Infrastructures d’accueil et d’inclusion de réfugiés à Athènes
Arapoglou Vassilis|Mantanika Regina|Spyrellis Stavros Nikiforos|Κourachanis Νikos
Logement, Migration, Politique
2024 | Jan
Cadre de recherche : infrastructures urbaines d’accueil et d’inclusion de réfugiés
Notre article présente les principales conclusions du projet de recherche intitulé « Villes inclusives / Inclusive cities » qui fut financé par l’ELKE (Fonds spécial pour le financement de la recherche) de l’Université de Crète [1]. Au cours de cette recherche, les données furent collectées auprès de trois sources : le recensement de la population de 2011, les instantanés (snapshots) concernant les places disponibles et les personnes accueillies du programme ESTIA, en 2018 [2], les rapports de gestion de l’UNHCR sur les Structures d’accueil de réfugiés, et la recherche primaire menée auprès d’entités dont les services sont destinés aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Le géocodage des données a permis de réaliser une cartographie de ces services et d’établir des indicateurs d’analyse spatiale. Suivirent 3 ateliers avec la participation de chercheurs, de représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, d’instances des collectivités locales, d’organisations non gouvernementales et de travailleurs. Ces ateliers avaient pour but d’explorer comment l’expérience et les leçons tirées du programme ESTIA furent exploités en vue de l’élaboration des futures politiques d’accueil et d’inclusion.
Le point de départ théorique de la recherche est composé des récentes approches qui constituent ce que l’on dénomme « transition vers les infrastructures » dans les études urbaines, qui considèrent les infrastructures comme des systèmes socio-techniques qui sont le fruit de pratiques matérielles, sociales et symboliques (Amin, 2014). Cette nouvelle perspective alimenta des recherches internationales sur les politiques d’accueil et d’intégration des réfugiés en milieux urbains et sur les effets d’initiatives équivalentes entreprises par l’Union européenne et les organismes internationaux tel que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Felder et al, 2020; Hanhörster & Wessendorf, 2020; Meeus, Arnaut & Van Heur, 2019). Ces recherches ramènent le débat sur l’importance des zones d’arrivée dans les villes, en tant que points de départ ou étapes du processus d’inclusion. Elles mettent en avant de nouvelles questions mettant l’accent sur les effets de l’aménagement spatial de divers types d’infrastructures dans des zones centrales, de banlieue ou périurbaines.
La création et l’établissement d’infrastructures d’accueil dans les villes grecques
Les infrastructures sont des moyens collectifs de mise en réseau qui sont en constante expansion et sont entretenus, se transforment ou se contractent en suivant les rythmes de croissance des villes et en réponse à des développements au niveau mondial. Le « grand été 2015 » marqua un changement dans le rôle des villes d’Europe du Sud-est qui se trouvent sur les nouvelles routes de l’émigration au départ du Moyen Orient. La fermeture de la route des Balkans et la déclaration conjointe UE – Turquie, en 2016, marquèrent une rupture dans les politiques d’accueil de l’État grec et les efforts contradictoires d’adaptation aux règles humanitaires internationales en matière de protection (Mantanika & Arapoglou, 2022). Le système d’accueil s’étendit rapidement pour inclure quatre types d’infrastructures de séjour :
En premier lieu, des unités d’accueil et d’identification de demandeurs d’asile furent établies sur cinq îles de la mer Égée (Chios, Lesbos, Samos, Léros, Kos). Prédominaient la surpopulation, les mauvaises conditions d’hygiène et d’hébergement et l’impossibilité d’accès aux biens nécessaires pour répondre aux besoins humains fondamentaux (Kourachanis, 2018). En deuxième lieu, des Établissements « ouverts » d’accueil provisoire (« camps ») furent créés en Grèce continentale. De modes initialement informels et temporaires d’accueil, ils devinrent permanents, face à l’impossibilité de procéder à une planification à long terme (Carte 1).
Carte 1: Localisation de Structures d’Accueil Temporaire -Temporary Reception Facilities- (informelles et permanentes), Centres d’Accueil et d’Identification (Reception and Identification Centres) et de Structures fermées contrôlées (Closed Controlled Facilities) 2018 – 2022
Source: Linos et al (2018), IOM (2022)
En troisième lieu, des hébergements urbains furent mis en place, dans des appartements, des hôtels et d’autres bâtiments, dans diverses villes de Grèce, par l’intermédiaire du programme ESTIA. Et, enfin, en quatrième lieu, suivirent des actions de subvention du loyer et d’accompagnement social destinées aux réfugiés reconnus, par l’intermédiaire du programme HELIOS, depuis 2019.
Le programme ESTIA (Emergency Support to Integration and Accommodation / Soutien d’urgence à l’intégration et au logement) (2017 – 2022) était un programme de logement des demandeurs d’asile vulnérables dans des appartements sociaux au sein du tissu urbain. Il était placé sous l’égide de l’UNHCR, financé par l’UE et mis en œuvre par les Municipalités et les ONG. Il fut complété par une allocation d’aide au revenu, à la limite du revenu minimum garanti, et d’actions d’assistance sociale. La planification initiale, en 2015 (dénommée Accommodation and Relocation Programme / Programme d’hébergement et de relocalisation) était orientée vers l’accueil à court terme de candidats à la relocalisation dans d’autres pays de l’UE. Le programme changea de groupe cible sans bénéficier d’adaptations sociales correspondantes ni d’outils d’intégration, suite à la hausse constante des arrivées sans départs significatifs (Kourachanis, 2018b ; Papatzani et al., 2022). Au cours de la période 202 – 2022, la gestion du programme ESTIA passa sous la responsabilité de l’État grec et cessa d’opérer.
L’on entreprit de développer des actions d’accompagnement social pour les réfugiés reconnus, via le programme HELIOS, depuis 2019. Il s’agit d’un programme de subvention du loyer et d’actions d’intégration sociale destinées aux réfugiés reconnus. Il élargit le groupe des bénéficiaires du soutien au logement, mais reprit les points faibles du programme ESTIA (Kourachanis, 2022b). L’insuffisance des prestations sociales contraignit les réfugiés à rechercher le soutien de réseaux de migration ou de s’orienter vers les canaux de travail non déclaré, avant de se rendre au pays d’Europe où ils souhaitent s’établir. Il s’agit par conséquent d’un programme qui, en fin de compte, favorise la prolongation du séjour des réfugiés dans un pays de transit, tel que la Grèce, plutôt que l’intégration sociale au pays (Kourachanis, 2022b).
Le modèle spatial des infrastructures d’accueil dans la région métropolitaine d’Athènes
L’implantation de ces infrastructures dans de grandes villes et des centres métropolitains visait à améliorer les conditions de vie des personnes déplacées et à renforcer les perspectives d’intégration sociale de ceux qui demeureraient au pays, grâce à leur dispersion et à leur mise en lien avec les services sociaux situés dans le tissu urbain.
L’analyse qui suit s’appuie sur les données issues de trois sources : le recensement de la population de 2011, le programme ESTIA et les rapports de gestion du HCR sur les Structures d’accueil de réfugiés (Tableau 1).
Tableau 1 : Classement des principales nationalités à Athènes, recensement de la population et programmes de logement
Source: ΕΚΚΕ-ΕΛΣΤΑΤ,2015; UNHCR-ESTIA,2018; UNHCR,2018
Pour ce qui est de la composition ethnique d’Athènes, les groupes issus de pays d’Europe de l’Est dominent dans l’espace urbain, les ressortissants Albanais qui représentant près de 50% des ressortissants non Grecs, suivis des Roumains (4,9%), des Bulgares (4,5%) et des Géorgiens (2,9%). La communauté pakistanaise constitue l’unique exception à ce motif, représentant près de 6 % des ressortissants étrangers. Comme l’on pouvait s’y attendre, la composition ethnique aussi bien du programme ESTIA que des Centres présente des ressemblances significatives, intégrant des personnes venant du Moyen-Orient (Syrie et Irak) ou du grand Moyen-Orient (Afghanistan). L’on observe que, en 2011, les nationalités liées à la vague migratoire avaient déjà créé de petites communautés, à Athènes. Certes, elles ne représentaient pas une part importante de la population, classées entre la 15ème et la 30ème place, les Syriens étant le groupe le plus important, représentant 1,4 % de la population étrangère, dans son ensemble. Ainsi qu’il découle du Tableau 1, si l’on compare les données du recensement de 2011 avec les deux programmes, en chiffres absolus, on observe une augmentation significative de la population de ces communautés. Leur présence augmente, par comparaison à 2011, d’au moins 50% (Syrie +120%, Afghanistan +91%, Irak +90%, Palestine +58% et Iran +50%). De plus, l’arrivée de migrants déplacés et le départ de migrants des Balkans, mais aussi la baisse de la population peuvent avoir eu un impact plus prononcé que ce qu’enregistrent les estimations des indicateurs de la présente étude.
Carte 2: Localisation des hébergements du programme ESTIA
Source: UNHCR-ESTIA, 2018
L’analyse spatiale qui suit a mis en avant le fait que les structures d’accueil temporaire des demandeurs d’asile du programme ESTIA suivirent le modèle d’établissement de migrants à Athènes et ne contribua pas de façon significative au renforcement de la ségrégation d’ensemble des migrants ou des groupes ethniques individuels. Néanmoins, dans un premier temps, leur implantation renforça la concentration spatiale de groupes ethniques venant du Moyen-Orient. Ce phénomène fut plus prononcé tant autour de l’axe de la rue Patission, dans les quartiers nord de la Municipalité d’Athènes, qu’au Pirée et dans les municipalités avoisinantes (Carte 2). Ces zones urbaines sont caractérisées par la forte ségrégation ethnique que l’on retrouve également au niveau vertical (Maloutas et al 2022, Arapoglou & Spyrellis, forthcoming)
Tableau 2: Indicateurs de ségrégation urbaine, recensement de la population et programmes de logement
Source:ΕΚΚΕ-ΕΛΣΤΑΤ, 2015; UNHCR-ESTIA, 2018; UNHCR, 2018
Le tableau 2 présente les valeurs de l’indice de dissimilarité (Dissimilarity Index), de l’indice de centralisation absolue (Absolute Centralization Index) et de centralisation relative (Relative Centralization Index) calculés pour les divers groupes d’ethnicités, en ajoutant aux données du recensement de 2011 les nouveaux-arrivés dans des unités des programmes ESTIA et des Structures d’accueil.
L’indice de dissimilarité passe de 0,5113 à 0,5256, présentant une hausse de seulement 2,8 %, lorsqu’interviennent dans les calculs les bénéficiaires du programme ESTIA venant du Moyen-Orient. Les variations de l’indice de dissimilarité sont quasi-nulles pour les autres ethnies, suggérant qu’elles furent établies dans des zones autres que celles où résidaient les personnes originaires du même pays, lors du recensement. Toutefois, le placement de nouveaux-arrivés déplacés renforça la concentration centrale d’ethnicités du Moyen-Orient : l’indice de centralisation absolue présenta une hausse de 5 % (passant de 0,7675 à 0,8055), tandis que l’indice de centralisation relative augmenta de 27,1 % (passant de 0,3217 à 0,409), lorsque le calcul fit intervenir les bénéficiaires d’ESTIA dans l’estimation. Un changement similaire, mais moins prononcé, est également présenté pour les ethnicités du grand Moyen-Orient : l’indice de centralisation absolue présenta une hausse de 1,3 % et l’indice de centralisation relative augmenta de 3,6 %, lorsque le calcul fit intervenir les bénéficiaires d’ESTIA dans l’estimation. Les changements dans la concentration des migrants originaires d’Afrique du Nord et de la péninsule indienne sont négligeables.
L’implantation des structures d’Elaionas, Schisto, Skaramangas et Lavrion semble avoir un effet différent sur les valeurs des indices (Carte 3). L’indice de dissimilarité présente une hausse supplémentaire de 4,8% (passant, donc, de 0,5256 à 0,5500) lorsque les estimations tiennent compte des personnes venant du Moyen-Orient séjournant dans les structures en question. La hausse des valeurs de l’indice de dissimilarité pour les ethnicités issue du Moyen-Orient en raison de leur confinement dans des structures est de plus de deux fois supérieure à celle concernant les bénéficiaires d’ESTIA. L’indice de dissimilarité présente également une hausse supplémentaire de 2,7 % (passant, donc, de 0,5075 à 0,5211) lorsque les estimations tiennent compte des personnes venant du grand Moyen-Orient séjournant dans les structures en question. La hausse des valeurs de l’indice de dissimilarité pour les ethnicités issue du grand Moyen-Orient est près de cinq fois supérieure à celle concernant les bénéficiaires d’ESTIA. Enfin, les variations de l’indice de dissimilarité sont quasi-nulles pour les autres ethnicités.
Les valeurs des indices de centralité reflètent le fait que la majorité des centres se trouvent en périphérie (Carte 3). Le Tableau 2 montre une baisse significative des valeurs des indices de centralisation absolue et de centralisation relative concernant, premièrement, les ethnicités du Moyen-Orient (v. Syriens) qui furent transférés des frontières du pays vers les sites les plus éloignés et, deuxièmement, les ethnicités du grand Moyen-Orient (v. Afghans).
Carte 3: Localisation et composition ethnique des structures d’accueil temporaire en Attique, en janvier 2018
Source: UNHCR, 2018
Fragmentation, infrastructures lacunaires et gestion de l’attente
Par les focus groups avec les différents acteurs impliqués dans la gestion des infrastructures d’accueil, il résulte une évaluation critique du programme ESTIA qui met l’accent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un programme d’intégration, bien qu’il ouvre des canaux d’intégration et contribue à la création de réseaux susceptibles d’accompagner celle-ci. La réduction des possibilités d’inclusion commençait dès le financement lui-même qui n’autorisait pas la réalisation d’actions d’intégration. En outre, il n’existait pas de planification centrale des programmes ni de ressources financières correspondantes. Par extension, les programmes étaient adaptés aux opportunités de financement limitées, sur le plan européen et national. Les possibilités de financement dépendaient du type d’instances. Les organisations internationales avaient accès au financement, contrairement aux instances publiques qui se heurtaient à divers obstacles.
Les actions particulières se conformaient à une logique de gestion, comme le montrent les fermetures et ouvertures de structures et l’augmentation ou la diminution de leur capacité, sans planification, suite à des négociations politiques, aux niveaux tant européen que national et local (Carte 1). La logique de gestion était renforcée, d’une part, par la culture lacunaire de gestion des problèmes sociaux et par les écarts grandissants dans le système grec de protection sociale qui fut démantelé sous l’effet des politiques d’austérité et, d’autre part, par le caractère dissuasif de la politique de l’Union européenne en matière de réfugiés (Kourachanis, 2019). La décentralisation de services, non accompagnée de ressources, vers les collectivités locales fut une question particulière, tout comme la bureaucratisation croissante des procédures d’accès des demandeurs d’asile à l’aide financière et aux services (Stratigaki, 2022).
Dans les ateliers (focus groups) menés avec la participation d’instances de collectivités locales et d’ONG, on enregistra un malaise quant aux objectifs des interventions : l’objectif de l’autonomie fut présenté comme étant le plus opportun, dans la situation courante, tandis que celui de l’intégration fut présenté comme malaisé. L’ambiguïté qui caractérise le système d’accueil dans son ensemble et l’insécurité que créent les modalités de mise en œuvre des politiques concernées (à quel moment aura lieu la transition d’un programme à l’autre, jusqu’à quand a-t-on droit à quoi, etc.) placent la population à laquelle ces programmes s’adressent dans un état d’attente (Arapoglou and Gounis, 2017; Papatzani et al, 2022). Cette attente est dissuasive quant à la motivation de séjourner dans un lieu et, en général, ne permet pas aux personnes concernées d’entreprendre les procédures qui leur permettraient de planifier leur vie.
Un problème particulièrement important, d’ordre structurel, fut constaté dans ESTIA : l’insécurité accrue qui résulte pour les bénéficiaires quant à la reconnaissance de la qualité de réfugié. Il est paradoxal que les personnes deviennent plus vulnérables dès lors qu’elles sont reconnues comme réfugiées. En effet, à ce moment-là, l’accompagnement est interrompu, sans qu’elles aient eu le temps de développer des dispositifs d’autonomisation. Un autre problème important lié aux procédures d’intégration avait trait au fait que le programme accordait la priorité aux cas vulnérables dont le processus d’autonomisation se prolongeait dans le temps car ils avaient besoin d’un soutien accru. En outre, la reprise économique et les attentes en matière de rente provenant des locations de courte durée ont ultérieurement rétréci le parc d’appartements disponibles pour accueillir des demandeurs d’asile et des réfugiés.
Création et expansion des infrastructures : cohérences et incohérences
Le fonctionnement d’appartements d’accueil dans le tissu urbain et la concentration, autour de ces appartements, de services de santé, d’enseignement et d’emploi mis en place par des ONG et des instances des collectivités locales créèrent, en dépit de ce que nous avons décrit ci-haut, un ensemble de stratégies d’inclusion susceptibles de concerner, outre les migrants et les migrantes, une population plus vaste se trouvant en situation précaire.
La dernière source utilisée dans cette analyse fut créée entre septembre et décembre [3] et consigne le réseau de services liés aux besoins des migrants. Une recherche étendue menée sur Internet permit d’enregistrer 546 services offerts par 47 organismes. La conduite d’entretiens, par le biais d’un questionnaire, auprès de chaque organisme opérant toujours a mené à confirmer que 335 services étaient fournis par 23 organismes (Tableau 3). L’enseignement et l’accompagnement (en général) étaient les principaux services proposés. L’analyse a révélé une différenciation significative dans le mode de fonctionnement interne des organismes, certains offrant leurs services sur les lieux d’accueil des intéressés, d’autres disposant de leur propre local d’accueil. Cette dernière modalité augmente la mobilité des migrants et, en général, des groupes sociaux vulnérables dans des quartiers précis de la ville, indépendamment de leur lieu de séjour, alimentant de surcroît l’aménagement par le bas d’infrastructures et de réseaux.
Tableau 3 : Répartition des services enregistrés, en fonction de la spécialisation
Source : Recherche sur Internet et entretiens dans le cadre du programme Villes inclusives / Inclusive cities
L’implantation des organismes enregistrés (Carte 4) confirme le fait que le programme ESTIA créa, dans des zones centrales, un réseau de soutien, en premier lieu au moyen de la concentration spatiale des instances chargées de sa mise en œuvre. Ce réseau peut être considéré comme étant complémentaire à la création par le bas d’infrastructures communes de solidarité, bien que celles-ci soient souvent régies par des principes différents. Cependant, à partir de 2019, elles furent systématiquement détruites par des opérations de police.
La carte 4 présente le réseau de services liés aux fonctions et aux besoins des unités d’accueil qui fut formé afin de répondre aux priorités de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés en termes d’hébergements urbains. L’implantation d’ONG et d’organisations humanitaires étaient d’une importance vitale pour la création et l’expansion de ce réseau, principalement dans les quartiers d’accueil des bénéficiaires. En outre, de plus petites organisations humanitaires et des organisations solidaires s’établirent sur ces zones pour fournir, elles aussi, leurs services. Comme l’on pouvait s’y attendre, principalement en raison du voisinage immédiat avec les intéressés, l’implantation des organismes proposant leurs services à des unités spécialisées individuelles (vert clair) – c’est-à-dire, qui disposent d’un local d’accueil des intéressés – détermine dans une large mesure ce réseau. Dans la majorité des cas, dans ces mêmes zones centrales, l’on identifie également le siège des organisations (vert foncé) qui offrent leurs services directement au sein des unités de séjour. Bien qu’elles partagent le même modèle et qu’elles aient choisi de s’établir dans ces zones, même si leur implantation n’est pas liée à un meilleur fonctionnement, l’importance de l’intégration dans ce réseau est d’autant plus mise en avant. Enfin, il est remarquable que, en premier lieu, ce réseau s’appuya principalement sur des organisations humanitaires et des organisations privées, en raison des moyens limités des instances publiques et du manque de financement et, en second lieu, que les établissements sociaux se développèrent dans des quartiers urbains d’arrivée et non pas à proximité de campements (où les services de base furent, eux aussi, proposés de façon aléatoire, par des organisations humanitaires dans les établissements).
Carte 4: Réseau de services liés aux programmes d’accueil à Athènes
Source: Recherche sur Internet et entretiens dans le cadre du programme Inclusive cities
La création de classes d’accueil semble avoir également renforcé les actions locales d’association et de solidarité. La communauté scolaire assumait fréquemment un rôle de soutien de toute la famille (les parents recevant la solidarité d’autres parents, sur diverses questions) ainsi qu’un rôle d’inclusion dans une communauté. C’est pourquoi, plusieurs bénéficiaires du programme choisirent de rester dans la même zone même lorsqu’ils ne faisaient plus partie du programme.
Un autre élément qui résulta des ateliers menés avec les instances a trait à l’aspect ‘intégration’ du programme ESTIA et est lié à l’économie politique locale et, en particulier, à la crise économique (location d’habitations et de bâtiments vides, emploi des jeunes, etc.). L’inscription de ce type de programmes dans le long terme donne lieu à un travail de réflexion et d’échanges au niveau social ainsi qu’au niveau institutionnel, sur les problèmes de coexistence.
Les municipalités intervinrent pour la première fois dans le processus de provision de services de logement aux demandeurs d’asile. Ainsi, elles acquirent une expérience significative et créèrent un réseau de synergies et de coopérations avec d’autres services, d’autres instances et d’autres municipalités. Des unités spéciales de coordination furent créées, en particulier dans la municipalité d’Athènes, et des formes innovantes de coopération avec des instances internationales furent développées, aussi bien dans le domaine de l’accueil que dans celui de l’intégration (Stratigaki, 2022). De plus, à l’occasion de la gestion de la question des réfugiés, diverses institutions et instances développèrent un savoir au sujet des politiques du logement à divers niveaux susceptible de concerner également d’autres groupes de population qui en ont besoin.
Les résultats présentés soulignent que la création des structures d’accueil et leur liaison avec les infrastructures sociales au sein du tissu urbain contribua à produire un savoir concernant le processus d’inclusion. Cependant, cela s’est produit dans une communauté d’acteurs se trouvant hors de l’État central qui, lui, ne fut pas en mesure de mettre à profit ce savoir.
Les programmes de séjour autonome, tels qu’ESTIA et HELIOS, furent l’occasion de créer une culture et un héritage qui sont susceptibles de s’avérer utiles dans le débat plus large portant sur l’inclusion en ville. Un débat qui contraint à réfléchir, sur le plan matériel et symbolique, le mouvement et l’établissement, l’autonomisation et la solidarité. Toutefois, ce débat fut interrompu brusquement en raison de l’interruption des programmes précités, des stratégies de réaménagement touristique ne prévoyant rien concernant l’inclusion, de l’aménagement des centres d’accueil et d’identification sous forme de casernes, des centres d’hébergement dans l’arrière-pays ainsi que des Structures fermées contrôlées récemment créées (Parsanoglou, 2022). D’une certaine façon, la neutralisation de la mémoire de la solidarité et l’annulation des leçons en matière d’inclusion issues des programmes précités contribue à la « normalisation » des camps (Kreichauf, 2018) que promeuvent les politiques depuis 2019 à nos jours. Cela renforce également les risques de polarisation dans les zones de ségrégation verticale, où peuvent opérer des marchés doubles, l’un à rendements élevés liés aux locations touristiques et aux résidences gentrifiées et, l’autre, lié à la location informelle d’un parc d’habitations de mauvaise qualité destinées aux groupes marginalisés (Arapoglou & Spyrellis forthcoming).
[1] ELKE (Fonds spécial pour le financement de la recherche) de l’Université de Crète : Identifiant du projet : 10735. Intitulé : ‘Inclusive cities – infrastructures of social integration and refugee settlement’ (Villes inclusives – infrastructures d’intégration sociale et d’établissement des réfugiés). Le projet releva du Centre de recherche et d’études (KEME) des Sciences humaines, sociales et de l’éducation de l’Université de Crète.
[2] Nous tenons à remercier chaleureusement l’office du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) en Grèce, pour avoir mis à la disposition de l’Université de Crète les données (snapshots) du programme ESTIA.
[3] La recherche sur Internet, la conduite des entretiens et la vérification des données ont été réalisées par Stavros Aronis dans le cadre de son stage auprès du Centre national pour la recherche sociale (EKKE).
Référence de la notice
Arapoglou, V., Mantanika, R., Spyrellis, S., Κourachanis, N. (2024) Infrastructures d’accueil et d’inclusion de réfugiés à Athènes, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/infrastructures-daccueil-et-dinclusion-de-refugies-a-athenes/ , DOI: 10.17902/20971.119
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
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