Koukaki à travers le regard de sept de ses habitants : Un lieu de résidence et de passage
Dimitropoulos Giorgos
Histoire, Quartiers, Structure Sociale
2020 | Avr
Koukaki s’étend de la rue Dionysiou Areopagitou à la place Koundourioti (« aire de jeux ») et de la lisière du mont Philopappos à l’avenue Syggrou (Carte 1). Il s’agit d’une zone chargée d’une longue histoire, et, au cours des décennies récentes, d’importantes mutations : la piétonisation de deux rues centrales, puis l’arrivée de deux stations de métro, l’ouverture du nouveau Musée de l’Acropole, et plus récemment, l’apparition du phénomène Airbnb et l’intensification des activités de loisir. Ces évolutions sont ici abordées à travers le regard de sept habitants du quartier, ayant chacun un parcours, une expérience et une perception différente du quartier et de ses transformations.
Carte 1: Le quartier de Koukaki
« Koukaki » était le nom désignant initialement la zone proche de l’intersection entre les rues Veïkou et Dimitrakopoulou, et la rue Georgaki Olympiou (Carte 1), où se trouvait la maison de Koukaki, un fabricant de lits en fer (Γιοχάλας & Καφετζάκη, 2012). De l’aire de jeux qui se trouve au bout des rues Veïkou et Dimitrakopoulou et qui constitue le « sas d’entrée » de Koukaki au Sud-Ouest, jusqu’au début de Petralona, cette zone est mentionnée dans la bibliographie sous le nom de « Philopappou » (Βουγιούκα & Μεγαρίδης, 2006), toponyme dont l’usage a nettement régressé de nos jours. De l’autre côté, au Nord-Est, Koukaki voisinait avec le quartier de « Gargaretta », qui s’étendait de la rue Notis Botsaris jusqu’à l’église d’Aghios Ioannis, au-delà desquelles s’étendait le quartier de « Makriyanni ». Au cours des dernières décennies, ces quatre quartiers (Koukaki, Philopappou, Gargaretta et Makriyanni) sont généralement désignés sous le nom de Koukaki, et seul le quartier « Makriyanni » continue d’être ainsi nommé par de nombreuses personnes jusqu’à aujourd’hui.
En flânant dans ces quartiers, on s’aperçoit que leur caractère est en train de se modifier. Il y a encore une ou deux décennies, la distinction de classe y était nettement sensible. « L’image changeait progressivement à mesure que l’on descendait de Philopappou vers Syggrou, et totalement si l’on passait en face à Dourgouti », se souvient monsieur A., universitaire à la retraite et habitant du quartier depuis plus de 50 ans. Une différence de classe équivalente se remarquait également le long de la ligne virtuelle courant des limites du quartier de Koukaki en direction de Plaka, jusqu’aux limites du quartier en direction de Kallithea [1].
Les rues Zacharitsa et Tsami Karatsou constituent aussi une limite virtuelle, puisqu’au nord de celles-ci n’existent presque exclusivement que des habitations, tandis qu’au sud d’autres usages du foncier existent, par exemple le long des rues centrales Veïkou et Dimitrakopoulou, les deux principaux axes commerçants du quartier. « Au-delà de ça, les habitations elles-mêmes sont différentes au nord de Zacharitsa, puisqu’il y a là-bas beaucoup plus de pavillons, tandis qu’au contraire, entre Zacharitsa et Syggrou les immeubles sont plus nombreux » relève Madame B., sociologue, locataire d’un appartement dans la rue en question depuis 1968 et habitante du quartier depuis encore plus longtemps.
Photos 1-4: Au-dessus de la limite imaginaire des rues Zacharitsa et Tsami Karatasou
Source: G Dimitropoulos 2020
Photos 5-8 : Sous la limite imaginaire des rues Zacharitsa et Tsami Karatasou
Source: G Dimitropoulos 2020
Koukaki a toujours été un quartier principalement résidentiel. La présence des commerces est limitée, dans leur grande majorité, aux deux principaux axes routiers, la rue Veïkou et la rue Dimitrakopoulou. Cependant, ces deux rues aussi sont principalement des rues résidentielles, puisqu’au dessus des magasins situés dans les rez-de-chaussées se trouvent des immeubles d’appartements et pas de bureaux, services ou autres activités. La densité de peuplement de ces deux rues commerçantes centrales dès les années 1980, est bien connue de chaque personne qui était alors enfant. Le fait de chanter les chants de Noël tout au long des immeubles de Veïkou et de Dimitrakopoulou était une entreprise sans fin mais aussi très rentable. Un peu plus bas, la rue Falirou, première rue parallèle à l’avenue Syggrou, où prolifèrent aujourd’hui les bars et les cafés, était il y a encore peu d’années un endroit rempli de garages et d’ateliers de tôlerie qui semblait avoir été transplanté de Neos Kosmos pour être installé ici.
Photos 9-11: Changement d’utilisation, avant et après
Source: G Dimitropoulos 2020
L’immeuble est plus globalement le genre de bâtiment qui domine à Koukaki, comme d’ailleurs dans la plupart des zones centrales d’Athènes. En dépit du grand nombre de pavillons que l’on remarque aujourd’hui encore en lisière du mont Philopappos, les immeubles constituent la plus grande part du parc de bâtiments de Koukaki, la plupart construits au cours des décennies 1960 et 1970. Madame B. affirme qu’ « en deçà de la rue Tsami Karatasou, il n’y a rien qui présente un intérêt architectural ». En effet, à peu d’exceptions près, les immeubles de Koukaki ne constituent pas de « hauts » exemples du modernisme athénien, tels que ceux que l’on peut rencontrer à Kolonaki, sur l’avenue Vassilissis Sophias, dans la rue Mavromataion et ailleurs, et n’ont évidement aucun rapport, en dehors de leur proximité, avec les bâtiments qui « ornent » Dionysiou Areopagitou.
Photo 12: Un immeuble résidentiel exprimant le modernisme athénien
Source: G Dimitropoulos 2020
Koukaki était un quartier à dominante moyenne-bourgeoise, clairement plus opulente économiquement à mesure que l’on remonte les contreforts de Philopappou. Les habitants, à en croire Monsieur A., « sans les qualifier d’aristocrates, étaient ce que nous appelions des bonnes familles ». Monsieur G., architecte et agent immobilier, 40 ans, habitant du quartier depuis au moins sa naissance, ajoute qu’« auparavant, c’était un quartier bon marché, pas sur les flancs de Philopappou, mais du côté de Syggrou. Pour cette raison, il a attiré au cours des années 1990 un assez grand nombre d’immigrés économiques, surtout albanais. Aujourd’hui j’en vois beaucoup moins ».
Même si les deux rues centrales Veïkou et Dimitrakopoulou ont toujours eu de nombreux commerces, la plupart d’entre eux « étaient des micro-magasins répondant à des besoins de base », selon Madame B., qui ajoute que « les habitants de Koukaki dépendaient beaucoup pour leurs achats du centre d’Athènes et de Kallithea ». Le voisinage du quartier avec ces deux grands centres commerciaux limitait la nécessité de développer ses propres commerces. Pour un habitant de Koukaki, il était très facile de prendre le trolley et de faire ses courses ailleurs. D’ailleurs, la desserte de Koukaki, en particulier vers le centre, a toujours été bonne, puisqu’il était possible de s’en approcher à l’aide de trois différentes lignes de trolley, et plus récemment du métro. Monsieur E., comptable retraité, a choisi de s’installer à Koukaki peu après 1980, l’une des raisons en étant, comme il le dit, son excellente desserte et la facilité pour lui et son épouse de se rendre au travail.
Selon un sentiment généralisé parmi les habitants, tel qu’il ressort d’une majorité des entretiens, mais à travers également l’expérience de l’auteur en tant qu’habitant du quartier, un grand nombre de gens de lettres et des arts résident à Koukaki. Leur présence est visible mais il est difficile d’estimer s’ils s’y trouvent en plus grand nombre que dans les autres quartiers centraux. Selon Madame B., « même si différents artistes et intellectuels résident à Koukaki, il n’y a pas d’émulation culturelle particulière. Ils habitent ici mais on ne les verra pas faire une prise de parole ou une présentation quelconque ». Monsieur I. est un libraire très connu du quartier et sa boutique (qui n’a pas toujours été située à son emplacement actuel) est ouverte depuis 1970. Il considère que ce phénomène se produit aussi dans d’autres endroits où peuvent vivre des artistes et des écrivains, leurs activités culturelles étant surtout hébergées dans le centre d’Athènes. Interrogé sur les raisons pour lesquelles il n’existe aucune librairie du même type dans le quartier, Monsieur I. se souvient : « Un jour le romancier Nikos Panagiotopoulos est passé ici, c’était un client de la librairie, avec un peintre célèbre qui m’a dit : Tu es le dernier libraire quand on descend la rue. A partir d’ici jusqu’à Patras, il n’y a rien » ! « Les habitants de Koukaki, je ne peux pas dire qu’ils lisent énormément », ajoute-t-il. « Avant, je vendais moins. Pour les livres, ils allaient tous dans le centre parce qu’il y avait des réductions. Quand j’ai commencé les réductions moi aussi, j’ai commencé à vendre plus. Je propose tous les éditeurs et tous les genres, c’est pour ça que j’ai un bon stock. Évidement les gens achètent des best-sellers, malheureusement, mais même le livre le plus pointu sera vendu ».
Un changement important dans le quartier de Koukaki a été la piétonisation de deux rues centrales au cours des quatre années allant de 1987 à 1991. Au début, de la rue Drakou, dans le quartier de Gargaretta et, deux ans plus tard environ, de la rue Georgaki Olympiou dont le croisement avec la rue Veïkou était le cœur du quartier (et le noyau le plus ancien) de Koukaki. Et les deux rues (aujourd’hui piétonnes) sont perpendiculaires aux deux axes routiers centraux de Veïkou et de Dimitrakopoulou. Peu après la piétonisation, les premiers cafés ont commencé timidement à faire leur apparition. Auparavant, les lieux où l’on pouvait se poser à Koukaki étaient rares. « C’était plutôt des cafés à l’ancienne, avec quelques personnes âgées qui jouaient au tavli ou aux cartes et aucune femme », se souvient Madame B. « Un café de ce type existait dans la rue Drakou, à l’angle de Dimitrakopoulou. Il n’avait aucun rapport avec les établissements actuels dans cette rue. Dans la rue Drakou, avant la piétonisation, il y avait une file de stationnement pour les taxis, et le café, en dehors des habitués, servait aussi les conducteurs de taxi qui attendaient les clients ». Ce café a fermé quand les travaux de piétonisation ont commencé et lui a succédé dès la fin des travaux en 1988 un café-glacerie de type italien, le Firenze, qui « était le premier établissement à attirer des personnes extérieures au quartier », selon Madame B. Au cours des sept années suivantes, la rue piétonne de Drakou devint désormais le centre de Koukaki.
Elle a cessé d’être le « cœur » de Koukaki beaucoup plus tard. Avec la construction du nouveau Musée de l’Acropole à Makriyanni en 2009, la rue éponyme a également été piétonnisée. « Cette nouvelle rue piétonne a privé la rue Drakou de beaucoup de monde », note Monsieur G. « A cause du musée et de la piétonisation de la rue Dionysiou Areopagitou, la rue Makriyanni, au-delà des gens du quartier ou des touristes, attire aussi énormément d’habitants des autres quartiers qui ne sont pas des habitués, mais viennent simplement faire un tour une fois de temps en temps » dit Madame B.
La rue piétonne de Georgaki Olympiou, même si elle comptait dès l’origine un petit nombre de cafés, s’est « développée » beaucoup plus tard, se modifiant radicalement entre 2011 et 2014. Monsieur G. se souvient : « Les changements, je m’en suis surtout rendu compte au cours de la période où je vivais à Berlin (2010-2016), parce que je ne voyais pas Koukaki au quotidien. C’était le début de la crise et à l’endroit où je vivais, près de Georgaki Olympiou, je voyais partout des boutiques fermées sans locataires. Mais, d’un autre côté, à chaque fois que je revenais, il y avait, surtout à Olympiou, un nouvel établissement que je voyais pour la première fois. Jusqu’alors, cette rue piétonne comptait seulement deux cafés, dans lesquels nous allions souvent ». Une hypothèse possible est que la préférence des gens pour la rue piétonne de Makriyanni et la perte de vitesse de celle de Drakou ont favorisé la création de lieux de loisirs dans la rue piétonne de Georgaki Olympiou. Quand Drakou était « à la mode », les habitants des alentours d’Olympiou pouvaient marcher jusque là-bas, à dix minutes environ de distance, pour prendre leur café. En revanche, le fait de marcher autant de temps en plus pour atteindre Makriyanni a pu leur sembler excessif, et un besoin a ainsi émergé d’ouvrir de nouveaux lieux de rencontre dans ce secteur, plus près de leurs domiciles. L’autre possible hypothèse est que puisque la plupart des établissements de loisir de Georgaki Olympiou ont ouvert pendant la crise, ils étaient de par leur identité directement adaptés à l’incapacité financière de leurs clients. En toute hypothèse, les piétonisations ont radicalement changé l’image du quartier et on peut dire avec certitude que les changements ultérieurs, tels que le développement des lieux de loisirs, ne seraient pas survenus si les trois rues centrales susdites étaient demeurées asphaltées jusqu’à aujourd’hui.
Photos 13-16: Rues piétonnes Drakou et Georgaki Olympiou
Source: G Dimitropoulos 2020
En 2000, cette zone était parmi les premiers quartiers d’Athènes à recevoir le métro, et qui plus est à être desservie par deux stations (station de Syggrou-Fix et station Akropoli). Malgré le fait que les communications en direction et à partir du centre étaient déjà bonnes, le métro a progressivement rendu possible, à mesure que les stations étaient ouvertes ailleurs, d’accéder facilement à Koukaki pour une foule d’habitants de différents quartiers. « C’est un des plus grands changements dans notre quartier » dit madame B., tandis que Monsieur G. ajoute que « ça a été le catalyseur d’autres changements plus tard. Par exemple, Airbnb ne se serait pas développé à ce point si les appartements n’avaient pas été proches du métro ». Monsieur E. dit aussi : « mes amis du village, quand ils veulent se rencontrer à Athènes, arrivent tous d’endroits différents à la station Syggrou-Fix, car ça les arrange tous ».
La construction du nouveau musée de l’Acropole a apporté un grand changement au quartier. Madame B. remarque qu’avant la création du musée « Koukaki n’était pas un quartier touristique. Il y avait quelques hôtels mais les autocars arrivaient jusqu’à Dionysiou Areopagitou ». Dans le même esprit, Monsieur G. ajoute : « il déplacé les gens de Dionysiou Areopagitou et les a fait venir un peu plus bas, ce qui se remarque dès le bout de la rue Veïkou, jusqu’à Aghios Ioannis ». Pourtant, madame B. note qu’en même temps que cette population, « il a aussi apporté un problème de circulation, de pollution et de manque de places de stationnement ». Monsieur D. est un médecin de 42 ans, habitant du quartier depuis sa naissance. En parallèle, il travaille dans la boutique que tient sa famille depuis 1963 à Gargaretta. Aux antipodes de l’opinion qui précède, il voit le musée « comme un bijou pour le quartier, moderne, qui nous remplit de fierté ». Indépendamment du jugement de chacun, il est certain que le triangle Chatzichristou/Robertou Galli – Makriyanni – Dionysiou Areopagitou, qui était à une certaine époque un endroit exceptionnellement calme, est devenu l’un des plus fréquenté et attractif, non seulement de Koukaki mais d’Athènes en général.
Les deux changements les plus récents à Koukaki, qui ont eu lieu après le déclenchement de la crise économique, ont été la transformation évoquée plus haut de Georgaki Olympiou en « spot » très vivant et l’apparition et la généralisation d’Airbnb. Monsieur E. fait remarquer que le quartier était idéal pour Airbnb, puisqu’il se trouve à proximité des monuments autant que du métro. Monsieur G. ajoute que « dès le début, avant que le phénomène prenne de l’ampleur, du fait que Koukaki était une zone relativement peu chère, peut-être que les tarifs d’Airbnb étaient compétitifs, ce qui a permis à Koukaki de grimper à la cinquième place mondiale des quartiers préférés des usagers d’Airbnb ». Monsieur D. considère ce phénomène comme une évolution très positive pour le quartier : « le fait de voir des touristes venir vivre dans des logements situés dans notre immeuble ou autour de lui, parmi nous, n’est pas négatif. Ce sont des gens qui apportent à Koukaki, qui ont à lui donner, à le voir puis à le faire connaître à leurs proches quand ils rentrent chez eux. Et rien que pour cette publicité, ça vaut la peine d’avoir Airbnb ». Madame B. maintient ses réserves : « Des gens qui résident depuis de nombreuses années à Koukaki comme locataires risquent de se faire mettre à la porte, ou vivent dans la crainte de voir leur loyer augmenter de manière très importante. De plus, les touristes qui arrivent ne dépensent pas obligatoirement leur argent dans les magasins du quartier. Ils peuvent se procurer tout ce dont ils ont besoin dans une chaîne de supermarché et pas dans un commerce de Koukaki ». Monsieur D. affirme pourtant que beaucoup de touristes visitent sa pâtisserie familiale. « Ces gens cherchent plusieurs heures par jour pour voir ce qu’il y a autour de leur hébergement. En marchant, ils voient des magasins, entrent, demandent, apprennent, achètent. Ils dépensent du temps et de l’argent dans les magasins et les lieux de restauration qui se trouvent à proximité de leur lieu d’hébergement ».
Photos 17-19 : Traces de locations à court terme
Source: G Dimitropoulos 2020
Selon le propriétaire d’un salon de coiffure de Georgaki Olympiou, la mesure dans laquelle une boutique augmente sa clientèle grâce à Airbnb dépend du produit proposé. « Les filles du bar-café d’à côté ont installé à la va-vite une cuisine de façon à servir des petits déjeuners et des brunchs à l’intention des touristes d’Airbnb. Moi, par contre je continue à couper les cheveux de ceux à qui je le faisais auparavant » [2].
Monsieur E. estime que « chaque immeuble comporte un appartement Airbnb » et s’inquiète du sentiment d’insécurité que cela peut créer. « Tu ne sais pas qui habite à côté de chez toi. Et en plus, certains d’entre eux peuvent ne pas respecter les règles de bonne cohabitation, sur le plan de la tranquillité et de la propreté ». Pour monsieur G., qui ne travaille pas dans le quartier mais y est présent en tant qu’agent immobilier, le phénomène est pour l’essentiel positif mais nécessite un cadre réglementaire plus strict, de façon à ce que les nombreux avantages ne s’accompagnent pas de conséquences néfastes. « A Berlin où je vivais jusqu’à récemment, le phénomène s’est énormément étendu, pas dans des zones particulières mais sur l’ensemble de de la ville, rendant presque impossible de trouver un logement permanent. Des mesures ont été prises, qui ont porté leurs fruits. Et maintenant, on peut trouver à la fois un Airbnb en tant que touriste mais aussi un logement permanent en tant qu’habitant de la ville ». Monsieur G. ne s’inquiète pas de la possible mutation du quartier et de sa transformation en zone touristique : « Je pense que pour l’instant, ça reste équilibré. Il y a encore un fort pourcentage de propriétaires résidents à Koukaki ».
Une des conséquences des transformations survenues ces dernières années à Koukaki, est le fait qu’ouvrent de plus en plus de lieux de loisirs, et plus seulement dans les rues piétonnes très fréquentées que nous avons évoquées plus haut. « Falirou, la rue des carrossiers et des garages, est désormais la rue des bars » fait remarquer Madame B. Pour certains de nos interlocuteurs, la possibilité que les rues Makriyanni, Drakou et Olympiou ne soient « réunies », une fois les rues perpendiculaires à celles-ci remplies de lieux de loisirs, commence à sembler sérieuse. « La vocation de Koukaki évolue» dit de manière mélancolique Madame B. « D’un lieu résidentiel, il devient un lieu de passage ». Au premier abord, un établissement de loisirs avec de petites tables et chaises peut inciter à se poser et y rester un moment, pour couper un peu sa promenade. Un magasin de produits de première nécessité a tout l’air d’un élément faisant totalement partie intégrante de son trajet. Cependant, il y a là un paradoxe : les nombreux lieux « pour se poser » forment finalement un passage dans lequel on peut s’arrêter sans pour autant s’enraciner. Madame Z., poétesse et habitante de Drakou, pense que les cafés ont renforcé l’esprit de quartier. « Nous avons fait la connaissance les uns des autres entre voisins. Nous avons parlé de tous les sujets, légers ou plus graves, joué au tavli, mais aussi entamé des luttes. De belles luttes pour notre quartier, et sans affiliation partisane. Certaines avec succès, d’autres non. Nous avons créé le Club de l’Amitié, tenté sans succès de faire éloigner les antennes de téléphonie mobile, réussi à imposer un feu pour les piétons à Syggrou ». « Demande-lui de te raconter comment on a tous été faire des plantations dans notre petit jardin », avait incité auparavant monsieur E. [3].
Les centres urbains les plus vivants sont ceux qui renferment une contradiction en eux. Décrire Koukaki de manière univoque, ce quartier si vivant et en constante évolution, est impossible. Porter un jugement définitif sur des phénomènes dont les effets se diffusent dans des directions différentes est particulièrement difficile et risque d’être simpliste et unilatéral. Coincé entre le plus remarquable des monuments et des bureaux disgracieux, Koukaki change de visage en quelques pas dans une rue. Quartier paisible mais aussi « fête de plein air », « écrin » de joyaux néoclassiques mais aussi « ville de béton », « quartier international » mais aussi quartier où les habitants demeurent depuis parfois plus de cinquante ans. Peut-être la question selon laquelle de lieu de résidence, Koukaki se transformerait en lieu de passage, n’a finalement pas besoin de réponse. Car parfois, les passages « multicolores » sont les lieux qui méritent le plus qu’on les aime, et qu’on s’y enracine.
[1] Entre les habitants du quartier, nous avons pu relever un écart d’opinions quant à savoir si cette différence de classe s’est aujourd’hui affirmée ou réduite.
[2] Entretien de l’auteur avec le propriétaire du salon de coiffure, sous la forme d’une discussion et non pas d’interview. Restitué de mémoire
[3] Dans la rue piétonne de Drakou, les eucalyptus existent depuis très longtemps. Cependant, le terre-plein sur lequel ils étaient plantés était constitué de simples bandes de terre sans barrières. Sur initiative des habitants qui ont acheté le matériel et s’y sont attelé bénévolement, l’espace s’est rempli de plantes et a été protégé par une petite barrière de bois.
Référence de la notice
Dimitropoulos, G. (2020) Koukaki à travers le regard de sept de ses habitants : Un lieu de résidence et de passage, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/koukaki-un-lieu-de-residence-et-de-passage/ , DOI: 10.17902/20971.96
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Βουγιούκα, Μ., & Μεγαρίδης, Β. (2006). Κουκάκι, Φιλοπάππου, Γαργαρέττα. Αθήνα: Φιλιππότη.
- Γιοχάλας, Θ., & Καφετζάκη, Τ. (2012). Αθήνα: Ιχνηλατώντας την πόλη με οδηγό την ιστορία και τη λογοτεχνία. Αθήνα: Βιβλιοπωλείον της Εστίας.