Inégalités spatiales de santé en Attique
Dimitriou Maria (Melina)|Georganos Stefanos|Kalafati Ioanna-Panayota|Kalogirou Stamatis
Santé
2015 | Déc
Les maladies cardio-vasculaires (MCV) sont depuis peu la cause principale de décès en Grèce et la deuxième au niveau mondial. Selon l’Office grec de la statistique, en Grèce pour l’année 2012, 42,6% des décès (49 728 personnes) sont dus à des MCV, tandis que selon un rapport de l’OMS (Mendis et al. 2011) pour 2008, les décès dus à une MCV représentent 31% soit 17,3 millions de personnes au niveau mondial, avec de grandes inégalités entre pays développés et pays en voie de développement. La prévalence – la fréquence dans la population générale – des MCV et les facteurs de risques des MCV ont fait l’objet dans notre pays de différentes études : Étude des Sept Pays, Athens Heart, EPIC-Greek et ATTICA, qui ont montré que la population grecque a passé du niveau de risque faible à celui de risque élevé (Panagiotakos et al. 2008).
Cette étude tente de faire ressortir les inégalités spatiales face à la santé sur un échantillon de la population de l’Attique par rapport au risque de maladies cardio-vasculaires par le biais d’une cartographie et en calculant les indices appropriés. Les résultats présentés ci-dessous renvoient à l’analyse spatiale exploratoire du niveau de santé d’un échantillon de population et ne peuvent pas être généralisés à la population totale de l’Attique, car cet échantillon n’est pas nécessairement représentatif. Nous tenterons toutefois de montrer l’importance de l’étude de la dimension spatiale du phénomène pour qu’à l’avenir, les MCV soient liées aux facteurs environnementaux qui influencent éventuellement leur dispersion spatiale.
Données
L’échantillon de population étudié provient de la collecte des données de patients souffrant de maladie coronarienne (MC) réalisée dans des cliniques cardiologiques de différents hôpitaux de l’Attique. Il s’agit de patients ambulatoires ou hospitalisés sans historique de MCV ; on a également rassemblé des données de personnes sans historique de MCV provenant de municipalités ou de Centres de prise en charge des personnes du troisième âge (ΚΑPI) de Kallithéa, Moschato et Néa Smyrni. Parmi les données rassemblées figuraient également les facteurs de risques cardiovasculaires. La collecte de ces données s’est faite dans le cadre de l’Étude THISEAS. Pour les besoins du présent travail, nous avons créé une base numérique de données géospatiales mentionnant l’emplacement géographique (domicile) des personnes interrogées, à l’aide d’un logiciel SIG (Système d’information géographique) ouvert.
L’étude THISEAS
L’étude THISEAS (The Hellenic study of Interactions between Snps and Eating in Atherosclerosis Susceptibility – Étude grecque sur les interactions entre PSN et alimentation dans le risque d’athérosclérose) est une étude de patients-témoins ayant pour but (a) de mettre en évidence de nouveaux polymorphismes génétiques influençant le risque de maladie coronarienne (MC), (b) d’identifier des modèles alimentaires modifiant ce risque, et (c) de vérifier l’interaction des différents modèles avec la formule génétique en ce qui concerne le risque de MC.
Base théorique
L’étiologie de la MC est multifactorielle ; parmi les nombreux facteurs de risques figurent aussi bien des facteurs génétiques qu’environnementaux, par exemple le régime alimentaire. Identifier les facteurs de risques MC constitue l’un des résultats les plus importants de la recherche épidémiologique. Les facteurs de risques sont décisifs pour évaluer le risque couru par une personne de voir se développer la maladie et il est important de les évaluer, car ils peuvent constituer une base pour des interventions thérapeutiques. La méthode la plus usuelle pour classifier les facteurs de risques est de les séparer en facteurs modifiables et facteurs non modifiables. Les facteurs modifiables comprennent la pression artérielle, le diabète sucré, la dyslipidémie, l’obésité, le tabagisme et le manque d’activité physique. Les facteurs non modifiables comprennent le sexe, l’âge, l’historique familial de maladie coronarienne précoce (Jorde et al. 2003) ainsi que les facteurs génétiques (Chaer et al. 2004). Identifier les facteurs modifiables, par exemple activité physique et alimentation, aide beaucoup à prévenir et à réduire la probabilité d’émergence d’une MC.
Méthodologie
L’analyse spatiale de données de santé constitue un champ de recherche relativement nouveau de la géographie quantitative et des sciences de la santé, qu’on peut regrouper sous le titre général de « épidémiologie spatiale ». On distingue dans ce domaine deux grandes catégories de techniques d’analyse spatiale : les techniques d’analyse par points et l’analyse par agrégat.
Dans le présent travail, les points représentent des individus soit en bonne santé sans MC (témoins), soit souffrant de MC, comme représenté sur la Carte 1. Aussi bien la carte que le calcul de la fonction Κ (Ripley 1977) font apparaître que les personnes souffrant de MC ne sont pas réparties aléatoirement dans l’espace, mais présentent des concentrations géographiques. Compte tenu de ces concentrations géographiques, il est très intéressant d’investiguer si certaines caractéristiques de santé des personnes interrogées présentent des similitudes ou des différences spatiales. L’une des méthodes pour vérifier si les observations géographiquement proches d’une variable présentent des valeurs similaires ou non est l’autocorrélation spatiale. Le coefficient spatial de dispersion de Gini combiné à l’indice d’autocorrélation spatiale I de Moran (Καλογήρου 2011) permet de repérer des inégalités spatiales dans les données de santé et une probable concentration spatiale des personnes interrogées ayant des caractéristiques similaires pour l’échantillon de population examiné.
Le coefficient de Gini est très répandu en économie pour mesurer les inégalités de revenus. Il admet des valeurs de 0 à 1, où 0 indique une égalité parfaite de revenu, 1 indiquant une inégalité totale. Le coefficient classique de Gini est calculé sur la base des revenus individuels, sans tenir compte de la situation géographique de chaque individu. Selon Rey et Smith (2013), la séparation spatiale du coefficient classique de Gini permet de calculer séparément la dispersion des valeurs entre observations voisines et non voisines. Les coefficients ci-dessus ont été calculés avec les fonctions de l’outil statistique lctools (Kalogirou 2015).
Résultats de l’analyse spatiale exploratoire
Parmi les facteurs habituels liés à l’émergence d’une MC, nous avons analysé et nous présentons ici l’Indice de masse corporelle (IMC), la pression artérielle, l’âge et le sexe. L’analyse inclut des statistiques descriptives et des indices spatiaux présentés dans le Tableau 1. Les fréquences apparaissant dans la deuxième colonne du tableau ont été calculées après soustraction des cas pour lesquels il n’y avait pas de données. Le coefficient de Gini et l’indice I de Moran ont été calculés avec une pondération wij=1 pour les 12 voisins les plus proches et de 0 pour tous les autres. Les valeurs des indices en gras sont statistiquement significatives avec un degré de confiance supérieur à 95%.
Tableau 1a : Statistiques descriptives de l’échantillon de population examiné du point de vue MC et facteurs qui y sont liés
Tableau 1b : Indices spatiaux de l’échantillon de population examiné du point de vue MC et facteurs qui y sont liés
À partir des données statistiques du Tableau 1, nous pouvons conclure pour l’échantillon qu’il s’agit principalement de personnes d’âge moyen et supérieur avec un IMC supérieur à la normale, en majorité avec hypertension, mais pas nécessairement souffrant de MC. La dernière observation est logique, du fait de la distribution de l’âge des personnes interrogées, en majorité supérieur à 60 ans. L’hypertension présente une grande dispersion par rapport aux autres caractéristiques de leur niveau de santé. Toutefois, l’indice I de Moran, qui tend vers 0, montre que le domicile des personnes avec hypertension se répartit aléatoirement dans l’espace. Par contre, les personnes avec MC, d’âge et IMC équivalents, tendent à se rapprocher des personnes présentant les mêmes caractéristiques, comme cela ressort de la valeur statistiquement significative de l’indice d’autocorrélation spatiale I de Moran et de la très faible valeur du coefficient spatial de Gini entre les voisins des variables en question.
Sur la base de l’analyse statistique des données, la MC apparaît surtout chez des hommes ayant un poids normal ou obèses, mais pas nécessairement avec une obésité sévère. Elle apparaît également entre 50 et 79 ans chez les hommes, les cas les plus fréquents se situant à 60-69 ans, tandis que chez les femmes elle apparaît à un âge plus avancé (70-79).
Sur la Carte 1, sont représentées par un point rouge les personnes souffrant de MC, par un point bleu les personnes en bonne santé et par un point blanc les personnes n’ayant pas été diagnostiquées. On voit clairement apparaître des régions comme les municipalités d’Elefsina et d’Aspropyrgos, où l’on observe une concentration de personnes en bonne santé (du point de vue MC) et d’autres régions comme les municipalités de Korydallos, Agia Varvara et Paléo Faliro, où l’on observe une concentration de personnes pour lesquelles on a diagnostiqué une MC. Cette répartition est due en grande partie à la collecte comparative de données (personnes en bonne santé servant dans l’armée [base aérienne] dans les régions d’Elefsina et d’Aspropyrgos) mais aussi à la composition de la population (distribution de l’âge, statut socio-économique).
Carte 1. Emplacement de l’échantillon de population étudié sur la base de MC
Deux personnes sur trois de l’échantillon (66,5%) présentent de l’hypertension. De l’analyse statistique des données de santé des individus de l’échantillon, il ressort que, malgré une augmentation claire de l’hypertension liée à l’IMC et à l’âge, un nombre important de personnes avec un poids normal présentent de l’hypertension. De manière générale, dans l’échantillon étudié et présenté ici, l’hypertension apparaît chez les hommes plus tôt et avec un IMC plus faible que chez les femmes.
La carte 2 présente l’hypertension par sexe (hommes et femmes avec hypertension). Elle confirme visuellement les inégalités face à l’hypertension, y compris chez les individus géographiquement proches, et la répartition dans l’espace relativement aléatoire des individus présentant une hypertension.
Carte 2. Hypertension de l’échantillon de population étudié, par sexe
Enfin la carte 3 présente les IMC de l’échantillon, ventilé en cinq groupes : < 18.5 = personnes en sous poids, 18.5-25 = personnes avec un poids normal, 25-30 = personnes en surpoids, 30-40 = personnes avec obésité légère, > 40 = personnes avec obésité sévère. Comme nous l’avons vu plus haut, cette variable fait apparaître de petites inégalités dans l’espace. Nous observons toutefois une concentration d’individus obèses dans les municipalités de Kallithéa, Alimos, Elefsina et Aspropyrgos, tandis que la municipalité de Halandri semble abriter des personnes ayant un poids idéal.
Carte 3. Indice de masse corporelle (IMC)
Pour vérifier si le sexe, l’âge, l’IMC et l’hypertension influencent l’émergence d’une maladie coronarienne dans le présent échantillon, il est indispensable de procéder à une analyse de régression. Les résultats initiaux de cette analyse montrent que les hommes ont une probabilité six fois plus grande que les femmes de présenter une MC, tandis que les individus avec hypertension ont une probabilité de plus de sept fois plus grande de présenter la maladie par rapport aux individus sans hypertension. L’âge et l’IMC ne semblent pas, quand les autres variables sont présentes, modifier de façon significative le risque d’apparition de la maladie. Étant donné que l’apparition d’une maladie est influencée par de nombreux facteurs, les résultats ci-dessus sont présentés avec toute la réserve qui s’impose vu le petit nombre des variables et des observations, et demandent une investigation plus approfondie.
L’étude du niveau de santé des habitants de l’Attique, sur la base d’un échantillon aléatoire de la population, montre qu’il y a des inégalités spatiales en ce qui concerne l’apparition de la maladie coronarienne et l’indice de masse corporelle. Certaines municipalités, comme Paléo Faliro, présentent en même temps des IMC élevés et des pourcentages d’individus avec MC élevés, ce qui pourrait être dû non seulement à des facteurs individuels, mais aussi à des facteurs environnementaux.
Les résultats présentés ci-dessus posent des questions de recherche importantes pour une investigation ultérieure. L’une d’entre elles concerne l’impact des facteurs environnementaux sur l’apparition d’une maladie coronarienne, qui constitue l’étape suivante de la recherche.
Bien que la maladie coronarienne et les maladies cardiovasculaires constituent depuis peu la principale cause de décès en Grèce, on a très peu étudié l’impact de l’espace sur leur prévalence et la distribution spatiale de la population à haut risque. Le présent travail essaie de faire ressortir les inégalités spatiales des caractéristiques de santé de la population de l’Attique liées aux maladies cardiovasculaires, comme l’hypertension et l’indice de masse corporelle. Les données analysées montrent qu’un grand nombre de personnes souffrant de maladie coronarienne se concentrent dans des municipalités de l’Attique occidentale, ce qui pourrait être lié au faible niveau de vie que l’on observe dans ces municipalités au cours des dernières décennies. L’augmentation des inégalités liées aux revenus du fait de la crise économique et financière de ces dernières années conduit inévitablement à une augmentation des inégalités en matière de santé. Il convient que l’État (tant l’État central que les collectivités locales) applique une politique appropriée en fournissant de meilleurs services à tous ceux qui en ont le plus besoin, aussi bien pour faire face aux MCV qu’en ce qui concerne l’information et la sensibilisation pour leur prévention.
Référence de la notice
Dimitriou, M., Georganos, S., Kalafati, I. P., Kalogirou, S. (2015) Inégalités spatiales de santé en Attique, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/inegalites-de-sante/ , DOI: 10.17902/20971.22
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
References
- Καλογήρου Σ (2011) Χωρικές ανισότητες και ερµηνευτικοί παράγοντες της γεωγραφικής κατανομής του δηλωθέντος εισοδήματος στην Ελλάδα. Αειχώρος 15: 68–101. Available from: http://www.aeihoros.gr/article/el/xorikes-anisotites-kai-ermineutikoi-paragontes-tis-geografikis-katanomis-tou-dilothentos-eisodimatos-stin-ellada.
- Chaer RA, Billeh R and Massad MG (2004) Genetics and gene manipulation therapy of premature coronary artery disease. Cardiology, Karger Publishers 101(1–3): 122–130.
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- Ripley BD (1977) Modelling spatial patterns. Journal of the Royal Statistical Society. Series B (Methodological), JSTOR 39(2): 172–212.