανικών Χωροταξίας Πολεοδομίας και Περιφερειακής Ανάπτυξης (2014) Διερεύνηση και πρόταση θεσμοθέτησης μηχανισμών και κινήτρων για την αναβάθμιση του κτηριακού αποθέματος στην ευρύτερη περιοχή ανάπλασης της οδού Πανεπιστημίου. Αθήνα.
- Πανεπιστήμιο Θεσσαλίας Τμήμα Μηχανικών Χωροταξίας Πολεοδομίας και Περιφερειακής Ανάπτυξης (2014) Διερεύνηση ολοκληρωμένης αστικής παρέμβασης στο κέντρο της Αθήνας. Αθήνα. Available from: http://www.ypeka.gr/LinkClick.aspx?fileticket=cwreF0yvjYc=&tabid=37&language=el-GR.