La riviera athénienne: physionomie sociale et marché immobilier sur le front de mer de la ville
Maloutas Thomas|Spyrellis Stavros Nikiforos
Cadre Bâti, Économie
2023 | Mar
Athènes, son front de mer et Vouliagmeni
La capitale a traditionnellement eu le dos tourné à la mer, et le Pirée, qui a toujours fonctionné comme une entité distincte, usait de la mer principalement pour le transport et le commerce. Le front de mer n’a jamais constitué un foyer de développement résidentiel dense pour la capitale. La zone allant d’Elliniko à Varkiza, c’est-à-dire la partie centrale de ce que l’on appelle la « Riviera athénienne » (terme relevant de la logique d’image de marque chère au secteur immobilier), était peu peuplée jusque dans les années 1980 et beaucoup de ses noyaux résidentiels ne se trouvaient pas en bord de mer. En revanche, des installations sportives et autres équipements de grande envergure – tels que l’ancien aéroport et l’hippodrome, qui ont été déplacés respectivement à Spata et Markopoulo, mais aussi le stade Karaiskaki et le stade de la Paix et de l’Amitié, qui s’y trouvent toujours – se trouvaient dans les parties centrales du front de mer pendant de nombreuses décennies. Les noyaux urbains les plus centraux de la zone côtière (Neo Faliro, Moschato, Kallithea) n’avaient pas non plus leur centre-ville sur le front de mer. Même à Palaio Faliro, qui constituait une zone de loisirs ayant la mer pour élément central, la dynamique de développement résidentiel a été alimentée par le désir des Constantinopolitains déracinés dans les années 50 de conserver le contact avec la mer auquel ils étaient habitués.
Cartes 1-4: Distribution de la population en fonction de l’ancienneté du logement
Source: ΕΚΚΕ-ΕΛΣΤΑΤ (2015)
Pendant la période de l’entre-deux-guerres, des secteurs résidentiels de type cité-jardin ont été créés dans la banlieue d’Athènes par des entrepreneurs privés, selon des modèles urbanistiques et architecturaux spécifiques. Pour le développement du front de mer, le développement des infrastructures, et notamment le réseau routier de Faliro à Vouliagmeni qui a été construit à cette époque, a joué un rôle important. En 1922, le premier plan pour la zone d’Evriali (Glyfada) a été élaboré avant d’être étendu en 1925, tandis qu’en 1926, le plan et les règles de construction pour les secteurs d’Alimos (Kalamaki), de « Trachones » (aujourd’hui Argyroupoli) et de Voula ont été approuvés. Une exception est Palaio Faliro, qui a été conçu dès le début (1880) comme une zone de résidence estivale. Au cours des années 1930, des coopératives de construction ont également été créées dans ce secteur, comme à Voula et Varkiza (voir Καυκούλα, 1990).
En même temps, le front de mer n’a jamais été un lieu de concentration périurbaine massive des couches socioprofessionnelles élevées d’Athènes, tels que Psychiko, Philothei, Kifissia et Ekali. Il s’agissait d’un lieu de villégiature à caractère relativement interclassiste, progressivement transformé en zone de résidence permanente. Sa physionomie sociale était dominée par les classes moyennes, sans forte présence de la classe ouvrière et avec quelques concentrations spatialement localisées de groupes relevant de la grande bourgeoisie.
Cartes 5-8: Plans des cités pavillonnaires de l’entre-deux-guerres
L’évolution démographique et sociale du front de mer, par rapport à d’autres zones de la métropole athénienne, est résumée dans le tableau 1. En ce qui concerne la population, le secteur s’étendant de Faliro à Vari-Voula-Vouliagmeni montre une augmentation significative de la population (+26%) au cours de la période 1991-2021, alors que l’augmentation dans l’ensemble de la ville était de 3,8%, tandis que dans la portion du littoral allant du Pirée à Kallithea la population a diminué de 19%, et dans le centre d’Athènes de 23%. En termes de physionomie sociale, le front de mer de Palaio Faliro à Vouliagmeni présente une augmentation significative du niveau social au cours de la période 1991-2011, comme l’indique le pourcentage de catégories professionnelles élevées – cadres dirigeants, professions scientifiques et libérales – par rapport au pourcentage des mêmes catégories dans l’ensemble de la ville. Ce changement de physionomie sociale contraste avec celui que l’on observe dans toutes les autres zones de la ville énumérées dans le tableau 1. La municipalité d’Athènes présente une forte diminution des catégories professionnelles élevées, leur part passant de 1,21 fois la moyenne de la ville en 1991 à 0,92 fois en 2011. Même les zones présentant la plus forte concentration de ces catégories – comme la municipalité de Philothei-Psychiko – ont enregistré une baisse relative au cours de la même période. Dans l’ensemble, on constate une convergence de la physionomie sociale du front de mer (Faliro-Vouliagmeni) avec celle des zones de concentration des catégories professionnelles supérieures et surtout moyennes à supérieures dans la banlieue nord-est de la ville.
Tableau 1: Evolution démographique du front de mer (1991-2021) et changement de physionomie sociale (1991-2011)
Source: ΕΚΚΕ-ΕΛΣΤΑΤ (2015) for 1991 and 2011 and ΕΛΣΤΑΤ (2022)
Carte 9: Evolution démographique dans la région de l’Attique (1991-2021)
Source: ΕΚΚΕ-ΕΛΣΤΑΤ (2015) pour 1991 et 2011 etΕΛΣΤΑΤ (2022)
Vouliagmeni, qui est aujourd’hui considérée comme une zone résidentielle pour les groupes socioprofessionnels élevés, révèle d’importantes différences en son sein. Son centre – sur le versant ouest de la colline qui la sépare de Varkiza (Image 1) – était autrefois parsemé de cabanons de vacances en bois à un étage, qui ont été progressivement remplacés par des constructions modernes. Cette partie de la localité a été notablement altérée pendant la dictature, lorsque des immeubles d’habitation de grande hauteur ont été construits, souvent de piètre qualité (Images 2-3), sous l’effet d’une forte augmentation de l’indice de construction (Images 4-5).
Les zones environnantes qui ont été construites plus tard, à savoir les niveaux les plus bas des deux flancs de la colline qui sépare Vouliagmeni de Vari et Voula (Images 6-7), ont attiré les classes moyennes supérieures plus récentes vers des logements de type pavillon ou immeuble bas, car les coefficients d’utilisation des sols avaient entretemps diminué et les prêts au logement pour de telles propriétés étaient inabordables pour les groupes à plus faible revenu. La grande bourgeoisie de ce secteur se concentre, depuis plusieurs décennies, à l’extrémité de la péninsule à Kavouri (image 8) et, plus récemment, autour de l’entrée du centre de recherche « Alexandros Fleming », sur la petite route reliant Vouliagmeni à Vari (image 9).
Images 1-10 : Le développement résidentiel de la zone de Vouliagmeni
Un enjeu majeur pour l’avenir de cette zone est le secteur privilégié et à ce jour non construit de Faskomilia, le long de la route côtière qui relie Vouliagmeni à Varkiza (Image 10). Les projets de développement de ce secteur par l’Église de Grèce qui en est propriétaire ont régulièrement été bloqués par les autorités municipales et par des mesures de protection à un niveau plus central. Toutefois, le transfert du développement de la « Riviera athénienne » au TAIPED (Χατζηγεωργίου 2022) et l’orientation agressive du gouvernement de la Nouvelle Démocratie en matière d’investissement dans la zone côtière « Le Pirée-Sounio » suscitent de sérieuses inquiétudes quant à l’avenir environnemental et social de cette partie du front de mer de l’Attique.
Si l’avenir du secteur non bâti de Faskomilia demeure un enjeu, bien d’autres évolutions ces dernières années indiquent clairement la direction dans laquelle vont les choses.
Les changements dans le marché immobilier
L’activité de construction, qui était restée limitée pendant des années, s’est récemment nettement relancée. Ceci concerne de nouveaux bâtiments en périphérie des zones bâties, mais principalement la construction d’immeubles de luxe (avec souvent une piscine privée par appartement) à la place de maisons de vacances ou d’immeubles petits et anciens. Cette activité se remarque nettement à Vouliagmeni, Voula, Glyfada, Varkiza (Images 11-12). Sur une petite rue de Vouliagmeni, la seconde parallèle à l’avenue longeant le littoral et où l’activité de construction était nulle pendant de nombreuses années, on voit sortir de terre simultanément trois nouvelles constructions, tandis qu’encore davantage de rénovations sont en cours dans un rayon de cinq îlots d’habitation.
Images 11-22 : Nouvelles constructions à Voula et Varkiza
Les nouvelles constructions donnent l’impression d’une architecture respectueuse de l’environnement – ce qui n’est pas forcément le cas – qui suit un modèle de constructions de partout et de nulle part, impersonnelles et fluides, sans référence au contexte qui les entoure. En même temps, ces constructions consacrent clairement l’isolement des habitants de leur environnement naturel et social.
L’espace d’habitation est visuellement isolé et « défensivement » fortifié vis-à-vis de la route avec de hauts murs d’enclos et des barrières naturelles pour la sécurité des personnes et des biens, et est aussi éloigné de la mer qui reste certes proche mais en tant que décor, remplacée dans sa vocation par la piscine privée. Sont ainsi construits des îlots résidentiels de luxe et autocentrés [1] pour ceux qui ont les moyens de les acquérir (Images 23-28).
Images 23-28 : Nouvelles constructions de luxe à Vouliagmeni et Glyfada
Carte 10 : Localisation des offres de location de courte durée dans le secteur de Vouliagmeni
Source: AIRDNA.co, 5/08/2022
L’augmentation de l’activité de construction est évidemment liée à l’augmentation de la demande. Cela concerne la demande intérieure des ménages aisés choisissant de s’installer près des plages – demande récente découlant de la pandémie -, mais principalement la demande étrangère. Cette dernière comprend la demande de location touristique de courte durée, mais aussi de plus longue durée (celle des nomades numériques par exemple) ou d’investissement visant à exploiter la demande globalement accrue de logements dans cette zone. L’augmentation de la demande sur le front de mer se reflète dans la carte des annonces de location de courte durée (carte 10), et la moindre baisse de la demande sur le littoral par rapport au reste de la zone métropolitaine (Ρουσάνογλου 2022). Dans le même temps, la présence de la demande étrangère est révélée par de nombreuses petites histoires : dans un petit immeuble familial de cinq appartements construit en 1966, dans une rue centrale de Vouliagmeni, deux appartements ont été vendus par leur propriétaire initial (le premier dans les années 1970 et le second dans les années 2000) au même acquéreur grec, qui les a utilisés comme résidence secondaire pour sa famille, et comme investissement à long terme.
Après 50 ans de rapports de propriété stables et d’utilisation personnelle, ce petit immeuble a connu de fortes modifications en termes de transferts de propriété, d’utilisateurs et de composition ethnique. L’héritier de l’acquéreur des deux appartements les a vendus en 2017 : l’un à une jeune Egyptienne habitant Londres et titulaire d’un « golden visa », qui cherche à le louer sur le marché du court terme et/ou du bail fixe, et l’autre à un investisseur libanais, qui à son tour l’a vendu à un investisseur chinois qui tente d’en tirer profit par l’intermédiaire d’une société de gestion immobilière chypriote. Les trois autres appartements appartiennent à la famille de l’héritière des premiers propriétaires, le grand appartement à l’étage étant occupé par elle et son mari depuis 45 ans, le rez-de-chaussée servant de débarras, et l’appartement du premier étage est occupé depuis 2021 par une journaliste allemande résidant en Grèce de façon permanente. Cet appartement a été rénové en 2018, plusieurs années après le décès des parents de la propriétaire qui y vivaient et après une brève tentative d’exploitation en location de courte durée. Des histoires similaires peuvent être entendues dans de nombreux bâtiments du secteur, qui entrent désormais dans le nouveau rythme du marché, même s’ils ne semblent pas remplir les conditions (Images 29-30).
Images 29-30 : Anciennes constructions dans le rythme actuel du marché immobilier à Vouliagmeni
Le parc de logements sur le front côtier d’Athènes était aux mains des classes moyennes de la ville, avec des variations de physionomie sociale d’un quartier à l’autre. Il s’agissait de maisons de vacances privées progressivement transformées en résidences permanentes, tout en demeurant – si ce n’est aux mains des mêmes propriétaires et occupants – l’apanage du même milieu social. La présence des classes sociales supérieures n’a été que ponctuelle et relativement discrète, dans le sens où ces classes ont pu acquérir des propriétés de luxe, mais principalement dans le but d’en faire un usage privé plutôt qu’une exploitation commerciale. Même les grands investissements hôteliers dans ce secteur – comme l’Asteras Vouliagmenis – avaient, malgré leur caractère élitiste, une dimension publique sans effet démultiplicateur de l’exclusion sociale dans les zones environnantes.
Ces dernières années, surtout à partir de 2016-17, la situation a considérablement changé, les biens immobiliers étant transformés de valeurs (essentiellement) d’usage en produits d’investissement avec amortissement rapide et profit facile. Cela a accru la mobilité sur le marché du logement, les changements de la dernière période ayant intensifié les clivages apparus dès les années 1990 avec les prêts au logement. Les prêts de cette période ont fait grimper les prix des logements et ont conduit à l’exclusion progressive des classes inférieures et moyennes-inférieures de l’accès à la propriété dans un nombre croissant de quartiers de la ville. Ce qui est apparu – et qui devrait encore s’intensifier dans les années à venir – c’est l’évolution du caractère social du front de mer, caractérisé par une exclusion sociale accrue non seulement en matière de logement mais aussi de biens et services publics.
L’accès aux biens et services publics sur le front de mer
La demande accrue envers le littoral est également illustrée par l’augmentation du nombre de jeunes attirés par les activités liées à la mer. La familiarisation de la population grecque avec la mer en tant que pôle d’activités et de loisirs a été tardive et importée, en dépit de la nature géographique du pays et des compétences maritimes de nombreux Grecs. Spécifique à certains endroits, elle a permis de développer des rapports professionnels avec la mer, mais ne s’est pas avérée contagieuse. Aujourd’hui, lorsqu’un fort vent du sud souffle et soulève des vagues dans la baie de Vouliagmeni, apparaissent des dizaines de jeunes en tenue complète – combinaisons isothermes noires, planches à voile ou de surf, kitesurf – quelle que soit la saison (Image 31). Leur libre accès à la mer se limite maintenant à un petit bout de côte entre la plage centrale et le club nautique de Vouliagmeni, avec un stationnement très problématique et la moitié de ce segment concédé à un particulier qui loue des transats (Images 32-33).
Images 31-33 : L’accès à la mer
Le libre accès à la mer est sur le point de disparaître. Très peu d’endroits de la baie de Vouliagmeni peuvent être fréquentés gratuitement et leur accès est impossible pour les personnes ayant des problèmes de mobilité, tandis que le stationnement est devenu très difficile, car toutes les places près de la plage ont été converties en parkings privés des clubs et des plages concédées à proximité. Le week-end, il est presque impossible de trouver une table sans réservation dans les établissements du front de mer et de ne pas utiliser les services de leurs voituriers, une pratique qui rappelle l’organisation privée incontrôlée de la restauration dans le quartier d’Ortaköy, à Istanbul. La plupart de ces établissements sont chers (le kilo de poisson frais va de 65€ à 120€) mais ils ne rivalisent pas avec ceux, beaucoup plus chers, qui se trouvent dans ou aux alentours de l’Asteras Vouliagmenis. On trouve des restaurants moins chers dans la rue parallèle à l’avenue et à côté de la place principale de Vouliagmeni, avec comme offre plus abordable un établissement de souvlaki, ainsi qu’un autre offrant une version plus moderne de ce mets. Entre eux, une ancienne pâtisserie-restaurant ouverte grâce à des gains obtenus aux paris de football dans les années 1970 et qui s’adresse aujourd’hui aux personnes âgées, conformément à un modèle d’une autre époque. Dans la même zone, des restaurants promus par la revue Lifo proposent des brunchs et se disputent le marché, des bars impersonnels ouverts toute la journée, des marchands de glaces familiaux et une vieille taverne des années 1960 qui tente de survivre sans se transformer radicalement (carte 11). Le secteur des loisirs est disputé à ce niveau – comme en témoigne la durée de vie limitée de nombreux établissements – tandis que la concurrence est presque inexistante pour les services destinés aux très hauts niveaux de consommation.
Carte 11 : Le tissu commerçant de Vouliagmeni
Source: Collecte de données sur le terrain
Les investissements pour l’Asteras Vouliagmenis et Elliniko
Le nouvel investissement dans l’Asteras Vouliagmenis avec des fonds provenant du Koweït, d’Abou Dabi et de la Turquie a donné une touche moyen-orientale aux services qu’il propose (image 34), mais il ne s’agit que d’un vernis. L’essentiel réside dans les nouveaux produits et la manière dont il les propose. A la base de l’investissement, il y a à la fois la beauté naturelle de la zone et une histoire ininterrompue au service de l’élite athénienne et internationale depuis la fin des années 1950 (Νένες 2021). I
Par rapport au passé où le caractère socialement exclusif des services de l’Asteras était d’abord lié à ses standards sociaux et culturels, la nouvelle forme d’exclusion se fonde sur des seuils économiques inaccessibles. Le coût d’une nuitée dans les chambres les moins chères des deux hôtels rénovés par le consortium est bien plus élevé que le salaire minimum et se situe à peu près au même niveau que le loyer mensuel d’un appartement rénové de 80 m² dans le centre de Vouliagmeni. Dans la zone de la corniche donnant sur le golfe Saronique, où le troisième hôtel du complexe a été démoli, le consortium construit 13 villas d’une valeur de 50 millions d’euros chacune et qui constituent le principal pilier de l’investissement dans le marché immobilier de la région (image 35). De l’autre côté de la presqu’île, surplombant la baie de Vouliagmeni, le consortium remodèle et agrandit le port de plaisance en allongeant la jetée et en creusant les fonds afin d’accueillir des yacht plus nombreux et plus grands (image 36-37), malgré les objections d’acteurs locaux et d’organisations environnementales concernant l’impact sur la viabilité de la baie.
La nature de l’investissement a également doté d’un caractère spécifique les autres services du complexe. Les restaurants de l’Asteras répondent à une demande qui ne concerne pas, dans une très large mesure, les habitants de la ville. Au Pelagos, le menu « dégustation » à neuf plats coûte 260 euros, boissons comprises. Au restaurant japonais Mathuhisa, la plupart des plats chauds coûtent environ 50 €, sauf s’il s’agit de homard ou d’un filet spécial, dont le prix est double. L’entrée à la plage de Lemos – qui n’a jamais été bon marché et coûtait plusieurs fois plus cher que l’entrée à la plage « populaire » de Vouliagmeni – est désormais prohibitive pour la plupart des gens : 80 à 100 € en semaine pour un parasol avec deux chaises longues et le double le week-end, tandis que l’entrée pour chaque enfant ajoute 15 € en semaine et 25 € le week-end. Sur la plage, il existe également un classement des places en fonction de ce que l’on paie (image 38), ce qui permet d’enseigner aux jeunes générations comment est et doit être la vie.
Images 34-38 : Investissements dans l’Asteras Vouliagmenis
Le lac de Vouliagmeni, dont la température de l’eau permet aux nageurs non hivernaux de se baigner toute l’année, est également cher pour ceux qui voudraient le visiter fréquemment (15 € en semaine et 18 € les week-ends et jours fériés, tandis que dans sa partie privilégiée [bordure en bois], le ticket journalier pour deux personnes est de 60 € en semaine et de 80 € le week-end). Désormais, l’accès à la plage « populaire » n’est plus bon marché pour une famille à faible revenu (10 € en semaine et 15 € le week-end, et un forfait de 35 € pour une famille de quatre personnes avec deux enfants de moins de 15 ans). L’autorité municipale propose des prix plus bas (7,5 € au lieu de 10 €) mais la société gestionnaire (ΕΤΑΔ ΑΕ – Société anonyme de gestion et exploitation de biens immobiliers publics) insiste sur le fait qu’elle fixe la politique tarifaire en fonction des statuts et des directives de son actionnaire. L’entrée de la plage de Voula est un peu moins chère (7 € en semaine et 8,5 € le week-end), tandis que l’utilisation des parasols et des chaises longues a un coût supplémentaire dans les deux cas. La plage de Varkiza a des frais d’entrée similaires, tandis que la plage d’Alimos offre des options légèrement moins chères. Les prix très élevés, cependant, concernent de nombreux emplacements tout au long du front de mer (comme Lagonissi), tandis que les beach bars qui font danser la plage de luxe se répandent de plus en plus (https://www.nou-pou.gr/paralia/poso-stixizei-fetos-i-eisodos-noties-paralies/).
L’investissement dans l’Asteras Vouliagmenis a des effets indirects, en raison de sa proximité, sur la communauté environnante, comme les prix très élevés des petits hôtels du secteur, dus bien plus à l’emplacement que nécessairement à ce qu’ils offrent (image 39). Mais le consortium de l’Asteras intervient aussi de manière directe, en finançant par exemple le réaménagement de la place centrale de la commune (image 40). De cette manière, il manifeste de l’intérêt pour l’environnement de sa zone d’investissement et entretient un climat favorable avec l’autorité municipale, dans la perspective de ses projets controversés tels que l’extension de la marina.
Images 39-40 : Les conséquences directes et indirectes de l’investissement dans l’Asteras Vouliagmenis
L’investissement à Elliniko laisse présager des changements beaucoup plus importants mais allant dans le même sens pour le front de mer, même si presque rien n’a encore été mis en œuvre. Les plans de logement de Lamda Development ainsi que les casinos, les centres commerciaux, les marinas, les parcs à thème et tout ce qui s’ensuit -tels que les plans du Collège d’Athènes d’ouvrir une annexe à Elliniko- dessinent l’objectif d’ensemble recherché par de tels investissements. Objectif non limité au profit, mais à la création d’un environnement urbain où sa consommation (par ceux qui peuvent se la payer) devient une fin en soi, déconnectée de l’objet de consommation en lui-même. Cela devient une expérience agréable et un style de vie dépourvu de toute culpabilité, loin de ceux qui ne peuvent pas y accéder. La récente publicité de Lamda concernant l’emprunt obligataire vert, dont elle a tiré 230 millions d’euros, promouvait une nouvelle génération grandissant et vivant les moments importants de sa vie adulte dans le monde sûr et stérile des centres commerciaux, des collèges privés et des logements sensibles à l’environnement et technologiquement avancés, qui est en réalité un environnement d’aveuglement social.
Carte 12 : Les grands travaux sur le front de mer
Source: Google maps
Ainsi, alors que les retombées de l’investissement dans Elliniko ne sont pas encore visibles, leur orientation est déjà sensible. Les investissements déjà réalisés dans le secteur – plus modestes mais allant dans le même sens – modifient le tissu social. Les écoles de Vouliagmeni – notamment le collège et le lycée – étaient autrefois plutôt marginalisées, ce qui se traduisait par les performances relativement faibles des élèves du lycée aux concours d’entrée à l’université 2005 (Carte 13) [2]. Les ménages les plus aisés de la zone envoyaient leurs enfants dans des écoles privées, même éloignées de leur zone de résidence. Aujourd’hui, la population s’est démultipliée ainsi que la demande pour les écoles locales, tandis que leur profil social a également changé, comme en témoignent les voitures des parents qui attendent pour récupérer les élèves tous les midis. Les voitures qui circulent à Vouliagmeni ont changé, et la présence d’une Bentley ou d’une Aston Martin ne surprend plus. Même les accidents tragiques dans ce secteur se produisent avec des véhicules qui ne sont pas courants. L’année dernière, un parent d’un politicien a été tué dans une Ferrari en bordure de Voula, de même qu’un rappeur populaire dans une Porsche dans le centre de Vouliagmeni.
Carte 13 : Localisation des établissements du secondaire sur la base du type et des résultats
Source: Maloutas et al (2019)
L’avenir du front de mer
Les classes moyennes qui dominaient le front de mer et leurs descendants deviennent de plus en plus spectateurs de l’investissement revalorisant leur environnement au moyen d’activités et de services qui n’excluent plus seulement les classes sociales inférieures, mais également eux-mêmes. Certains d’entre eux, disposant d’un patrimoine immobilier plus important, peuvent y résister et éventuellement bénéficier de ces évolutions. Pour beaucoup, cependant, ce processus les éloigne progressivement de leurs quartiers qui ne leur offrent plus le type de services qu’ils souhaitent, ni le niveau de prix qu’ils peuvent se permettre. La gentrification ne concerne pas seulement le déplacement ou l’exclusion des groupes à faible revenu. Elle peut opérer à différents niveaux sociaux et des groupes qui sont à l’offensive dans certains quartiers deviennent victimes dans d’autres.
Le marché immobilier non réglementé réduit les biens immobiliers en produits d’investissement dans les parties de la ville qui attirent le plus la demande, avec des effets qui vont au-delà de l’approfondissement de la ségrégation sociale et de l’éloignement des anciens résidents de leurs quartiers. Les quartiers de la ville où la demande est la plus forte sont transformés en parcs à thème où l’indispensable mixité fonctionnelle (c’est-à-dire des différentes activités) et sociale est annihilée. La recherche de cette double mixité est un fondement de l’urbanisme moderne, si l’on se base sur l’expérience internationale des décennies passées et les impasses rencontrées par les espaces fonctionnellement unidimensionnels et socialement homogènes. Le marché non réglementé n’offre d’évidence pas de solutions socialement cohérentes et écologiquement viables. Mais cela apporte des superprofits aux quelques-uns qui peuvent bénéficier des opportunités entrepreneuriales offertes par la demande accrue et, en même temps, stimule l’engagement idéologique envers le libéralisme économique d’eux-mêmes et de leurs soutiens politiques.
[1] L’article de Carlucci et al. (2020) utilise les piscines privées comme biais d’évaluation de la ségrégation sociale entre quartiers résidentiels d’Athènes.
[2] Sur la base des données détaillées sur les résultats des élèves de l’année 2004-05 au concours panhellénique d’entrée à l’université, le lycée de Vouliagmeni était bas dans le classement des lycées de l’Attique (Maloutas et al, 2019).
Référence de la notice
Maloutas, Th., Spyrellis, S. (2023) La riviera athénienne: physionomie sociale et marché immobilier sur le front de mer de la ville, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/la-riviera-athenienne/ , DOI: 10.17902/20971.108
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Carlucci M, Vinci S, Lamonica GR & Salvati L (2020) Socio‑spatial Disparities and the Crisis: Swimming Pools as a Proxy of Class Segregation in Athens, Social Indicators Research, 161, 937–961 (https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s11205-020-02448-y.pdf)
- ΕΚΚΕ-ΕΛΣΤΑΤ (2015), Πανόραμα Απογραφικών Δεδομένων 1991-2011. Διαδικτυακή εφαρμογή για την πρόσβαση και χαρτογράφηση κοινωνικών δεδομένων, διαθέσιμο από: http://panorama.statistics.gr/.
- Maloutas T, Spyrellis SN, Hadjiyanni A, Capella A, et Valassi D. (2019) « Residential and school segregation as parameters of educational performance in Athens », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, document 917, mis en ligne le 23 octobre 2019, consulté le 23 août 2022. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/33085 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.33085
- Καυκούλα Κ (1990), Η περιπέτεια των κηπουπόλεων, Διδακτορική Διατριβή, Αριστοτέλειο Πανεπιστήμιο
- Νένες Γ (2021) Αστέρας Βουλιαγμένης: Η ιστορία του θρυλικού συγκροτήματος, Athens Voice, 22/07/2021 (https://www.athensvoice.gr/life/life-in-athens/722816/asteras-voyliagmenis-i-istoria-toy-thrylikoy-sygkrotimatos/?fbclid=IwAR110ASr7fnpfOHL-7H650hXqCN7c0-KmNPdaofoR_tSoC-vXIWNh4T_lIM)
- Χατζηγεωργίου Α (2022) ΤΑΙΠΕΔ και οικοπεδοποίηση των «παραλιακών φιλέτων», Εφημερίδα των Συντακτών, 12/04/2022, (https://www.efsyn.gr/ellada/koinonia/339579_taiped-kai-oikopedopoiisi-ton-paraliakon-fileton)