L’usurpation des terres publiques en Attique
2015 | Déc
La crise de la dette souveraine en Grèce depuis 2009-2010 a contribué de façon décisive à renforcer les tendances à l’usurpation des terres publiques. La dette contribue à affaiblir politiquement l’État débiteur et à appauvrir la population et le gouvernement. Les conditions imposées à la Grèce par la Troïka pour rembourser cette dette, ignorent les besoins sociaux du pays et fixent les modalités de remboursement, dont la vente du patrimoine national occupe une place dominante, au mépris de l’ordre légal, constitutionnel.
Les deux voies principales pour usurper les terres publiques après 2010 sont le Fonds pour le développement des biens de l’État hellénique (ΤΑΙPED), connu sous le nom de « Fonds pour brader la Grèce » et les privatisations d’organismes ou structures publiques, de personnes morales de droit public, qui possèdent de grandes superficies de terre (DΕΗ, ΟSΕ, ports, aéroports, etc.). Toutes les formes de biens immobiliers appartenant à l’État et aux organismes sous tutelle possédant un grand patrimoine immobilier ont été transférées, sous la contrainte et sans compensation, à ce Fonds, sans que ces biens immobiliers puissent un jour revenir au Trésor public
Le couronnement du programme de privatisations réalisé par le ΤΑΙPED en Attique est le terrain de 620 ha englobant l’ancien aéroport d’Elliniko et la plage d’Agios Kosmas, sur le front de mer de l’Attique (photo 1). Malgré le prix bas très attractif demandé par l’État, les nombreux plans de mise en valeur et la position monopolistique de cet immense terrain, très peu d’investisseurs ont été attirés par Elliniko. L’un d’entre eux, la société Lamda Development appartenant à la famille d’armateurs Latsis, a déposé une offre de 75 euros/m2, qui a été acceptée par le ΤΑΙPED, quand bien des terrains limitrophes ont une valeur immobilière de 1110 euros/m2. Les municipalités voisines, des dizaines d’organisations, des initiatives citoyennes et la gauche ont fait opposition et se sont mobilisées énergiquement contre cette privatisation et la suppression par les futurs « investisseurs » du libre accès au littoral. La Cour des Comptes a récemment gelé la vente (Acte 197/2014), considérant qu’elle violait les principes de transparence, d’égalité de traitement et de concurrence, ce qui avait été soutenu au Parlement par les partis de l’opposition de l’époque.
Photographie 1 : Le front de mer de l’Attique : l’ancien aéroport d’Elliniko et la plage d’Agios Kosmas
Source :
L’institution du ΤΑΙPED, les modalités de transfert à ce Fonds du patrimoine public et les procédures qu’il suit ont été dénoncées comme illégales et anticonstitutionnelles (ΙΜΔΑ 2014, Κασιμάτης 2014, Χατζημιχάλης 2014) ; il ne s’agit pas ici d’en donner une description systématique. Le tableau qui suit et la carte 1 présentent par catégories les biens immobiliers proposés à la vente par le ΤΑΙPED en Attique, à l’exclusion des infrastructures (aéroports, ports, Chemins de fer helléniques). Mis à part Elliniko et 48 bâtiments, rien d’autre n’a été vendu.
Tableau 1 : Catégories et superficies des biens immobiliers proposés à la vente par le ΤΑΙPED en Attique
Source : ΤΑΙPED, biens immobiliers inscrits dans les tableaux jusqu’en octobre 2014 (présentation personnelle)
Carte 1 : Biens immobiliers proposés à la vente par ΤΑΙPED en Attique
L’usurpation des terres publiques en Attique toutefois n’a pas commencé en 2010 avec les mémorandums. Dans la brève période entre 2010 et 2015, les terrains publics usurpés sont plus grands, offrent une rente élevée, incluent des atouts naturels et écologiques uniques et s’accompagnent de changements dramatiques du cadre urbanistique institutionnel au profit du capital. Toutefois l’usurpation des terres publiques commence dès la constitution de l’État grec moderne et constitue une caractéristique de tout temps de la structure sociale grecque ; on ne compte plus les empiètements par de simples particuliers, des entrepreneurs, des monastères, par l’Église ou par des municipalités à travers des constructions illégales de toute sorte, en invoquant des titres inexistants, en profitant du manque de volonté qui a toujours existé à défendre l’intérêt public et la propriété publique. L’usurpation des terres publiques et de l’espace public se produisent à de multiples niveaux : des grandes surfaces pour mines et carrières illégales, de l’immobilier touristique avec terrains de golf et empiètement sur les plages, jusqu’aux défrichages illégaux de surfaces boisées pour l’agriculture, aux milliers de construction sans permis, et à l’occupation des places et trottoirs par les chaises et tables des cafés ou par les parasols sur les plages.
La cause principale des empiètements et des activités illicites concernant la terre, mais aussi des retards dans les privatisations et la braderie du TAIPED, c’est l’absence de cadastre national. L’État ne sait pas vraiment jusqu’à ce jour la taille et l’emplacement de son patrimoine immobilier, situation qui résulte de plusieurs facteurs, dont les plus importants, outre l’absence de cadastre, sont la fragmentation des services publics qui s’occupent de l’immobilier public, l’incapacité ou l’indifférence des fonctionnaires et la collusion avec des opportunités politiques, et la corruption.
Les terres publiques en Attique ont été la victime du développement de la capitale, tantôt par des micro-usurpations de terre à usage privé (photo 2) et l’exploitation commerciale à petite échelle par toutes les classes sociales et tous les groupes sociaux ; tantôt par des macro-usurpations à buts spéculatifs, qui apparaissent sporadiquement depuis le 19ème siècle et de façon massive / agressive plus tard, dans les années 1990, avant et après la préparation des J.O., et surtout avec les mémorandums après 2010 via les privatisations massives.
Photographie 2 : Colonisation des plages de l’Attique orientale
Source:
À Ilioupoli, la famille Nastos a peu à peu à partir de 1920 empiété et s’est approprié environ 1000 ha de surfaces boisées sur l’Hymette, alors qu’elle n’avait des titres de propriété que pour 30-40 ha ; les procès avec la municipalité et l’État continuent jusqu’à aujourd’hui. De la même façon, les soi-disant « héritiers Veïkou » ont usurpé depuis la fin du 19ème siècle 1500 ha à la frontière entre Galatsi et Nea Ionia en Attique. Après les années 60, les lotissements et constructions sans permis, et les constructions dans les zones boisées, suite à des incendies criminels, ont accaparé des dizaines de milliers d’hectares de terre publique. À titre indicatif, dans la municipalité de Keratea, en 2001, les maisons construites sans permis se montaient à 6000 pour 8500 maisons construites légalement. Les illustrations 3-5 permettent de voir l’extension des lotissements et constructions sans permis entre 1950 et 2009. Mis à part la construction sans permis, de grandes superficies de terre sont usurpées par certaines coopératives immobilières ou par des carrières. Il y a en tout en Attique 220 coopératives (qui occupent environ 10 000 ha) dont seulement 78 ont des propriétés propres (par ex. qui ne sont pas en zone forestière, ont des titres légaux, etc.). Sur les 142 autres, 82 ont des problèmes à propos de zones protégées ou de zones forestières et 12 d’entre elles ont reçu des avis négatifs du Conseil d’État.
Photographies 3-5 : Extension de l’appropriation de terrain et de la construction sans permis de 1950 à 2009 à Panorama / Keratea
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En 2000, une enquête du ministère public a révélé qu’entre 1960 et 1990, on avait vendu illégalement 2000 ha, tandis qu’un autre terrain immense de 21 700 ha a été sauvé de justesse. La bande qui avait organisé cette fraude comprenait notaires, avocats, ingénieurs, le chef-forestier du Pentélique, des entrepreneurs et des particuliers, dont sept sont déjà condamnés à des peines de prison. La fraude a été découverte lorsque la grande surface de 21 700 ha susmentionnée, dans la région de Vari (la moitié avait été classée en zone de reboisement suite à des incendies, mais le chef-forestier l’avait déclassée), a été mise en vente sur le marché en 1999 ; une grande société immobilière était intéressée à l’acquérir, mais au moment de la signature, on découvrit qu’une autre société était en train d’acheter à un autre propriétaire la plus grande partie du terrain en question. Le coup de grâce aux forêts de l’Attique au profit des coopératives et autres usages non conventionnels a été porté en été 2014 avec la nouvelle loi forestière 4282/14.
L’usurpation des terres publiques est aussi le fait de l’Église et des monastères, notamment le monastère de Pentéli. La paroisse de « L’Annonciation » de Lamia revendique 750 ha avec des titres contestables dans la région de Pikilo Oros, en Attique. Elle appuie sa revendication sur un testament de 1916, testament par lequel elle a hérité d’une grande partie de ce qu’on appelle le « domaine Verdis ». Depuis 2011, une nouvelle société immobilière pour les biens de l’Église, qui bénéficie de dérogations fiscales spécifiques, peut gérer des biens de tierces personnes (par ex. monastères) et s’occupe de la gestion et de l’exploitation de biens-fonds dont il pourrait s’avérer qu’ils n’appartiennent pas à l’Église. La première vente concerne un terrain de 8,3 ha à Lemos / Vouliagmeni ; devraient suivre d’autres terrains de grande valeur à Kavouri, Kolonaki et dans le reste de la Grèce.
Cette attaque en règle contre la terre de l’Attique n’épargne pas la zone littorale, dont la « mise en valeur » a été confiée à la société Riviera attique S.A., fondée en 2012 par le gouvernement, dans le but de convertir toutes les côtes depuis le stade SEF (Faliro) à Sounion, en « Riviera grecque ». On a transféré à cette société des zones ayant une grande valeur commerciale, dont 5,86 ha à Anavyssos, 67 ha à Alyki / Anavyssos, 32,7 ha à Lagonisi, 15,6 ha à Varkiza, 50 ha à Mikro Kavouri, et sur la Côte de Voula, la plage, le camping et la boîte de nuit, d’une superficie de 36 ha, etc. Il y a par ailleurs des terrains publics et municipaux dispersés, d’environ 10 000 ha, qui ont également été transférés à la société. Les querelles internes au gouvernement et surtout les mobilisations des municipalités et des citoyens ont pour l’instant gelé l’usurpation, mais la grande valeur de la terre dans ces zones est une proie tentante pour les spéculateurs.
Nous mentionnons en annexe ici les 20 régions où la braderie a commencé :
- Domaine public à Glyfada, depuis l’hôtel Asteria jusqu’au centre sportif d’Agios Kosmas, d’une superficie de 176 161 m2.
- Baie de Faliro, d’une superficie de 757 500 m2 (beach volley, antennes Cosmote, Vodafone Wind, stade de ΤΑΕ KWON DO).
- Zone de 64 100 m2 dans la région d’Anavyssos-Attique (restaurants, réserve de pêche – P. Fokea).
- À Voula (Attique) 90 095 m2 du premier au second atterrissement (Club nautique, ΝΟΤΟS, Vivemar).
- Voula – Megalo Kavouri 62 275 m2 (Plage de Voula II).
- Littoral du premier atterrissement de Voula, d’une superficie de 146 665 m2 (Plage de Voula I – Sud et restaurant Baie d’Irinikos).
- Varkiza 7500 m2.
- Anciennes salines d’Anavyssos 669 095 m2.
- Terrain de 9220 m2 à Anavyssos (Attique).
- Terrain de 8860 m2 à Agios Nikolaos-Anavyssos (Attique).
- Terrain de 258 250 m2 à Lomvarda – Kropia, Attique (ΜΟΗΙΤΟ ΒΑΥ).
- Terrain de 326 315 m2 à Lagonisi, Attique (GRAND RESORT).
- Delta de Faliro (marina de Flisbos) 262 423 m2 (Club nautique de P. Faliro).
- Côte d’Alimos 69 725 m2 (Côte d’Ilios – Bolivar).
- Terrain de la marina à la disco de Flisvos, à P. Faliro, d’une superficie de 90 825 m2 (Parc de Flisvos).
- Terrain de20 420 m2 à Alimos (Attique) de la plage d’Alimos à Agios Kosmas (places de jeu, bois).
- Terrain de 278 000 m2 à Glyfada, Attique (Asteria).
- Côte de Varkiza, terrain de 252 000 m2 (VARKIZA RESORT, ΥΑΒΑΝΑΚΙ, THALASSEA).
- Mikro Kavouri – Vouliagmeni (Côte de Vouliagmeni) 96 000 m2.
- Mavro Lithari, sur une longueur de 1000 m (EDEN Beach).
(En vertu des Décisions interministérielles N° 143/43399 ΚΥΑ (JO 2424 vol. II, 11/9/2014) et 148/43856 ΚΥΑ (JO 2429 vol. II, 12/9/2014) signées par les ministres des Finances Gikas Chardouvelis et du Tourisme Olga Kefalogyanni, et le secrétaire d’État au Développement Notis Mirarakis).
Note : Sur la base de cette annonce, le mouvement ΑΑΑ (Renversement anticapitaliste de l’Attique) a d’ores et déjà demandé que la question soit discutée lors du prochain Conseil régional de l’Attique.
Référence de la notice
Hadjimichalis, C. (2015) L’usurpation des terres publiques en Attique, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/usurpation-des-terres-publiques/ , DOI: 10.17902/20971.44
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- ΙΜΔΑ (Ίδρυμα Μαραγκοπούλου για τα Δικαιώματα του Ανθρώπου) (2014) ΤΑΙΠΕΔ: Όργανο Εκποίησης της Περιουσίας και Κατάργησης της Εθνικής Κυριαρχίας της Ελλάδας. 2ο έκδ. Σαγκουνίδου Δασκαλάκη Η (επιμ.), Αθήνα: Νομική Βιβλιοθήκη.
- Κασιμάτης Γ (2014) Η δέσμευση της δημόσιας περιουσίας με τις δανειακές συμβάσεις και το ΤΑΙΠΕΔ. 2ο έκδ. Στο: Σαγκουνίδου Δασκαλάκη Η (επιμ.), ΤΑΙΠΕΔ: Όργανο Εκποίησης της Περιουσίας και Κατάργησης της Εθνικής Κυριαρχίας της Ελλάδας, Αθήνα: Νομική Βιβλιοθήκη, σσ 77–86.
- Χατζημιχάλης Κ (2014) Κρίση Χρέους και Υφαρπαγή Γης. Αθήνα: ΚΨΜ