Cultivateurs de la ville : le Potager urbain municipal de Maroussi
Anthopoulou Theodosia|Nikolaidou Sofia
Quartiers, Économie Sociale
2015 | Déc
L’agriculture urbaine n’a jamais eu de tradition particulière en Grèce, tandis que le terme même était complètement inconnu il y a peu, y compris chez les spécialistes de la planification urbaine. Dès 2010, avec l’aggravation de la crise, les mouvements de protestation des citoyens dans les rues et les mouvements de solidarité dans les quartiers acquièrent une dynamique ; l’idée de cultures urbaines commence alors vraiment à se répandre dans des couches plus larges de la population et à intéresser des groupes de citoyens et des communautés locales de plus en plus nombreuses. Les questions principales soulevées par ces mouvements sont celles concernant les moyens de vie, la qualité de la vie, l’éducation agro-environnementale, mais aussi le ravitaillement des villes, notamment en périodes de crise.
Les potagers municipaux constituent la forme la plus répandue de potagers collectifs en Grèce. Ils sont inaugurés en 2012 seulement, mais par la suite, ils se multiplient rapidement à travers tout le pays. Il semble que les phénomènes, qui vont s’aggravant, de frustration sociale et économique, l’aliénation et la dégradation générale de l’environnement urbain aient conduit de nombreuses municipalités du pays à prendre de telles initiatives dans le cadre de leur politique sociale. Les autorités municipales avancent comme raison principale la volonté de soulager les groupes vulnérables de la population (chômeurs, retraités, personnes à faible revenu, familles monoparentales et familles nombreuses, etc.), de renforcer la solidarité sociale et de contribuer à la santé mentale. L’embellissement et la gestion de l’environnement (verdissement de la ville, compostage des déchets organiques, etc.) figurent également parmi les bénéfices des potagers urbains.
Le mode d’organisation des potagers municipaux est reproduit presque partout de façon identique. La municipalité met gracieusement à disposition le terrain du potager sur un terrain municipal / communal clôturé (urban allotment gardens), dont elle a au préalable enrichi le sol qu’elle a raccordé au réseau d’eau. Seule l’agriculture biologique y est autorisée, et dans la plupart des cas, une partie de la production (10-15%) est destinée à l’épicerie sociale de la municipalité.
Les motivations des cultivateurs qui demandent une parcelle de potager municipal, comme l’a relevé une recherche sur le terrain en Grèce septentrionale (Ανθοπούλου et al. 2013), est d’abord la production même de produits alimentaires, c’est-à-dire le besoin de s’assurer des produits frais, biologiques, sains, ou en d’autres termes, de « savoir ce que l’on mange ». Ensuite, une motivation importante est la nécessité d’alléger le budget familial consacré à l’alimentation, surtout pour les familles avec les revenus les plus faibles. Certains recherchent également un retour à la terre, éprouvent la nostalgie de leur village, des expériences de leur enfance. Les premières récoltes apportent souvent des expériences originales et des sentiments inattendus aux cultivateurs, comme ils le déclarent eux-mêmes : joie de créer au milieu de l’ennui et de la déprime engendrés par la crise, camaraderie et nouvelles « relations de voisinage » dans le champ, détente avec les petites fêtes et la cuisine collective, psychothérapie et renforcement de la solidarité sociale. Ces sentiments se retrouvent dans tous les groupes de la population, surtout bien sûr chez les retraités, mais aussi chez les plus jeunes qui, face au spectre du chômage et de ses impacts psychologiques, trouvent une issue créative et un réseau de secours social mutuel. « La raison principale pour laquelle je m’occupe d’agriculture était d’apprendre deux ou trois choses, de bouger un peu, car à une époque j’étais chômeuse et je cherchais quelque chose pour m’accrocher… une espèce d’ergothérapie, car que faire d’autre ? Regarder la télé toute la journée, aller à la cafète avec mes amies (…). Même si je retrouve du travail, je ne lâcherai pas le potager. J’y passe de bons moments, je rencontre des gens, je vois que je crée quelque chose, que… que je m’en sors en définitive. » (Sophia, Jardin biologique municipal d’Alexandroupoli).
Dans ce cadre, et ce d’autant plus que la crise a réduit l’intérêt des investisseurs du secteur du bâtiment et du marché immobilier, les initiatives de potagers municipaux se multiplient et occupent des secteurs abandonnés du tissu urbain des grandes villes. Cette tendance devient de plus en plus importante dans le cas du bassin athénien, où la dégradation de la qualité de vie et la réduction importante des espaces libres extérieurs rendent plus sensibles le besoin des habitants de retrouver le contact avec la nature et l’environnement rural. Étant donné la réduction généralisée de l’activité du secteur du bâtiment dans la zone métropolitaine d’Athènes, certaines zones de la ville sans planification urbaine, certains terrains vagues ou municipaux laissés à l’abandon ont trouvé là l’occasion de se transformer en potagers municipaux, et constituent des îlots de verdure et d’activité sociale pour toute la région.
Le cas du potager municipal de Maroussi, inauguré en 2012, dans la zone de Néo Terma-Paléo Psalidi, constitue un exemple intéressant de mise en valeur d’un terrain municipal dans un but social productif. À Maroussi, qui a connu des transformations profondes, un boom dans le bâtiment dans les années 1990 puis la fièvre des grands aménagements et des centres commerciaux gigantesques de la période des projets olympiques de « Athènes 2004 », un terrain abandonné, qu’il n’est plus avantageux de construire vu la crise, est de nouveau incorporé dans le quartier.
L’objectif du côté des autorités municipales est double :
« d’une part, mettre en valeur des espaces libres inexploités et abandonnés, qui sont transformés en potagers, qui redonnent de la verdure aux quartiers et les embellissent, d’autre part, par ce biais, faciliter la socialisation, l’activation, les solutions créatives, les services sociaux et la solidarité entre les habitants de la ville en période de crise. » (http://www.econews.gr/2012/04/01/dimotikos-laxanokipos-marousi/).
Le terrain a une superficie de 1500 m2 ; il est devenu la propriété de la municipalité suite à un legs. Bien qu’il soit intégré dans le plan urbanistique de la ville depuis 1936, il n’a jamais fait l’objet d’un permis de construire selon les services d’urbanisme de la municipalité, et le projet de construire un centre polyvalent apparu durant la période de préparation des J.O. a été abandonné grâce à la mobilisation des habitants du voisinage, comme ils le rappellent eux-mêmes. Inutilisé pendant des années, il avait été converti en dépôt d’ordures et de déblais informel. Sa réutilisation par les habitants a transformé un espace libre dégradé en un quartier vivant et sain, qui fait partie intégrante de la ville, et lui a donné un nouveau rôle actif, une nouvelle identité sociale, qui contribue à reconstruire le quartier et à faire reverdir l’environnement urbain
Le potager est divisé en 40 parcelles de 25 m2. La distribution aux cultivateurs résidents s’est faite sur la base de la demande et de critères sociaux. La municipalité s’est chargée de nettoyer le terrain, d’y transporter de la terre et d’y installer les infrastructures de base pour son fonctionnement (clôture, réservoir d’eau). Seule la culture biologique y est autorisée, ce qui demande des connaissances particulières par rapport aux méthodes traditionnelles.
« Les agronomes n’y connaissent rien. Aujourd’hui nous sommes tous devenus fermiers grâce à Internet (…). Je suis toujours en train de chercher et de faire des expériences, cela demande de la persévérance et de la passion. Plus tu cherches, plus tu apprends. » (Panagiotis, retraité).
Parmi les bénéfices les plus importants que les habitants retirent du potager, ils citent en premier lieu le besoin d’avoir des relations amicales, le fait que cette activité constitue un loisir et une espèce de psychothérapie.
« Travailler au potager est devenu un besoin quotidien ; j’y ai bêché, j’y ai transpiré… sinon qu’est-ce que je pourrais faire le matin ? Aller boire un café avec mes amies ? » (Eléni, ménagère).
On mentionne en second lieu le besoin de s’approvisionner en primeurs frais et biologiques, en réalisant quelques économies. Pour certains fermiers, le potager fait revivre des souvenirs d’enfance et des saveurs de la table familiale.
« Dans le temps, à Maroussi, on cultivait dans les cours, il y avait des jardins, beaucoup de ruisseaux… depuis l’avenue Kifisias jusqu’à l’avenue Kymis, là où se trouve aujourd’hui le Stade olympique. On traçait des rigoles et on arrosait les champs d’un bout à l’autre ; je me souviens, dans les années 60, j’étais enfant, on fabriquait des bateaux en papier et on les retrouvait là en bas (…). Ma mère n’utilisait que des produits de saison, on mangeait des tomates seulement en été, et elles avaient du goût alors (…)» (Panagiotis, retraité).
Pour d’autres, il s’agit simplement d’avoir un contact bienfaisant avec la terre :
« Nous venons ici tous les jours, ma femme et moi. C’est un plaisir, un exercice physique, une distraction. Malgré les problèmes que nous pouvons avoir, tantôt avec la santé, tantôt avec la famille, nous n’avons jamais laissé de côté le potager (…). Quand j’étais petit, au village, comme tous les enfants de l’époque, j’aidais mes parents aux champs… et aujourd’hui, j’aime le faire, c’est une passion (…). Du point de vue financier, non ce n’est pas une économie, j’oserais même dire que j’y perds un peu ; mais je mange des aliments purs, j’en donne à mes enfants et petits-enfants, à un voisin qui le demande, ma femme connaît du monde à la paroisse. Qu’est-ce qu’on peut faire, nous deux, de toute cette production ? » (Giorgos, retraité).
Malgré l’écho favorable des citoyens à travers toute la Grèce, comme dans le cas du potager de Maroussi, il n’y a pas de garantie institutionnelle pour une utilisation agricole permanente de jardins urbains, leur durée d’exploitation n’est pas non plus acquise. Cela les rend vulnérables par rapport à d’autres utilisations plus rentables. Les potagers municipaux demeurent une action conjoncturelle dans le cadre de l’aide sociale issue de la crise économique et non une utilisation institutionnalisée de la terre dans le cadre d’une planification urbanistique des villes qui les accueillent. Pour l’instant, et aussi longtemps que durera la crise, il semble que ce soit l’absence d’intérêt de la part des investisseurs qui garantisse la viabilité des potagers municipaux face à des utilisations du sol plus rentables.
Référence de la notice
Anthopoulou, T., Nikolaidou, S. (2015) Cultivateurs de la ville : le Potager urbain municipal de Maroussi, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/cultivateurs-de-la-ville/ , DOI: 10.17902/20971.30
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Ανθοπούλου Θ, Παρταλίδου Μ, Νικολαΐδου Σ, κ.ά. (2013) Αστική Γεωργία. Κοινωνική ένταξη και Βιώσιμη Πόλη. Μελέτη δύο αστικών δημοτικών αγροκηπίων (Δήμοι Θέρμης και Αλεξανδρούπολης). Αθήνα.
- Anthopoulou T, Kolokouris Ο, Nikolaidou S, et al. (2015) Aux arbres citoyens ! Le mouvement d’agriculture urbaine, une forme participative d’appropriation de l’espace public. In: Paoli JC, Vianey G, and Requier-Desjardins M (eds), Accaparement, action publique, stratégies individuelles et ressources naturelles : regards croisés sur la course aux terres et à l’eau en contextes méditerranéens, Options Méditerranéennes : Série B. Etudes et Recherches, Montpellier: Montpellier : CIHEAM, pp. 339–349. Available from: http://om.ciheam.org/om/pdf/b72/00007151.pdf.
- Partalidou M and Anthopoulou T (2015) Urban Allotment Gardens During Precarious Times: From Motives to Lived Experiences. Sociologia Ruralis, Wiley Online Library: 18.
Sources en ligne
Informations sur le potager municipal de Maroussi: