Guérilla potagère en ville : le Champ autogéré d’Elliniko
Anthopoulou Theodosia|Kolokouris Orestis|Kousoulenti Chrysa
Quartiers, Économie Sociale
2015 | Déc
Au début des années 70, Liz Christy et un groupe de « guérilléros verts », constatant la dégradation régulière de la ville, décident de semer des graines dans des terrains vagues, de placer des jardinières dans des bâtiments abandonnés et de planter des tournesols dans les rues passantes de New York. Au carrefour des rues Bowery et Houston à Manhattan, un grand terrain vague fut converti en Potager communautaire, le premier de l’histoire de la guérilla verte, le Bowery Houston Community Farm and Garden (http://www.lizchristygarden.us/). Aujourd’hui plus de 600 potagers communautaires (Community Gardens) à New York, et un gigantesque mouvement de citoyens actifs à travers le monde, rassemblent des résidents-cultivateurs qui revendiquent la (ré)appropriation de la terre et des espaces communs de la ville, considérant que l’action collective peut résoudre les problèmes des quartiers et des villes (www.greenguerillas.org).
La guérilla potagère (guerrilla gardening) repose sur les concepts de dépassement, d’activisme et d’intervention spatiale. Des groupes de citoyens, agissant spontanément, de façon anonyme et bénévole, ensemencent et plantent des espaces libres de la ville laissés à l’abandon (terrains vagues, plates-bandes et parterres d’arbres négligés sur les trottoirs), sans aucune autorisation officielle, dans le cadre d’une critique plus large du système capitaliste bourgeois (Crane 2011). C’est l’époque où dans l’esprit de contestation du mode de vie urbain, tel qu’il s’exprime dans les émeutes de masse et les mouvements de citoyens (Mai-68, émeutes estudiantines, mouvements pacifistes et antiracistes, mouvement écologiste, etc.), s’élaborent une idéologie et une culture différentes à propos du paysage urbain, des droits sociaux, du communautarisme, des risques alimentaires de l’agriculture industrialisée et de la demande de « nourriture propre », etc. La guérilla potagère s’inscrit dans les mouvements urbains qui défendent les espaces publics et le droit à la ville, en contestant les modes de production et de reproduction dominants de l’espace urbain, et en réclamant de participer à la planification (Zanneti 2010, Eizenberg 2013).
Dans sa forme la plus radicale, en tant qu’action militante agissant en dehors de tout cadre institutionnel, voire de tout cadre légal (p. ex. occupations des espaces libres), il présente un profil nettement politique, avec des demandes qui concernent directement la question du pouvoir institutionnel et de la gouvernance urbaine dans le cadre de l’utilisation des terrains publics. Il promeut l’auto-organisation, les procédures de démocratie directe, l’égalité et la participation active pour revendiquer et gérer en commun l’espace public via l’éco-activisme et la création de jardins communautaires. Alors que les mass-médias s’intéressent très tard au mouvement de guérilla potagère – en s’y référant comme à une intervention esthétique novatrice sur l’environnement urbain – la presse alternative, les sites web et les réseaux sociaux constituent les principaux canaux qui rassemblent, informent et multiplient les mouvements de guérilla potagère à travers le monde (Tracey 2007).
En Grèce, le blog des groupes de jardins urbains « Syn-kalliergoume » (Cultivons ensemble), déclare que « plus il y a de telles initiatives de jardins collectifs autogérés et cultivés de façon écologique, plus intense est l’exigence d’une autre mode de vie : de la dépendance au système socio-économique actuel à l’autogestion, de la consommation passive à la production, de l’isolement individuel au groupe. Tous ensemble nous donnons des exemples, petits, mais concrets, d’une autre ville. Nous nous rebellons, lançant des bombes vertes dans le paysage de ciment stérile ».
Le « Champ autogéré d’Elliniko » est un collectif autonome de citoyens fondé au début 2011. Depuis, il cultive une surface de 2500 m2 sur emplacement de l’ancienne base américaine d’Elliniko, en essayant de répondre à la crise sociale, économique et environnementale qui frappe la société. Les objectifs de ce champ autogéré font partie des initiatives d’économie sociale et solidaire et sont liées aux luttes contre la privatisation et la mercantilisation de l’ancien aéroport d’Elliniko. Le collectif fait sienne la demande de créer un parc vert métropolitain pour y développer des activités d’utilité publique, sportives et culturelles. Ce projet avait été étudié à l’occasion du déménagement de l’aéroport international à Spata, à l’époque des grands travaux olympiques (2003), avant de faire naufrage à l’occasion de la crise. Le projet fut finalement abandonné et le TAIPED (Fonds de développement des biens de la République hellénique) a cédé le terrain d’Elliniko à des investisseurs privés pour y développer des logements et des entreprises.
Le principe fondamental qui guide les « co-fermiers » et les amis du Champ est que « l’homme et la nature sont au-dessus du profit, ils se situent là où la vie, le pluralisme, l’autogestion, la justice environnementale et sociale définissent une économie solidaire différente du modèle politique, économique et social actuel, qui se caractérise par la cupidité, la compétition, l’individualisme et la violence contre les personnes » (http://agroselliniko.blogspot.com)
Le Champ d’Elliniko est un potager écologique à visée sociale ; il se trouve sur un terrain prêté à l’unanimité par le Conseil municipal de l’époque de la municipalité d’Elliniko-Argyroupoli. Les objectifs principaux du Champ sont de diffuser l’agriculture biologique dans le tissu des villes, de préserver et de faire connaître les semences traditionnelles de toute la Grèce, d’échanger des connaissances avec d’autres cultivateurs bios, d’aider les groupes sociaux qui en ont besoin, de renforcer les actions sociales, d’étendre les cultures sur d’autres terrains libres. Les semences traditionnelles sont fournies par la communauté « Peliti », par d’autres cultivateurs bios et par des amis du Champ qui les apportent de leurs villages. Il existe en outre une Banque de semences offrant de très nombreuses variétés, dont beaucoup risquent de disparaître. Pour les besoins des plantes en engrais et en produits phytosanitaires, on utilise des méthodes naturelles (fumier et compost produit sur place, utilisation de cendre, décoction d’ortie ou autres produits naturels, recours à des cultures associées appropriées et rotation des cultures). Le noyau principal des co-fermiers qui travaille régulièrement au Champ est de vingt personnes environ, sur un total de 100 amis bénévoles environ. Les décisions concernant le Champ sont prises par des assemblées ouvertes régulières appliquant les principes de la démocratie directe, de l’égalité et de l’autogestion.
Les légumes produits (tomates, laitues, aubergines, poivrons, choux, etc.) sont donnés en priorité au service social de la municipalité d’Elliniko-Argyroupoli pour être distribués aux habitants dans le besoin, aux associations d’utilité publique qui distribuent des repas, à l’Épicerie sociale, à des cuisines collectives. Toutefois la production n’est pas une fin en soi. Le champ a surtout un caractère démonstratif et éducatif. « Ce n’est pas Ithaque elle-même qui nous intéresse, mais le voyage des expériences et de la connaissance » (Panagiota Maltezou, agronome du Champ et co-fermière).
Aujourd’hui, après moins de quatre ans de fonctionnement, le Champ autogéré d’Elliniko, grâce à son caractère démonstratif, accueille et informe des écoliers de tous les degrés, contribue grâce à la connaissance qu’il a accumulée, à créer des potagers scolaires, distribue gratuitement des semences locales traditionnelles aux personnes intéressées, informe les citoyens sensibilisés sur des questions d’écologie agricole, participe activement à la création d’une oliveraie sur un terrain adjacent.
Le collectif du Champ d’Elliniko donne la priorité aux usages productifs dans l’espace urbain contre les usages consuméristes et cherche à éviter que l’on continue de bétonner les espaces encore libres. Pour les « co-fermiers » qui y participent, il constitue un lieu de rencontre, de socialisation et d’expression politique. Les motivations principales pour y participer, selon les co-fermiers eux-mêmes, sont le fait de pouvoir s’occuper d’agriculture biologique, en même temps que de participer à l’action politique et sociale du Champ. « Ce qui me plaît surtout, c’est de travailler la terre. Enfant j’accompagnais mon père aux champs… après nous les avons vendus ; mais j’ai gardé ce goût au plus profond de moi. Maintenant c’est quelque chose que me fait plaisir, qui me détend. Par ailleurs je suis aussi d’accord avec la raison à l’origine du Champ… c’est dommage de perdre de la terre qui nous appartient et de la vendre à des promoteurs » (Giorgos, co-fermier).
Référence de la notice
Anthopoulou, T., Kolokouris, O., Kousoulenti, C. (2015) Guérilla potagère en ville : le Champ autogéré d’Elliniko, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/guerilla-potagere/ , DOI: 10.17902/20971.31
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Crane A (2011) Intervening with agriculture: a participatory action case study of guerrilla gardening in Kingston, Ontario. Queen’s University.
- Eizenberg E (2013) From the Ground Up: Community Gardens in New York City and the Politics of Spatial Transformation. VOLUNTAS: International Journal of Voluntary and Nonprofit Organizations 25(3): 844–846. Available from: http://link.springer.com/10.1007/s11266-013-9409-y.
- Tracey D (2007) Guerrilla Gardening: a manualfesto. 1st ed. Cabriola Island, Canada: New Society Publishers.
- Zanetti O (2007) Guerrilla Gardening: Geographers and Gardeners, Actors and Networks: Reconsidering Urban Public Space. Available from: http://www.guerrillagardening.org/books/ZanettiGG.pdf.
Sources en ligne
Informations sur les potagers communautaires et le « guérilla potagère »
- http://www.communitygarden.org/
- http://www.greenguerillas.org
- http://www.guerillas.org/
- http://www.lizchristygarden.us/
Informations sur le « guérilla potagère » en Grèce et sur le potager à Elliniko