Espace public et mouvements de la ville : champ, contenu et pratiques
2015 | Déc
Le problème du manque d’espaces publics et surtout d’espaces verts n’est pas nouveau. Les problèmes bien connus de l’urbanisme athénien et du mode de développement de la ville n’ont pas permis de créer une ville « spacieuse ». Les résultats sont extrêmement négatifs pour la qualité de la vie et l’environnement urbain. En 1997, Athènes disposait de 2,5 m2 environ d’espaces verts par habitant contre 7 m2 en moyenne pour les villes européennes (Gianniris 2013). La question a fait la une et est devenue politique grâce à l’action de dizaines d’organisations et de collectifs de la ville seulement depuis une vingtaine d’années. Dans cette période, quasiment l’ensemble des espaces publics ou non construits de la ville fut menacé, puisque ces espaces avaient été intégrés dans des projets de « mise en valeur » par divers organismes publics et privés.
Il y eut toutefois des actions collectives pour défendre le caractère public, la réhabilitation de l’environnement urbain et la création d’espaces communs, qui ont connu plusieurs succès. Sur la carte (en préparation) nous avons représenté 154 quartiers où les espaces publics ou non bâtis ont été au centre du développement d’actions collectives diverses au cours des 15 dernières années. Les mouvements de la ville ont privilégié les valeurs d’usage sur la valeur marchande, l’importance de la qualité de la vie sur un développement non durable et ont été d’une certaine manière des combats pour le « droit à la ville ». Les Jeux Olympiques de 2004 et la gestion courante de la crise ont été deux points importants pour l’évolution des actions des mouvements de la ville.
Les mobilisations pour la protection et la revendication d’espaces publics sont passées par différentes phases liées d’une part à la constitution, à l’action, au réseautage, aux demandes et aux pratiques des mouvements de la ville eux-mêmes, d’autre part à l’environnement politique à l’intérieur duquel se développe chaque action. Nous pourrions distinguer quatre phases de développement des mouvements de la ville pour les espaces publics :
i. la première phase qui dure jusqu’au milieu des années 90
ii. la phase de structuration du mouvement pour faire face aux conséquences du rétrécissement des espaces publics de la ville en raison des travaux liés aux Jeux Olympiques
iii. la phase de renouveau et d’enrichissement du mouvement, aussi bien par l’entrée en jeu de nouveaux collectifs que par l’élargissement du répertoire d’actions, et
iv. la période des mémorandums au cours de laquelle d’une part, les politiques de commercialisation des espaces publics s’intensifient, d’autre part l’action des mouvements diminue.
Dans la première phase de développement des mouvements de la ville, nous voyons se développer des actions en différents points de la ville qui ont généralement le caractère d’une réaction contre des projets de privatisation des espaces publics et de gros investissements, ou qui visent à protéger certains espaces, sans qu’il y ait toutefois une volonté d’unifier les combats et de développer un réseautage et une coordination. Ces combats ont donc un caractère fragmentaire et épars.
Depuis le milieu des années 90 et après l’obtention des J.O. de 2004, les choses changent radicalement. Les Jeux Olympiques ont donné à l’État l’occasion de violer encore plus largement toutes les règles et mesures qui protégeaient les espaces publics (Τότσικας 2004). Cela a conduit les organisations et groupes locaux à prendre conscience que la protection des espaces publics n’était pas un problème de quartier, mais un problème qui concernait l’ensemble de la ville ; on a alors commencé à créer des réseaux et des outils pour coordonner les mouvements et développer des actions communes. Les organisations qui se mobilisent sont aussi bien des organisations informelles (comités ou initiatives d’habitants) que des associations constituées en bonne et due forme. Les membres des organisations –surtout ceux qui sont chargés de l’organisation– ont souvent un niveau de formation supérieure et très souvent une excellente connaissance des problèmes de la ville (Καβουλάκος 2009). Leurs demandes concernent surtout la protection des espaces publics et des espaces non bâtis existants, plutôt que la création de nouveaux espaces. La fréquence des actions collectives augmentent peu à peu, pour culminer en 2003 –un an avant les J.O. Les actions les plus fréquences consistent en rassemblements de protestations, en assemblées populaires, défilés et prises de parole publiques. L’efficacité de ces actions a été grandement améliorée par les recours au Conseil d’État (CdE), qui avait établi une jurisprudence relativement favorable (Καβουλάκος 2013). À la fin de cette période, outre le sauvetage de plusieurs espaces publics ou espaces non bâtis, les mouvements de la ville avaient réussi à élargir leur impact politique. Lors des élections municipales de 2006, la question des espaces non bâtis occupe une place importante dans les programmes de nombreux candidats, tandis qu’en Attique, sont élus plusieurs maires ayant adopté les positions des mouvements (Gianniris 2013).
Peu à peu, après les Jeux Olympiques, de nouveaux groupes ou collectifs commencent à organiser des actions pour les espaces publics et à élargir le champ de leurs actions par de nouvelles dynamiques, par des formes créatives, comme l’occupation et l’autogestion d’espaces publics (Petropoulou 2010). La plupart de ces nouveaux groupes et collectifs sont issus de la mouvance libertaire/libertarienne. Il s’agit de groupes informels qui fonctionnent au niveau du quartier, souvent autour d’un lieu de rencontre où l’on développe de multiples actions politiques, sociales et culturelles, avec un réseautage informel et très lâche entre eux. Leurs membres sont principalement des jeunes. Ces groupes choisissent le plus souvent des formes d’action non conventionnelles. Les affrontements avec les forces de l’ordre deviennent un peu plus fréquents, tandis que les occupations et la création d’espaces publics autogérés constituent des actions qui changent, hic et nunc, la forme de la ville et la vie dans la cité, sans l’intervention du gouvernement local ou central.
La crise et la politique des mémorandums ont modifié la situation. D’un côté, la crise est vue comme une occasion pour les élites politiques et les entrepreneurs. Sous le prétexte du besoin urgent d’investissements privés, la parole des mouvements se voit privée de légitimité et la privatisation des espaces publics est présentée comme un moyen de faire face à la récession et au chômage. D’un autre côté, on assiste à une réduction importante de l’action des mouvements pour les espaces publics (Gianniris 2013), réduction que l’on peut dans une certaine mesure attribuer au fait que les organisations des mouvements de la ville se sont tournées vers des actions visant à faire face à la crise, comme la création et la gestion d’espaces alternatifs : pharmacies et épiceries sociales, banque du temps, espaces éducatifs sociaux, cuisines collectives, actions sans intermédiaires, etc. En même temps, le réseautage des organisations qui s’en occupent s’est interrompu, tandis que se renforçait le rôle du parti SYRIZA, qui au cours de la crise, a élargi sa base électorale et qui de parti d’opposition est devenu partenaire principal de la coalition gouvernementale.
Référence de la notice
Kavoulakos, K. I. (2015) Espace public et mouvements de la ville : champ, contenu et pratiques, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/mouvements-urbains/ , DOI: 10.17902/20971.5
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Καβουλάκος Κ-Ι (2013) Κινήματα και δημόσιοι χώροι στην Αθήνα: χώροι ελευθερίας, χώροι δημοκρατίας, χώροι κυριαρχίας. Στο: Κανδύλης Γ, Μαλούτας Θ, Πέτρου Μ, κ.ά. (επιμ.), Το κέντρο της Αθήνας ως πολιτικό διακύβευμα, Αθήνα: ΕΚΚΕ, σσ 237–256.
- Καβουλάκος Κ-Ι (2009) Προστασία και διεκδίκηση δημόσιων χώρων: Ένα κίνημα της πόλης στην Αθήνα του 21ου αιώνα. Στο: Εμμανουήλ Δ, Ζακοπούλου Έ, Καυτατζόγλου Ρ, κ.ά. (επιμ.), Κοινωνικοί και Χωρικοί Μετασχηματισμοί στην Αθήνα του 21ου Αιώνα, Αθήνα: ΕΚΚΕ, σσ 387–426.
- Τότσικας Π (2004) Η άλλη όψη της Ολυμπιάδας 2004. Αθήνα: ΚΨΜ.
- Gianniris E (2013) Rethinking the local and horizontal characteristics of the green and open space city movements in Athens. Facts and perspectives for a regional radical think network. In: Mataroa Summer Seminar: Against Crisis, for the Commons, Ikaria.
- Petropoulou C (2010) From the December Youth Uprising to the rebirth of urban social movements: a space–time approach. International Journal of Urban and Regional Research, Wiley Online Library 34(1): 217–224.