L’Athènes cosmopolite : les communautés d’Europe occidentale au 19è siècle
2017 | Déc
Le rôle d’Athènes au 19è siècle a longtemps été mis en avant comme celui d’un « centre national », qu’en tant que capitale du nouvel État grec, premier État-nation de la Méditerranée orientale, qu’en tant que centre rayonnant sur l’ensemble de l’hellénisme : s’y trouvait par exemple le siège de l’unique université grecque, vers laquelle affluaient des étudiants hellénophones ou hellénisants en provenance des Balkans ou d’Asie Mineure.
Le caractère plus largement méditerranéen, et sous certains aspects assez cosmopolite, de la ville d’Athènes – caractère auquel ont bien entendu contribué les grecs de l’étranger et les étudiants venus s’installer dans la ville – a été moins remarqué. Il semble que cette dimension internationale de la société athénienne ait rencontré l’indifférence non seulement des historiens, mais aussi des écrivains. Avant que Karagatsis, dans l’entre-deux guerres, ne place au centre de ses premiers romans l’adaptation sur le sol grec d’étrangers comme Liapkine ou Jungermann, rares sont à notre connaissance les œuvres littéraires ayant pour héros des européens résidant à Athènes. Ce texte constitue une première approche de la question de l’installation d’européens à Athènes au 19è siècle – et de l’hellénisation progressive de beaucoup d’entre eux. Il n’abordera pas le sujet de l’installation temporaire ou définitive d’étrangers en provenance de l’Empire ottoman et des États balkaniques : nous nous concentrerons sur les communautés d’athéniens originaires d’Europe centrale et occidentale.
Dès l’époque de la domination turque, Athènes accueillait un certain nombre de résidents européens permanents : en 1810, Hobhouse mentionne 7-8 maisons de « Francs »- c’est-à-dire d’occidentaux, en particulier français. Les monuments antiques de la ville constituaient un pôle d’attractivité pour les visiteurs européens, dont le nombre ne cessait de croître à partir de la fin du 18è siècle, à tel point que le domestique grec de Hobhouse estimait que « sous peu, Athènes compterait même une taverne » (Hobhouse. 1813, t.1, p.302). Bien des tavernes plus tard, à la fin du 19è siècle, les européens venant visiter les antiquités athéniennes forment désormais un petit flux touristique. L’installation d’archéologues européens à Athènes, aux côtés d’amateurs tels que Schliemann, devient systématique avec la fondation de l’École française d’archéologie en 1846, puis plus tard des écoles allemande en 1874, anglaise en 1885, etc.
La grande césure en matière d’installation d’ «immigrants» (grecs ou non), intervint certainement au moment où Athènes devint capitale du nouvel État grec en 1834. La Cour, les ministères et les ambassades agirent comme un véritable aimant, et furent encadrés principalement par des étrangers, jouant un rôle central dans la constitution des communautés européennes d’Athènes. Dans la capitale s’installèrent des bureaucrates et des scientifiques, des missionnaires et des aventuriers, des entrepreneurs et des diplomates, ainsi que certains des philhellènes étant venus participer aux combats de la révolution de 1821, et qui décidèrent de rester dans le pays une fois celui-ci libéré. Autour de la Cour royale (bavaroise de 1833 à 1862, danoise de 1864 à 1973) et des diplomates européens se développa une micro-société cosmopolite en grande partie constituée de « Francs », de Grecs à la culture et aux manières occidentales (Phanariotes et Grecs de la diaspora), et de membres de l’élite locale. Les mémoires, journaux et correspondance de dames de la Cour telles que Lyt ou Plüskow donnent une image vivante des rapports au sein de ces cercles mondains d’Athènes, et de la mesure dans laquelle la vie sociale des nouveaux arrivants était basée sur la fréquentation de leurs compatriotes ou d’autres étrangers.
L’afflux le plus massif de populations en provenance d’Europe occidentale fut certainement le fait des milliers de Bavarois et autres Allemands qui accompagnèrent Othon en Grèce à partir de 1833. L’objectif recherché était l’encadrement du nouvel État par un personnel formé et compétent, ainsi que la création d’une armée régulière en laquelle les gouvernants pourraient avoir une confiance totale. En outre, parmi les 5000 soldats bavarois qui vinrent en Grèce dans les années 1834-1838, plus d’un millier disposait de connaissances techniques spécialisées en matière de construction de routes, de bâtiment, d’horticulture, etc. Une part importante de cette population se concentra à Athènes, travaillant pour l’administration centrale mais créant également des imprimeries, des librairies, des auberges, des restaurants et des pharmacies. Après la chute de la monarchie bavaroise en 1843, les officiers, soldats et fonctionnaires allemands quittèrent massivement la Grèce. Bon nombre y demeurèrent cependant, ayant épousé des Grecques ou s’étant implantés professionnellement à Athènes en tant qu’artisans, commerçants ou scientifiques : en 1862, leur nombre était estimé à 400 personnes.
Parmi eux figuraient tous ceux qui s‘étaient installés de manière permanente à Palio Iraklio, village à deux heures au nord d’Athènes. En 1837, Othon y avait fondé la « colonie militaire d’Arakli », concédant des terres publiques à soixante militaires bavarois en retraite qui assumèrent une forme de mission de maintien de l’ordre à la campagne. Par la suite certains s’en allèrent, tandis que vinrent s’installer quelques paysans « authentiques » en provenance d’Allemagne ; quoi qu’il en soit, la population d’Iraklio ne dépassait pas 140 personnes en 1912.
Belle, qui visita la bourgade aux alentours de 1870, estimait que « la colonie agricole d’Héraklion ne prospérait pas » et que « la plupart des maisons étaient abandonnées » (Belle, 1994 : p.78-79). Entretemps, la révolution de 1862 contre Othon avait eu lieu, entraînant le pillage d’Iraklio et l’abattage de ses arbres et de ses vignes ; selon les souvenirs de vieux bavarois recueillis en 1912, des gens en armes « étaient venus nous prendre tout ce qu’ils pouvaient trouver ». Aucune attaque de ce genre n’est mentionnée en 1843, bien qu’à cette époque la manufacture d’ichtyocolle créée par deux bavarois à Ambelokipi fut incendiée. D’autre part, des frictions existaient avec les villages voisins : Menidi, Koukouvaounes, et particulièrement Kifissia au sujet de l’eau du Kefalari.
Malgré cela, Palio Iraklio resta marqué pendant des années par son caractère spécifiquement bavarois, bien que celui-ci ait souffrir d’une part des unions mixtes et de l’installation de catholiques originaires d’Italie ou des Cyclades, et d’autre part d’une assimilation à l’environnement grec. Les visiteurs étaient toujours impressionnés par l’église gothique de Saint Luc (1842-1845), et en 1912 les habitants du village sont décrits par le journal Patrìs comme essentiellement « blonds, rougeauds avec des yeux bleus » et portant « d’étranges noms allemands », dansant la valse et des quadrilles bien mieux que la ronde populaire grecque et entretenant les rues du village « dans un état dépaysant au possible : elles sont excessivement propres ». Pour autant lors de leurs fêtes ils chantaient en buvant dans de grands verres non pas de la bière mais du vin résiné, et seules 2 ou 3 vieillards parlaient encore l’allemand. Déjà en 1887, Engle visitant Iraklio avait noté que les adolescents, tels que le jeune Georgis Kegelmeyer, ignoraient l’allemand. Malgré cela, le premier cimetière orthodoxe du village ne fut créé qu’en 1936 : Iraklio demeurait le grand foyer des catholiques de l’Attique, hébergeant leur unique cimetière tandis que des monastères catholiques s’y installaient [1] .
Nous avons suffisamment fait référence à Iraklio en Attique pour souligner que les communautés européennes d’Athènes étaient constituées non seulement de bourgeois, mais aussi de travailleurs manuels. Certes, d’autres cas d’agriculteurs ne doivent guère exister, mais il existe de nombreux témoignages portant sur des ouvriers et des artisans, principalement originaires de l’Italie voisine et de Malte (Παρσάνογλου 2007, Ποταμιάνος 2011β). En 1850, Edmond About évoque l’existence de 1500 porteurs, terrassiers et journaliers maltais à Athènes et au Pirée (Αμπού s.d., p.70).
C’est au cours de cette période que se situe l’arrivée de révolutionnaires s’exilant suite à l’échec des révolutions de 1848 en Europe. Beaucoup étaient artisans et continuèrent à exercer leur profession ; l’exemple le plus emblématique est celui des soyeux italiens. Il semble que la majorité des républicains et socialistes italiens se sont installée à Patras et Corfou, où la présence de leurs compatriotes était restée significative; pourtant certains préférèrent Athènes – où vécurent un certain nombre d’années d’autres réfugiés politiques de cette époque, Polonais, Français et Italiens. Parmi eux Gustave Flourens, l’un des dirigeants de la Commune de Paris de 1871, et Amilcare Cipriani, anarchiste qui érigea des barricades et hissa le drapeau rouge dans le secteur de Kapnikarea lors de la révolution de 1862 contre Othon ; l’un comme l’autre contribuèrent à la formation d’unités de volontaires garibaldiens qui combattirent lors de la révolution crétoise de 1866-1869 (Δημητρίου 1985, Χατζηιωάννου 1985 και 1991, Chatzijoannou 1986, Καλλιβρετάκης 1998).
Dans l’une de ses nouvelles (Ο αντίκτυπος του νου – littéralement La répercussion de l’esprit), Papadiamantis décrit une taverne de quartier fréquentée par un groupe d’Italiens exerçant des métiers tels que plâtrier, glypticien, carrossier, ou musicien itinérant ; leur athéisme est une référence directe aux révolutionnaires ayant trouvé refuge en Grèce. Dans une autre nouvelle de Papadiamantis (Το νάμι της – littéralement Sa renommée), le compagnon d’une repasseuse habitant un quartier populaire est italien et se rend régulièrement à Lavrio ou à l’Isthme de Corinthe : il est fait ici référence à la seconde grande vague d’arrivée d’ouvriers étrangers en Grèce à la fin du 19è siècle, dans le cadre de grands travaux tels que la construction du canal de Corinthe et du chemin de fer ainsi que dans les mines de l’ensemble du pays (Αγριαντώνη 1986, Παπαστεφανάκη 2017) ; certains de ces ouvriers durent nécessairement passer par aboutir à Athènes.
L’existence de la pauvreté dans les communautés ouest-européennes d’Athènes est indirectement attestée par la nature des associations qu’elles fondent. Le Journal du Gouvernement ne publie que les décrets approuvant les statuts des associations et non les statuts eux-mêmes. De par leurs noms, il apparaît toutefois clairement que la Société française de bienfaisance et d’entraide en Grèce (1982), l’Association allemande Philadelphia (1898 – dont nous savons qu’elle existe et organise chaque année des manifestations dansantes au moins depuis les années 1870), l’Association austro-hongroise de bienfaisance à Athènes (1907) et la Société italienne d’entraide en Attique (1910), ont pour objet principal l’assistance à leurs compatriotes malades ou dans le besoin; besoin ne pouvant alors trouver de réponse que dans le cadre d’associations ouvrières ou petites-bourgeoises, à une époque totalement dépourvue de sécurité sociale.
À cette catégorie des ouest-européens installés à Athènes appartenant aux couches les plus modestes, il convient d’ajouter, compte tenu des données de l’époque, la plupart des artistes y ayant effectué un séjour : c’est évidemment le cas des Italiens jouant des marionnettes et contribuant à la diffusion du polichinelle en Grèce, mais aussi des chanteuses et danseuses allemandes et italiennes, et des musiciens de « café chantant ». En 1903, le mariage d’un « illusionniste » italien de trente-cinq ans est enregistré à l’état civil d’Athènes.
Parallèlement aux ouvriers venant de pays voisins, aux révolutionnaires internationaux et aux artistes, une « immigration des élites » continua de s’étoffer dans les rangs des européens d’Athènes dans la seconde moitié du 19è siècle. Dans la capitale s’installèrent des architectes tels que Ziller ainsi que certains de ses collègues un peu moins célèbres ; des ingénieurs occupant des postes de cadres dans les usines, les mines et les bateaux à vapeur grecs ; des médecins, pharmaciens et chimistes ; des professeurs d’université et de Polytechnique ; des agronomes comme Heldreich, directeur du jardin botanique de l’université. Certains développèrent d’importantes activités entrepreneuriales, comme le minéralogiste Grohmann. Bien entendu, le plus célèbre des entrepreneurs œuvrant dans les activités minières fut Serpieri, qui ressuscita les mines de Lavrio.
Il existe enfin une catégorie sociale intermédiaire constituée de commerçants et d’artisans, souvent prospères, qui introduit dans la capitale grecque un certain nombre d’innovations entrepreneuriales et technologiques apparues en Europe. Ce phénomène avait été initié dès les années 1830 : le premier hôtel moderne de la ville fut fondé par un Italien et une Autrichienne, tandis que le fondateur du café « Oraia Hellas », épicentre de la vie athénienne jusqu’à la décennie 1870, est également italien. Les tailleurs et marchands de tissus qui créèrent des boutiques dans la nouvelle ville, au-delà du quartier de l’ancien marché, sont également originaires d’Europe de l’ouest (Ποταμιάνος 2011α). Dans les années 1860 l’afflux de coiffeurs français auprès desquels se formèrent de nombreux Grecs, contribua au raffinement de l’art de la coiffure et à l’ouverture de salons (Journal Acropolis, 25 janvier 1912). Au début du vingtième siècle les « nouveautés » en matière d’habillement étaient souvent liées à l’origine ouest-européenne de celui qui les importait : dans les catalogues commerciaux de Makridis en 1899, et de Iglessis en 1905, la plupart des noms étrangers se retrouvent parmi les chapeliers et les modistes. L’usage le plus répandu parmi les commerçants européens consistait à s’adresser à des consommateurs appartenant à l’élite de la société, dont les goûts et les habitudes de consommation avaient été modelés au contact d’autres pays européens ; souvent, ces commerçants se présentaient comme « fournisseurs de la cour royale », comme par exemple la « boulangerie allemande » de Schick sur la rue Stadiou.
L’image que nous avons jusqu’à présent dépeinte est largement confirmée par un modeste échantillon de 21 mariages enregistrés par l’état civil d’Athènes entre 1885 et 1888, pour lesquels les deux mariés proviennent d’autres pays européens hors Balkans (tableau1). Les italiens dominent : dans une certaine mesure ceci doit tenir à la conjoncture (embauches dans le cadre de grands travaux), puisque dans les registres de mariage des années 1902-1903 et 1911-1912 la diversité nationale est plus importante et marque une légère dominante française (des Français sont aussi particulièrement présents dans le catalogue d’Iglessis en 1910 : Bournova 2016, p.88). Il faut noter que les Italiens préfèrent s’unir avec leurs compatriotes, là où les autres étrangers se mariant à Athènes prennent pour épouses des Grecques – de surcroît athéniennes ou originaires de régions proches. Ces choix peuvent être dictés par le caractère durable ou non de leur installation dans le pays, ou être déterminés par la présence ou non de femmes de même nationalité en Grèce ; dans le cas des Italiens, il est possible que la proximité permettant d’aller chercher une fiancée dans la patrie d’origine ait joué un rôle. De même, concernant la profession des hommes (malheureusement jamais mentionnée pour les femmes), celles d’ingénieur ou d’employé dans le secteur privé (très probablement le commerce) sont largement dominantes. Apparaissent aussi des scientifiques, des commerçants et des artisans. Les ouvriers sont sous-représentés dans notre échantillon, mais nous constatons que ceci est généralement vrai dans l’ensemble des mariages enregistrés à l’état civil.
Tableau 1 : mariages déclarés à l’état civil d’Athènes 1885-1888
Nous ne disposons pas d’éléments chiffrés concernant les résidents étrangers à l’échelle de la municipalité d’Athènes avant le recensement de 1920, c’est-à-dire peu après la période que nous étudions ici (Tableau 2). Plus des deux tiers des étrangers proviennent de Turquie et des Balkans, et la plus grande partie d’entre eux sont bien sûr des Grecs de la diaspora, réfugiés de la décennie de guerre ou simplement installés à Athènes en vue d’améliorer leur sort, certains depuis assez longtemps. Sur les 30 % de ressortissants d’autres pays d’Europe, un tiers sont Italiens (certains originaires du Dodécanèse). Le pourcentage des ressortissants britanniques était également assez élevé, de nombreux Chypriotes en faisant certainement partie, ainsi que des Maltais. Le pourcentage relativement élevé de Russes est sans doute dû au contexte de la révolution russe. La mosaïque des résidents étrangers de la ville est globalement complétée par des Français, ainsi que par des Allemands, Autrichiens et Suisses. Ces nationalités présentent des taux de 10 à 25 % de naissances en Grèce, à l’exception des Russes qui dans une large mesure sont des immigrés récents. Pour finir, il est intéressant de considérer la répartition des communautés par sexe : les ressortissants Français, Allemands, Autrichiens et Suisses sont à 55-63 % des femmes, alors qu’à cette époque les femmes ne représentent que 44 % de la population totale de la ville. Il est probable que soient ici recensées, outre les modistes et chapelières que nous avons déjà évoquées, de nombreuses travailleuses exerçant des professions fortement féminisées peu présentes dans nos sources, telles que les gouvernantes, bonnes ou infirmières (ainsi que des artistes). Les Italiennes sont en un peu plus grand nombre que la moyenne et les ressortissantes britanniques un peu au-dessous, tandis que la faible proportion de femmes au sein de la communauté russe doit dans une certaine mesure être liée aux caractéristiques de l’émigration au cours de la guerre civile russe.
Tableau 2 : Les étrangers dans la municipalité d’Athènes, 1920
Carte 1 : Distribution des résidents étrangers à Athènes en 1920 selon la nationalité et le sexe.
Carte 2 : Distribution des résidents étrangers à Athènes en 1920 selon la nationalité et le lieu de naissance.
Nous présenterons en conclusion les trajectoires de quelques personnages mentionnés dans ce texte. Notre choix s’est porté sur un certain nombre de brillants entrepreneurs pour lesquels nous disposons de quelques informations, mais dont les personnalités demeurent plus obscures que celles de l’excentrique Sophie de Marbois, duchesse de Plaisance, ou du pionnier de la brasserie Karl Fix.
Le fabricant de meubles Valentin Steingässer (1844-1917) est né en Allemagne ; il était bien entendu apparenté à l’artisan bavarois Steingässer, qui s’était installé à Athènes du temps d’Othon : il faisait d’ailleurs de l’année 1836 la date de fondation de son établissement. En 1880 il acquit un bâtiment près de Chryssospiliotissa, où il installa son atelier et sa maison. Il jouissait d’un grand prestige auprès de ses confrères, et fut élu durant 15 ans au conseil d’administration du syndicat des menuisiers, dont il prit finalement la présidence en 1893. Son fils Antonios, à qui il avait légué l’entreprise, fut plus tard également élu au CA du syndicat. « Steingässer et Fils » était une entreprise remarquable, se présentant comme les « ébénistes de la Reine et du Prince héritier », et employant 20 ouvriers [2].
Autre dynastie de fabricants de meubles ayant compté au moins trois générations dans le métier : les italiens De Noia. Le fondateur de cette dynastie, Raffaele, est mentionné comme un « excellent fabricant de meubles et ébéniste à l’ancienne » ayant « formé de nombreuses générations d’artisans » dont son fils et successeur Antonio qui fut en outre « envoyé se perfectionner à Rome durant trois ans ». En 1899 la fabrique de meubles «Raffaele De Noia et Fils » se trouve rue Solonos ; Antonio la déménagea dans le quartier de Kolonaki, où il fonda également une menuiserie – qu’il transmit à son fils Raffaele dans l’entre-deux guerres. Pour l’habillage textile de ses meubles, Antonio collaborait avec Rudolf Vavek, fils de brasseur bavarois venu en Grèce sous Othon, installé à Kolonaki et marié à une Grecque. Vavek fut sans doute le premier décorateur de Grèce : il fut en charge « de l’ameublement et de la décoration d’un palais entier » ; pour caractériser sa profession, il usait du terme « ornementeur de chambres (θαλαμοστολιστής) » – un professeur d’université lui ayant traduit de la sorte le terme français « décorateur » [3].
Originaire de Bologne, l’italien Francesco Rossi fut le premier à « industrialiser la carrosserie en Grèce », selon les souvenirs d’un vieil artisan recueillis en 1912. Il travailla dans un premier temps dans le « dépôt » de l’allemand Feder, au milieu du 19è siècle, avant d’ouvrir son propre atelier en 1861. Grâce au soutien de son compatriote Serpieri, l’atelier de carrosserie Rossi installé à Metaxourgeio devint la plus grande entreprise du secteur (60 ouvriers en 1912). En 1890, Francesco légua son entreprise à ses trois neveux, eux aussi artisans : Ioachim, Pavlos et Raffaele, ce dernier assumant le rôle de dirigeant. Lorsqu’en 1888 Raffaele épousa une Italienne (très probablement amenée d’Italie, plutôt que rencontrée sur place), il avait appris à écrire le grec [4].
Le patronyme Rossi étant très répandu, nous rencontrons différents artisans portant ce nom : Ludovico Rossi, qui remporta le prix Olympie en 1875 pour une table [5], ou le menuisier Spyros Rossi, originaire de Corfou, qui s’installa à Athènes dans les années 1890 alors qu’il avait entre 20 et 25 ans, se maria et fut ouvrier dans différentes entreprises de menuiserie [6].
Le personnage le plus célèbre répondant au nom de Rossi fut certainement Rainoldo : Italien de mère grecque et de nationalité française, il s’enfuit à Athènes dans les années 1890 alors que le gouvernement français le poursuivait en raison de ses activités politiques. En 1896 il prit la parole lors d’une manifestation favorable à la révolution crétoise. Brillant orateur radical à l’époque du putsch de Goudi, appelant en janvier 1910 à une « dictature populaire », il est arrêté par la police. Il le sera à nouveau en 1921 alors qu’au terme d’une prise de parole en faveur du socialisme à Zappeio, il conclut par « à bas la guerre ». Eleftherios Stavridis, se souvient toutefois de lui comme d’un « vieillard déséquilibré » qui fréquentait les bureaux du journal communiste Rizospastis en 1923 en se prétendant mensongèrement comme correspondant de journaux étrangers. Il se trouva d’ailleurs que Plastiras lui-même le reçut en cette qualité, désireux qu’il était de justifier à l’étranger l’exécution des six politiciens et officiers royalistes responsables de la catastrophe d’Asie Mineure ; celui-ci resta abasourdi lorsque le « journaliste » étranger, après avoir approuvé l’exécution des politiciens anti-vénizélistes, lui suggéra de faire également fusiller Vénizélos (Σταυρίδης 1953:136).
[1] Γεωργίου Μαλτέζου, Το χρονικόν του Ηρακλείου Αττικής, Athens 1970, p.57-64 et 109-111.
[2] Archives de l’union professionnelle de l’ameublement : procès-verbaux du CA 1890-1907 et 18 juillet 1917, dossier 1904 (requêtes), Registres 1905-1912; Archives historiques de la Banque Nationale : A 1 S 10 Y 81 dossier 321 ; Archives de la Chambre professionnelle d’Athènes : registre 1925 ; Γιώργος Παρμενίδης και Ευφροσύνη Ρούπα, Το αστικό έπιπλο στην Ελλάδα 1830-1940 [Le mobilier bourgeois en Grèce 1830-1940], Éditions universitaires ΕΜΠ, Athènes 2003, pp. 81 et 189 ; Εμπρός 24 novembre 1908, Ακρόπολις 7 février 1912.
[3] Archives de l’union professionnelle de l’ameublement : dossier 1904 (requêtes), Registre 1905-1912 ; Παρμενίδης και Ρούπα, Το αστικό έπιπλο, op.cit., p.81, 129, 265 et 377 ; Ακρόπολις 7 et8 février 1912.
[4] État civil de la ville d’Athènes, Registre des mariages 1888 ; Νέα Εφημερίς 2 mai 1890 ; Ακρόπολις 8-12 mars 1912.
[5] Παρμενίδης και Ρούπα, Το αστικό έπιπλο, op. Cit., p.126.
[6] Archives de l’union professionnelle de l’ameublement : Compte-rendu CA 1889-1900, dossier 1904 (requêtes), registre 1905-1912.
Référence de la notice
Potamianos, N. (2017) L’Athènes cosmopolite : les communautés d’Europe occidentale au 19è siècle, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/lathenes-cosmopolite/ , DOI: 10.17902/20971.79
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
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