Jeunesse et politique : Engagement politique des jeunes dans l’Athènes de la crise
2015 | Déc
L’éloignement des jeunes de la politique -au sens de la diminution d’intérêt pour le politique et de la participation réelle, par rapport aux jeunes des périodes précédentes, mais aussi des adultes de la même période-, que l’on a observé systématiquement jusqu’à la crise, semble se stabiliser, voire s’inverser. Si toutes les recherches expérimentales depuis les années 90 fondent, comme nous l’avons dit, une image de la jeunesse grecque qui s’accorde avec celle d’autres jeunes Européens de la même génération, avant tout individualistes, moins préoccupés des questions sociopolitiques et moins intéressés à participer à des collectifs politiques, la crise, en tant que facteur très important de (re)socialisation, a fonctionné dans ce champ aussi comme un catalyseur, même si cela a été en partie contradictoire. Dès 2008 toutefois, les événements de décembre ont surpris et ont été d’une certaine façon annonciateurs du retour des jeunes en politique, retour dont les étapes marquantes ont été les événements de 2011 et la présence politique de la jeunesse aux élections qui ont eu lieu au cours de cette crise.
La crise, facteur important de resocialisation
Si l’étude des jeunes permet à une société de formuler des hypothèses pour son avenir, la crise et surtout sa gestion -qui a créé pauvreté et misère avec des taux gigantesques de chômage chez les jeunes, et frappé cruellement le citoyen et la démocratie-, constituent des facteurs très importants de (re)socialisation. Dans ce sens, la crise non seulement a eu des conséquences beaucoup plus larges que la crise financière, mais aura aussi des conséquences à bien plus long terme que celle-ci, si nous acceptons l’idée que le pire de la récession passera dans des délais raisonnables. Les phénomènes, positions et conceptions culturels ont des durées beaucoup plus longues et les expériences de socialisation fortes comme celles engendrées par la crise actuelle, auront des conséquences à beaucoup plus long terme que la récession en elle-même, puisqu’elles créent des prédispositions politiques (Παντελίδου Μαλούτα 1987, 2012). Parallèlement la crise a de facto dévalorisé encore plus l’organisation sociopolitique existante, mais aussi l’hégémonie idéologique du principe néolibéral « moi je réussirai ». C’est ainsi que des sondages récents font apparaître comme fondée l’hypothèse que les jeunes qui ne participent pas, que nous avions considérés comme une génération ne s’intéressant qu’à « eux-mêmes », sont poussés vers un processus de réflexion qui pourrait aboutir à un désir de changer radicalement les conditions de coexistence sociale, considérées par ailleurs comme moralement inacceptables. Même des interventions politiques spontanées par ailleurs, sous la forme de manifestations de colère, peuvent contribuer à construire un « nous » qui pourrait évoluer vers une vision collective de changements.
Il est devenu évident, surtout dans les manifestations de protestation de 2011 à aujourd’hui, que les jeunes reviennent à la politique et parfois revendiquent une autre solution, reposant sur une autre conception de la coexistence collective. La question de savoir quel est ce « nous » qui se construit dans les protestations spontanées en situation de crise, notamment lors des heurts de 2001, continue cependant de faire l’objet d’études. Et si la motivation individualiste est souvent évidente, quand bien même il s’agit de manifestations de citoyens qui ne participent pas d’ordinaire, ces manifestations fonctionnent elles aussi comme facteurs de socialisation : le « nous » se construit par l’action et peut éventuellement évoluer dans un sens qui est inhérent à la démocratie, c’est-à-dire vers l’intérêt public, la solidarité et l’importance accordée à la solution collective des problèmes. L’expérience grecque depuis la crise de 2010-11 a montré de fait que, lorsqu’il y a également crise dans la représentativité, à côté d’un pourcentage important de citoyens tentés par l’abstention, le vote blanc ou le vote nul [1], il y a un pourcentage tout aussi important qui s’exprime directement. C’est-à-dire qui participe, en se mobilisant souvent grâce aux nouvelles technologies, en contournant les institutions politiques dévalorisées, dans des formes d’organisation horizontales, sur les places, dans les quartiers, etc. Sans que cela bien sûr signifie que ceux qui prônent l’abstention et ceux qui participent comme « indignés » et qui dénoncent, soient totalement différents. C’est peut-être quelque chose d’analogue, mais avec des prolongements sociologiques plus complexes et avec un rôle plus important de l’âge, que suggéraient les événements de décembre 2008 [2].
Il devient en tout cas évident grâce aux données de la recherche conduite par le Centre national de Recherches sociales au 1er semestre 2012 sur la crise, que ce sont les tranches d’âge les plus jeunes qui ont participé le plus aux assemblées populaires sur les places et aux rassemblements des « indignés » à Athènes : dans l’échantillon ayant fait l’objet de la recherche, 41,9% des jeunes de 18-24 ans, sur une moyenne de 35%, déclarent avoir participé aux rassemblements populaires place Syntagma ou dans les quartiers, et 50% sur une moyenne de 41,2% à des manifestations d’« indignés ». Tandis qu’en 2011 on enregistre déjà parmi les jeunes une tendance à une participation diverse et plurielle (participation désirée ou réelle), toutes les formes d’action y étant quasiment représentées (Κακεπάκη 2013), les élections de 2012 achèveront de donner l’image d’un retour des jeunes au processus politique, leur participation empruntant des canaux complexes et très diversifiés. Car s’il ne fait aucun doute que les places et les assemblées populaires ont contribué à l’ascension électorale du SYRIZA, l’intervention politique (jusque là directe) des jeunes n’a pas cessé avec la montée de ce parti. Au contraire, cette ascension s’est accompagnée dans une large mesure de l’acceptation par les jeunes de l’intervention politique institutionnelle.
Il est apparu parallèlement qu’au cours de la crise, la question du féminisme n’avait pas cessé pour autant. Les revendications liées au sexe constituent toujours un enjeu démocratique important tant que la langue continue d’être violemment sexiste, c’est-à-dire incapable de promouvoir et d’assimiler les changements dans la coexistence sociale, tant que les rôles et les modèles liés au sexe sont très différenciés, hiérarchisés, au détriment des femmes. Et ce, quand bien même les jeunes femmes considèrent souvent que cette inégalité les concerne moins (Παντελίδου Μαλούτα 2010). Et si la perspective du sexe semble être généralement absente des revendications et des manifestations de protestation que l’on note dans de nombreux pays à l’occasion de la crise, il est toutefois indispensable de souligner que les jeunes femmes sont de plus en plus visibles, présentes dans de telles manifestations, y compris dans les sociétés ayant les systèmes les plus traditionnels en termes de relations hommes-femmes, comme la Grèce. Cela est peut-être en soi l’indice le plus fort d’une revendication liée au sexe. De fait, si de façon générale, les femmes ont quelque retard dans les formes bien établies de participation politique, la recherche du CNRS sur la crise donne une image de très forte participation des jeunes femmes à tous les canaux de participation et aux formes alternatives de mobilisation, avec des taux similaires à celui des jeunes hommes (Κακεπάκη 2013).
Nous voyons de plus que les jeunes femmes de 15 à 29 ans retiennent à raison de 25%, contre 18,6% pour les jeunes hommes, comme motif pour participer aux protestations, le fait que cette participation est « un moyen de faire entendre ma voix » (Κακεπάκη 2013, 57). Les jeunes femmes devancent donc les jeunes hommes en ce qui concerne la justification de leur participation, en formulant un plus grand besoin de s’exprimer et de communiquer, comme d’ailleurs elles les dépassent dans une autre des huit catégories de réponses à propos de la motivation à participer : le désir de rencontrer d’autres personnes « qui partagent mes inquiétudes ». Justifications où se glisse une certaine critique du système politique et une demande (fût-elle embryonnaire) de démocratie participative.
Relevons pour ce qui est de la culture politique grecque, que le vote des jeunes femmes est plus orienté à gauche que celui des hommes, comme on l’avait également relevé par le passé (Παντελίδου Μαλούτα 1992) ; on le relève également pour Athènes à la sortie des urnes, avec le vote en faveur de SYRIZA : nous voyons que ce parti est choisi, lors des élections de janvier 2015, par 28,3% des hommes de 18-24 ans, contre 34,8% des femmes. Aux élections de juin 2012, 20,5% des hommes de 18-24 ans ont voté SYRIZA, contre 45,4% des jeunes femmes [3], et en mai 2012, 17,5% contre 26,3%. Mais de façon générale bien sûr, SYRIZA a toujours été un parti « féminin », tout comme Nea Dimokratia (sans que l’on observe toutefois de différences liées au sexe chez les jeunes de 2015), ou Potami. Ce dernier parti attire d’ailleurs plus fortement les femmes, 3,5% des très jeunes hommes votant pour lui contre 15% des très jeunes femmes. Inversement, le parti avant tout « masculin » d’Aube dorée (Chrysi Avgi) récolte en janvier 2015 les suffrages de 11,6% des jeunes hommes de 18-24 et 7,4% des femmes.
Canaux de participation des jeunes
Il est apparu avec évidence qu’il y a une demande particulièrement accrue de canaux de participation au delà des canaux habituels en période de crise. Il s’agit d’une observation qui a été faite il y a déjà longtemps dans d’autres sociétés. Nous savons par la littérature spécialisée que dans certaines sociétés, dès les années 70, parallèlement à la diminution de la participation politique classique, on a noté dans l’action une demande accrue pour de nouveaux canaux de participation. C’est le cas en particulier des jeunes citoyens, ayant une formation élevée, partisans d’un système de valeurs post-matérialiste, qui se situent au centre et à gauche de l’axe Gauche-Droite (Barnes, Kaase 1979, Kaase, Newton 1998). Dans le cadre de la culture politique grecque sous la crise, cette demande accrue et la diversité des modes de participation montrent que les jeunes font aujourd’hui une distinction fondamentale entre la dévalorisation du système politique dominant et la dévalorisation de la politique en général, qui engendre souvent l’indifférence politique. Qui plus est, comme le montrent les résultats électoraux de 2012 et de 2015, ainsi que les manifestations autour des élections, les jeunes dans l’ensemble acceptent l’idée que, au delà de l’action, rien ne peut se faire sans politique centrale et sans implication personnelle. C’est pourquoi, malgré quelques cas exprimant une hostilité politique envers des traits culturels qui minent la société grecque, et qui semblent intéresser au premier chef de jeunes hommes (phénomène actuellement stabilisé), nous pouvons dire que de façon générale, « les jeunes de la crise », et du fait de la crise, sont de plus en plus politisés, et que les indications pour leurs choix sont de plus en plus optimistes pour un avenir avec une participation plus grande et plus essentielle, et par là, pour plus de démocratie.
C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que les dernières manifestations de la société civile en Grèce remettent de plus en plus en cause le stéréotype « État hypertrophié – société civile atrophiée » (Βούλγαρης 2006, 7), tout en permettant de formuler l’hypothèse que désormais, aussi bien directement que via les canaux traditionnels, les jeunes peuvent s’exprimer et sont de plus en plus nombreux à s’exprimer politiquement. Cette dernière remarque est quelque chose de tout à fait nouveau pour ce qui est de l’implication politique des jeunes en Grèce, en particulier dans l’Athènes de la crise qui nous intéresse ici, et où nous observons que si la jeunesse revient à la politique, cela s’est fait d’abord par une participation directe, et ensuite via des canaux traditionnels, mais seulement après de grands bouleversements du système bien établi de la période post-dictatoriale fondé sur les partis. Ce retour toutefois, notamment pour ce qui est du processus traditionnel de la politique des partis, semble fragile et dépendre de certaines conditions, comme on peut le constater par la faible identification des jeunes aux partis (v. ci-dessous).
Différences intergénérationnelles dans l’engagement politique
Plus généralement, les changements intergénérationnels dans le comportement électoral, qui reflètent la période de socialisation de la formation politique fondamentale des différentes tranches d’âge, sont considérés, comme nous l’avons déjà relevé, comme les facteurs les plus importants de changement dans les systèmes politiques. Le fait est que les doubles élections de 2012 -qui ont à un tel point exacerbé les tendances préexistantes et remis en cause bien des certitudes que l’on a pu parler à très juste titre de « séisme électoral » (Βούλγαρης & Νικολακόπουλος 2014)- sont apparues comme l’un des éléments les plus importants de la fracture de l’âge que l’on a constatée chez SYRIZA en faveur des jeunes. Il convient de rappeler, en ce qui concerne les bouleversements observés lors des élections de 2012, que, en mai d’une part, 60% des électeurs ont modifié leur intention de vote par rapport à 2009, tandis que 19% des suffrages sont allés à un parti qui n’est pas entré au Parlement (Κουστένης 2014, 84-85), et d’autre part, que l’ascension de SYRIZA à la deuxième place s’est accompagnée de l’effondrement total du bipartisme traditionnel. Lors de cette même élection, auprès des jeunes électeurs votant pour la première fois, SYRIZA arrivait premier avec 16%, suivi par Chrysi Avgi avec 14% (Stathopoulos 2014, 67). Il est par ailleurs intéressant de noter que plus l’électeur est jeune, plus il prend sa décision au dernier moment, juste devant l’urne (Σταθόπουλος 2014, 76), tandis que les jeunes (18-24 ans) se caractérisent par une identification à un parti plus faible que les électeurs plus âgés, ce facteur augmentant régulièrement avec l’âge et étant bien sûr en corrélation directe avec le taux élevé des indécis de dernière heure. En même temps, l’expansion légèrement plus grande de l’identité de parti entre mai et juin 2012 (40,3% et 45,7%), chez les 18-24 ans continue d’être la plus basse de toutes les tranches d’âge [4], bien que nous voyions une légère augmentation chez eux aussi. Il est significatif que, alors que les plus jeunes (18-24 ans) constituent la plus grande catégorie en ce qui concerne le refus de se positionner sur l’axe Gauche / Droite, ce qui s’accorde avec les chiffres que nous voyons traditionnellement au cours des dernières décennies, pour la première fois depuis des années, selon les chiffres à la sortie des urnes, les plus jeunes se déclarent de gauche un peu plus massivement que la moyenne (qui est de 17,1%), mais aussi par rapport à leurs plus proches aînés, jusqu’à la classe des 35-44 ans : les 18-24 ans se déclarent de gauche à raison de 18,5% contre 17,6% pour les 25-34 ans et 15,5% pour les 35-44 ans, tandis que ce taux passe à 21,2% pour les 45-54 ans (Σταθόπουλος 2014, 79). En ce qui concerne le positionnement idéologique des jeunes, quelque chose a sans aucun doute changé avec la crise.
Il vaut la peine toutefois de relever en ce qui concerne le vote, que s’il y a un hiatus intergénérationnel dans le vote, comme on le soutient dans la littérature sur les élections de 2012, ce hiatus est étayé en séparant l’échantillon en deux groupes, soit à 54 ans (c’est-à-dire en constituant deux groupes d’électeurs, un de 18 à 54 ans et un autre de plus de 55 ans), soit à 44 ans (18-44 ans et plus de 45 ans) [5]. Il est vrai que les plus jeunes électeurs, sur la base des groupes ci-dessus, ont clairement voté plus massivement pour le changement dans le paysage partisan qui s’est dessiné avec l’augmentation du vote en faveur de SYRIZA, tandis que les plus âgés ont voté pour les partis traditionnels et surtout pour Nouvelle Démocratie. Mais cette coupure qui fait voir comparativement les tendances des jeunes et des moins jeunes, ne nous dit pas grand-chose sur le comportement électoral de la jeunesse per se. Il est beaucoup plus intéressant d’analyser isolément la jeunesse (18-34 ans), pour voir non pas les plus jeunes simplement, mais les jeunes.
Tableau 1 : Suffrages obtenus par Nouvelle Démocratie (ND) et SYRIZA (%), mai et juin 2012, et janvier 2015 (Attique)
Source : Exit poll commun de sociétés ayant collaboré. Traitement statistique P. Koustenis.
Nous observons en l’occurrence que : dans les trois élections de mai 2012, juin 2012 et janvier 2015, si nous divisons l’échantillon en trois, c’est la catégorie moyenne des 35-54 ans qui présente le plus grand pourcentage de votes en faveur du SYRIZA : nous avons respectivement 23% (moyenne 21%), 36,7% (moyenne 30,8%) et 39,5% (moyenne 36,9%). Quant aux jeunes (18-34 ans), ils ont voté SYRIZA à raison de 21,7%, 32,2% et 33,2%. Ce sont par conséquent les électeurs d’âge moyen qui ont donné la victoire au SYRIZA à Athènes, et non les jeunes, qui en janvier 2015 ont voté pour ce parti selon un taux inférieur à la moyenne, qui plus est avec des différences qui méritent d’être relevées selon le sexe. De même, dans les trois élections, Nouvelle Démocratie a reçu le plus de voix de la part des électeurs les plus âgés. Quant à l’abstention, l’identité politique relativement plus faible des jeunes et le refus de s’autopositionner sur l’axe Gauche / Droite qui est plus grand que pour les plus âgés, laisse prévoir une abstention relativement plus grande de la jeunesse.
Si nous considérons les deux groupes d’âge des jeunes, les 18-24 ans et les 25-34 ans, avec comme point de référence leur vote aux élections de janvier 2015, nous observons qu’à l’intérieur de cette tranche d’âge, ce sont les moins jeunes, c’est-à-dire les 25-34 ans, surtout chez les hommes, qui ont voté plus massivement pour SYRIZA.
Tableau 2.1 : Résultats des élections de janvier 2015 selon le sexe et l’âge % (Attique)
Tableau 2.2: Résultats des élections de janvier 2015 selon l’âge % (Attique)
Source : Exit poll commun de sociétés ayant collaboré. Traitement statistique P. Koustenis.
Nous voyons également que dans presque toutes les tranches d’âge, les femmes ont voté plus massivement pour SYRIZA que les hommes, les 18-24 ans ayant même une avance de 6,5 points. L’autre pôle de la gauche, le KKE (PC) reçoit autant de suffrages des femmes que des hommes de façon générale, mais obtient le plus grand score chez les plus de 55 ans, avec une image inattendue (qui soulève des questions) selon le sexe, avec l’explosion du pourcentage des jeunes femmes qui votent pour le PC à 9,7%, contre 1,8% à peine pour les jeunes hommes. Il convient d’ajouter que lors de ces élections, la moitié environ des jeunes hommes et 60% environ des jeunes femmes ont fait leur choix le jour des élections ou dans la semaine précédente, selon les chiffres de l’exit poll commun des sociétés qui ont collaboré à cet effet.
En ce qui concerne l’influence de la classe sociale pour le choix électoral des jeunes, il est difficile de tirer des conclusions, du fait de la taille réduite de l’échantillon lors des récents sondages à la sortie des urnes. Nous pouvons toutefois dire que si en 2007, la jeunesse des couches sociales supérieures (selon une répartition géographique grossière de leur domicile) a voté SYRIZA à des taux légèrement inférieurs au total des habitants des quartiers correspondants, aussi bien lors des élections de juin 2012 que lors de celles de janvier 2015, au contraire, les jeunes des banlieues nord, du secteur Est de la municipalité d’Athènes et de la zone littorale ont voté en faveur de SYRIZA de façon clairement plus massive que les autres tranches d’âge des mêmes quartiers. Ce qui constitue un indice d’une radicalisation accrue des jeunes des classes moyennes et supérieures. Dans la zone Ouest de la ville, la répartition des suffrages favorables au SYRIZA en fonction de l’âge lors des élections de juin 2012 et de janvier 2015 montre des fluctuations moindres.
Quant au référendum, il semble que la participation des jeunes au « non » ait été extrêmement grande, autour de 80% pour les 18-24 ans et de 70% pour les 25-34 ans. Ces scores très élevés sont liés au fait que les jeunes, qui se sont déjà impliqués massivement dans les processus de démocratie directe (assemblées populaires sur les places, mouvement des « indignés », etc.), ont senti que le processus politique institutionnalisé, pour la première fois peut-être, les prenait en compte. Ils ont été invités à participer à un processus politique dans lequel des représentants mandatés et comptables (et non des membres du gouvernement ou des représentants qui agissent sans contrôle) leur demandent directement leur avis. Ce résultat a été possible bien sûr à cause de l’élément national, le sentiment que l’on portait atteinte à la souveraineté nationale et que la souveraineté populaire était bafouée. En tout cas, preuve a été faite que le processus politique regagne la jeunesse et la conservera seulement lorsqu’il est et apparaît comme essentiellement démocratique.
Il est intéressant de remarquer que le « non » massif des jeunes n’a pas déçu ni éloigné les jeunes malgré le traitement qui lui a été réservé, comme l’ont démontré les élections de septembre 2015. Nonobstant la question de l’abstention (pour des raisons liées à l’incapacité d’avoir une image précise sur la base des registres électoraux, et bien que l’abstention ait été certainement sensiblement plus grande en septembre qu’en janvier), il convient de relever que l’on n’a pas observé lors de ces élections, dans le vote en faveur du SYRIZA, l’écart important en faveur des 35-54 ans (39,5%) que l’on avait observé en janvier, en comparaison des 18-34 ans (33,2%). La segmentation en trois groupes a donné au contraire 38,3% et 35,6% respectivement pour l’Attique (sur la base des chiffres de l’exit poll commun). Qui plus est, si nous procédons à une segmentation plus fine, nous voyons que pour la première fois, les très jeunes (18-24 ans) ont voté à plus de 43% en faveur du SYRIZA, tandis que pour la première fois, plus de la moitié des jeunes femmes (18-24 ans) lui ont accordé leur suffrage (54,2%).
Tableau 3.1: Résultats des élections de septembre 2015 selon le sexe et l’âge % (Attique)
Tableau 3.2: Résultats des élections de septembre 2015 selon l’âge % (Attique)
Source : Exit poll commun de sociétés ayant collaboré. Traitement statistique P. Koustenis.
L’avance de la catégorie d’âge la plus jeune sur toutes les autres en ce qui concerne le vote en faveur du SYRIZA est impressionnante, chez les hommes (avec des hauts et des bas) mais avant tout et de loin, chez les femmes. Globalement c’est la première fois que l’on observe dans la jeunesse que la tranche des 18-24 ans choisit le parti en tête plus massivement que toutes les autres tranches d’âge, marquant ainsi un retour des jeunes vers la Gauche, qui rappelle les décennies précédentes, c’est-à-dire les générations précédentes [6]. Relevons par ailleurs que la même courbe de corrélation âge-vote SYRIZA se retrouve sur l’ensemble du territoire, le maximum de la tranche d’âge la plus jeune étant observée en Attique. Cela est également un résultat important qui indique le retour des jeunes, surtout en ce qui concerne la question « quelle jeunesse ». Il n’y a plus de différence essentielle entre Athènes et le reste du pays, du fait de l’avance du SYRIZA lors des élections de septembre également dans le monde rural, tandis que tous les indices soutiennent l’hypothèse d’une radicalisation des jeunes. Si nous regardons globalement le vote en faveur de la Gauche, il apparaît que pour l’Attique, plus de 50% des jeunes ont fait ce choix, les femmes dépassant même les 60%. Les pourcentages du reste du pays ne semblent pas significativement plus bas. Parallèlement SYRIZA a confirmé une nouvelle fois sa position de premier parti « féminin », et tandis qu’il perdait une partie de son électorat masculin de septembre (-3,2), il le regagnait du côté des femmes. (+1,9). Enfin, malgré nos observations sur la radicalisation des jeunes des classes sociales moyennes et supérieures, il semble que sur l’ensemble du corps électoral le clivage social se soit intensifié dans la cuvette athénienne [7].
En conclusion, nous pouvons dire que si la crise a intensifié les tensions préexistantes dans le contexte de la culture politique grecque sous plusieurs aspects, il semble bien que pour d’autres elle fonctionne comme inhibiteur voire comme inverseur des tendances. Quant à la jeunesse, il semble que l’arrêt mis à l’indifférence politique qui semblait se préciser dès 2008, s’intensifie, ce qui se traduit par un retour des jeunes à la politique dans l’Athènes de la crise. Et si l’érosion préexistante des relations citoyens-partis semble s’aggraver durant la crise et pour beaucoup d’entre eux, constituer une véritable rupture, de nouvelles identités de partis font leur apparition, de nature différente peut-être, mais sûrement avec d’autres connotations de valeurs. Les jeunes désormais interviennent dans le processus politique, non seulement en offrant un démenti au modèle de la jeunesse apolitique, mais aussi en s’impliquant de façon dynamique aussi bien par des canaux modernes et de façon directe que désormais aussi via les piliers traditionnels de la démocratie et du parlementarisme que sont les partis politiques, mais des partis qui contestent le bipartisme bien établi d’après la dictature. Les plus jeunes d’Athènes, les 18-24 ans, sont massivement présents, qui plus est, sont au premier rang de cette tendance. Le processus de resocialisation a commencé de façon dynamique, et les résultats sont déjà visibles en bien des endroits, et tout d’abord à Athènes. Toutefois, tout n’est pas acquis. Au contraire tout cela reste fragile, soumis à des conditions et en perpétuelle renégociation. Cela justifie la question de savoir s’il s’agit vraiment d’un changement, qualitatif et quantitatif, dans les intentions participatives des jeunes, ou s’il s’agit d’une expression partielle, conjoncturelle d’une manière différente d’être citoyen, adoptée depuis des années par les jeunes. Si nous tenons compte qu’il s’agit d’une génération politique habituée avant tout à s’exprimer elle-même et à formuler une opinion sur ce qui lui plaît ou non, qui veut bien s’impliquer dans ce qui la concerne et recherche avant tout une autonomie individuelle, il convient de souligner que si les jeunes participent à nouveau et en masse, au fonctionnement de la démocratie parlementaire, cette dernière doit avant tout ne pas les décevoir pour les retenir. C’est-à-dire les convaincre continuellement et de diverses façons que leur participation compte, et que par conséquent, le processus politique établi « les concerne ».
[1] Environ 1/3 du total, d’après les estimations de sondages, selon G. Mavris, responsable de Public Issue, dans une interview au quotidien Avgi, 10 juillet 2011.
[2] V. par exemple, Vradis, Dalakoglou 2011, Kalyvas 2010, et Johnston, Seferiades 2012, pour décembre 2008 à Athènes.
[3] Ce pourcentage semble exagéré. On a vérifié plusieurs fois sa validité ; toutefois le petit nombre absolu impose des réserves, bien qu’il décrive la tendance avec certitude.
[4] V. les données dans les tableaux fournis par Stathopoulos, (Σταθόπουλος 2014, 76), sur la base des chiffres de deux exit polls.
[5] Pour le premier cas, v. Voulgaris, Nikolakopoulos (Βούλγαρης & Νικολακόπυλος 2014, 27), pour le second, Stathopoulos (Σταθόπουλος 2014, 72). La première segmentation semble plus adéquate pour mai, la seconde pour juin 2012.
[6] De toute évidence, les chiffres du tableau ci-dessus offrent quantité d’informations, comme ceux de janvier 2015, qui ont été inexploitées ici, puisque nous avons utilisé seulement les chiffres nécessaires à étayer l’argumentation principale.
[7] Selon les calculs de Nikolakopoulos à partir des résultats officiels des élections. Quotidien Ta Nea, 22 / 09 / 2015.
Référence de la notice
Pantelidou Maloutas, M. (2015) Jeunesse et politique : Engagement politique des jeunes dans l’Athènes de la crise, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/jeunesse-et-politique-ii/ , DOI: 10.17902/20971.20
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
References
- Βούλγαρης Γ (2006) Κράτος και κοινωνία πολιτών στην Ελλάδα. Μια σχέση προς επανεξέταση. Ελληνική Επιθεώρηση Πολιτικής Επιστήμης 28: 5–33.
- Βούλγαρης Γ και Νικολακόπουλος Η (επιμ.) (2014) Ο διπλός εκλογικός σεισμός. Αθήνα: Θεμέλιο.
- Κακεπάκη Μ (2013) Είναι ένας νέος τρόπος να ακουστεί η φωνή μου: έμφυλες διαστάσεις της συλλογικής και ατομικής δράσης στην Αθήνα της κρίσης. Ελληνική Επιθεώρηση Πολιτικής Επιστήμης 41: 35–59.
- Κουστένης Π (2014) Αποδόμηση και αναδόμηση των εκλογικών ταυτίσεων. Η κοινωνιολογική ανίχνευση του λεκανοπεδίου. Στο: Βούλγαρης Γ και Νικολακόπουλος Η (επιμ.), Ο διπλός εκλογικός σεισμός, Αθήνα: Θεμέλιο, σσ 83–123.
- Παντελίδου Μαλούτα Μ (1987) Πολιτικές στάσεις και αντιλήψεις στην αρχή της εφηβείας. 1η έκδ. Τσαούσης ΔΓ (επιμ.), Αθήνα: Gutenberg.
- Παντελίδου Μαλούτα Μ (1992) Γυναίκες και πολιτική. Αθήνα: Gutenberg.
- Παντελίδου Μαλούτα Μ (2012) Πολιτική Συμπεριφορά: Θεωρία, Έρευνα και Ελληνική Πολιτική. Αθήνα: Σαββάλας.
- Παντελίδου Μαλούτα Μ (2010) Αλλαγές στις πολιτικές αντιλήψεις των νέων γυναικών στο τέλος του 20ου αιώνα. Στο: Καραμανωλάκης Β, Ολυμπίτου Ε, και Παπαθανασίου Ι (επιμ.), Η ελληνική νεολαία τον 20ο αιώνα, Αθήνα: Αρχεία Σύγχρονης Κοινωνικής Ιστορίας, Ινστιτούτο Ν. Πουλαντζάς, Θεμέλιο, σ 470.
- Σταθόπουλος Π (2014) Απορύθμιση του κομματικού συστήματος. Στο: Βούλγαρης Γ και Νικολακόπουλος Η (επιμ.), Ο διπλός εκλογικός σεισμός, Αθήνα: Θεμέλιο, σσ 61–81.
- Barnes SH and Kaase M (1979) Political action: Mass participation in five western democracies. London: Sage Publications.
- Johnston H and Seferiades S (2012) The Greek December, 2008. In: Seferiades S and Johnston H (eds), Violent Protest, Contentious Politics, and the Neoliberal State, Surrey, Burlington: Ashgate, pp. 149–156.
- Kaase M and Newton K (1998) Beliefs in government. Kaase M and Newton K (eds), New York: Oxford University Press.
- Kalyvas A (2010) An anomaly? Some reflections on the Greek December 2008. Constellations, Wiley Online Library 17(2): 351–365.
- Vradis A and Dalakoglou D (eds) (2011) Revolt and crisis in Greece. AKPress, Occupied London, Oakland, Baltimore, Edinburgh, London, Athens: AK Press & Occupied London.