Les grands travaux d’infrastructure
Kaparos George|Skayannis Pantoleon
Aménagement, Cadre Bâti, Infrastructures, Transports
2015 | Déc
Par infrastructures immobilières, nous entendons les ouvrages techniques (ponctuels ou réseaux) ou les coquilles vides visant à soutenir les activités économiques et sociales de l’homme (p. ex. industrie, éducation, transports). On considère comme grands travaux d’infrastructure les travaux dont la construction nécessite un investissement de plus d’un milliard de dollars. La relation de tels ouvrages avec le développement, et notamment les conditions auxquelles de tels travaux pourraient être considérés comme une réussite, font problème au niveau international, puisque la conception courante est que leur succès repose sur leur achèvement à l’intérieur des limites du triangle de fer des limites temporelles et financières ainsi que des normes fixées initialement (Dimitriou 2014, Flyvbjerg, Bruzelius et Rothengatter 2003).
Dans ce cadre, il faut bien reconnaître que les investissements en infrastructures, malgré les rythmes lents de roulement du capital, constituent dans la mesure où le profit est possible, l’un des débouchés d’investissement du capital; particulièrement lorsque les investissements dans le secteur industriel, qui garantit un roulement plus rapide du capital investi et par conséquent, un profit plus rapide, ne sont pas suffisamment lucratifs ou sûrs (Harvey 1982).
Bien sûr, du fait de leur taille (du point de vue de l’investissement financier, de l’échelle, du calendrier, etc.), les infrastructures, notamment les grandes infrastructures, concernent toute la société, et en constituent l’un des facteurs matériels de cohésion. Par conséquent, la politique en matière d’infrastructures consiste dans une large mesure en une politique de l’État central, qui cristallise également les tendances et points de vue (intérêts) opposés concernant l’orientation et l’évolution de la société elle-même.
Nous avons un exemple de ce genre dans les grandes infrastructures réalisées en Grèce dans les années 90, qui ont été mises en chantier sous l’effet de deux résultantes de forces décisives : premièrement, le développement global programmé dans le cadre des Cadres communautaires d’appui. Cela incluait l’influence, voire la pression des crises et des occasions du secteur de la construction (retour de sociétés de construction du Moyen Orient, efforts de transfert vers les Balkans, absorption de financements par le biais d’une vitesse acquise du régime d’accumulation grec, qui penche pour les infrastructures, etc.). Deuxièmement, l’influence accélératrice de l’imminence des Jeux Olympiques (Σκάγιαννης και Καπαρός 2013)
Les plus importantes de ces grandes infrastructures étaient l’autoroute Attiki Odos, l’aéroport « El. Venizélos » et le métro à Athènes, le pont Rion-Antirion, les nouveaux tronçons de l’autoroute PATHE (Patras-Athènes-Thessalonique), et la Via Egnatia.
Dans tous les cas énumérés ci-dessus, la relation des infrastructures avec la ou les villes et leur planification a été très étroite. Cela ne concerne pas seulement Athènes, pour laquelle la relation avec l’Attiki Odos, le nouvel aéroport et le Métro est quasi évidente, mais aussi Patras, avec la perspective et l’orientation de développement que lui offrent le pont Rion-Antirion (en particulier avec la liaison à l’Autoroute ionienne [Ionia Odos]) et son rattachement, certes lent mais clairement mis en route, au réseau PATHE, ainsi que les retombées de la Via Egnatia sur les villes des régions traversées, et la restructuration qu’elle provoque dans la région en rapprochant les groupes de différents systèmes urbains. Tout cela s’accompagnant de l’impact de l’ensemble des travaux sur l’économie du pays, via la cohésion qu’ils promeuvent (facteur d’intégration) et leurs effets démultiplicateurs.
Dans une grande enquête sur le succès et l’importance des grands travaux conduite par 10 universités à travers le monde et coordonnée par l’University College London (Omega Centre, Bartlett School of Planning) et l’université de Thessalie (Département d’ingénierie de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et du Développement régional, Laboratoire des Infrastructures, de la Politique et du Développement en matière de technologie), on a étudié les cas de l’Attiki Odos, du Métro d’Athènes et du pont Rion-Antirion (Dimitriou 2014). Nous mentionnerons ici les deux premiers cas, qui se situent dans la zone du Grand-Athènes.
Attiko Metro (contrat pour l’ouvrage principal)
L’ouvrage principal du métro d’Athènes comprend 20 stations, un réseau de 17,6 km pour les lignes 2 et 3 qui traversent le centre d’Athènes et sont reliées à la ligne préexistante 1 (fig. 1). L’ouvrage a été réalisé avec des fonds publics et appartient à l’entreprise publique Attiko Metro S.A., qui en assure également la gestion. La conception de l’ouvrage principal du métro d’Athènes remonte aux années 50 (Νάθενας et al. 2007). Par la suite, toute une série d’études et de projets ont vu le jour à différents moments (fig. 2) et l’ouvrage a été intégré dans les décisions concernant la planification du centre d’Athènes. Au milieu des années 80, dans la perspective d’une plus grande disponibilité de capitaux (sous la forme de subventions européennes et de prêts de la Banque européenne d’Investissement) mais aussi du fait d’une pression politique pour résoudre le gigantesque problème de la circulation, le ministère de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics (YPEHODE) a inclus l’ouvrage dans la planification d’Athènes (Σκάγιαννης και Καπαρός 2013, Kaparos, Skagiannis et Pavleas 2010). La mise en adjudication de l’ouvrage s’est faite selon la méthode Étude-Construction au forfait et s’est achevée en 1991, 4 ans après l’appel d’offre, l’ouvrage étant adjugé à la société Olympiako Metro, un consortium conduit par les sociétés Siemens et Alstom (http://www.ametro.gr/). L’ouvrage (principal) s’est achevé en 2003 et a coûté 2,7 milliards d’euros (Attiko Metro SA 2007), avec un retard de près de cinq ans et un dépassement de budget d’un milliard d’euros environ (Kaparos, Skagiannis et Pavleas 2010). Cela est dû principalement à la nécessité de retracer les lignes pour des raisons de protection de l’héritage archéologique. Depuis que l’ouvrage a été remis, le métro a plus que triplé son réseau, tandis que depuis le début 2015 on planifie et construit encore plus de stations et d’extensions de lignes.
Selon les déclarations officielles du ministère YPEHODE (http://www.minenv.gr/#), les principaux objectifs initiaux de l’ouvrage étaient de moderniser et améliorer le réseau de transports publics d’Athènes et de réduire les encombrements, la pollution due à la circulation et la durée des déplacements. L’ouvrage visait également à fonctionner comme catalyseur pour la reconstruction urbaine et à augmenter les possibilités d’emploi. D’autres objectifs importants inclus plus tard dans l’ouvrage visaient à interconnecter les moyens de transport publics et à contribuer à un développement multicentré de la métropole (Λαλιώτης 2000).
Figure 1 : Métro d’Athènes – ouvrage principal
Source : www.ametro.gr
Figure 2 : Métro d’Athènes – état actuel (2015) et plan de développement
Source : http://www.ametro.gr/files/maps/AM_Athens_Metro_map_Dec14_gr.pdf
Attiki Odos
L’artère Attiki Odos (ΑΟ) est une autoroute fermée à péage, d’une longueur de 65 km. Elle constitue le périphérique de la région métropolitaine du Grand-Athènes et la colonne vertébrale du réseau routier de toute l’Attique, reliant 30 municipalités de la métropole aux infrastructures routières, aériennes, portuaires et ferroviaires les plus importantes. L’Attiki Odos relie le nouvel aéroport (El. Venizélos) à la ville d’Athènes ; elle constitue également un tronçon de l’autoroute PATHE (Patras-Athènes-Salonique) et de l’axe prioritaire 7, Patras-Athènes-Thessalonique-Sofia-Budapest, du Réseau transeuropéen de transport (fig. 3). L’Attiki Odos est constituée de deux autoroutes quasi perpendiculaires : 1) l’axe Elefsina-Stavros-Spata, d’une longueur de 52 km, et 2) le Périphérique Ouest de l’Hymette, d’une longueur de 13 km ; elle comprend en outre 9,4 km d’extensions vers trois routes à voie rapide, pour assurer leur interconnexion avec l’Attiki Odos (fig. 4) (http://www.aodos.gr/summary.asp?catid=19571).
Figure 3 : L’Axe transeuropéen 7
Source : http://ec.europa.eu/ten/transport/maps/doc/axes/pp07.pdf
Figure 4 : Attiki Odos (2015)
Source : http://media.feed.gr/pegasus/Multimedia/jpg/ATT_ODOS_id2320.jpg
L’ouvrage a été réalisé par un contrat de concession du type Design – Build – Finance – Operation – Maintenance (Conception – Construction – Financement – Exploitation – Maintenance) passé entre le Trésor public hellénique et la société concessionnaire ATTIKI ODOS S.A., avec un (co)financement public-privé. La construction a été assurée par la société de travaux publics CONSORTIUM ATTIKI ODOS, tandis que l’exploitation et la maintenance en sont assurées par la société ΑΤΤΙΚΕS DIADROMES S.A. appartenant à ΕGIS ROAD OPERATION et ATTIKA DIODIA S.A. Les péages sont gérés par ΑΤΤΙΚΑ DIODIA S.A., dont les actionnaires sont ΑΚΤOR PARACHORISEIS S.A., J&P ΑΒΑX S.A., Piraeus Bank S.A., ETETh S.A. (appartenant à J&P). L’ouvrage, jusqu’à l’échéance de la concession (2023), est propriété de la société ATTIKI ODOS S.A., dont les actionnaires sont ΑΚΤOR PARACHORISEIS S.A., J&P ΑΒΑΞ S.A., Piraeus Bank S.A., ETETh S.A. (appartenant à J&P), EGIS PROJECTS S.A. (TRANSROUTE INTERNATIONAL). (Attika Diodia S.A., 2014· http://www.aodos.gr/summary.asp?catid=19494· Attiki Odos S.A., 2014).
L’idée de la construction de l’Attiki Odos remonte au plan Doxiadis de 1947, avant de prendre une forme plus précise dans l’étude de Smith de 1963.
Par la suite, toute une série d’études et projets (1972-1975, 1978, Plan directeur Attique–Athènes [PDA] 1985), ont été réalisés à divers moments, et l’ouvrage a été intégré dans les décisions concernant la planification du centre d’Athènes, sous la pression des problèmes de circulation de la capitale et grâce aux nouvelles possibilités offertes par les fonds européens. La raison décisive en a été la décision prise dans les années 80 de construire le nouvel aéroport à Spata, ainsi que l’obligation de terminer le tronçon aéroport-PATHE avant la mise en exploitation de l’aéroport. Ces projets ont été arrêtés définitivement après leur construction, dans le PDA 2021 (fig. 5 & 6).
Figure 5 : Plan directeur Attique–Athènes 2021 (Loi 4277/2014). Voies de transport.
Source : http://www.organismosathinas.gr/userfiles/file/nomosrsa/XARTES%20RSA/07_STATH%20TROXIAS.pdf
Figure 6 : Plan directeur Attique–Athènes 2021 (Ν.4277/2014). Réseau routier
Source : http://www.organismosathinas.gr/userfiles/file/nomosrsa/XARTES%20RSA/08_ODIKO%20DIKTUO.pdf
L’appel d’offre pour l’adjudication de l’ouvrage a été lancé en 1992, la procédure en a été effectuée en deux phases et finalement, en 1996, le Parlement a adjugé le contrat de concession (Loi 2245/1996) à la société Attiki Odos S.A. Le plan de financement a été finalisé avec d’importants retards en 2000.
L’ouvrage a été achevé en 2003 et aura coûté 1,249 milliards d’euros (au forfait pour l’ouvrage initial) (http://www.ametro.gr/), tandis que l’ensemble avec les suppléments pour ouvrages de liaison supplémentaires, expropriations (prix majorés avec le temps), modifications des plans, travaux archéologiques, frais supplémentaires d’ingénierie, déménagement d’installations d’utilité publique, a atteint la somme de 3,2 milliards d’euros (Kaparos, Skagiannis et Pavleas 2010). La plupart des tranches de l’ouvrage ont été livrées avant les délais, tandis que le Périphérique Ouest de l’Hymette a été livré avec 6 mois de retard (le 30/08/2003) et le tronçon Egaleo-Metamorfosi avec un retard de dix mois (le 03/08/2004).
Selon le contrat de concession (1996), les principaux objectifs initiaux de l’ouvrage étaient de régler les problèmes de transport et de pollution qu’avait subis le réseau routier radial. Cela impliquait de réduire les déplacements via le centre-ville et devait aboutir à l’amélioration de la qualité de la vie et à un développement équilibré et durable d’Athènes. D’autres objectifs complémentaires avaient été posés par le gouvernement en 2000 : desservir les installations portuaires projetées ou en voie de modernisation de l’Attique orientale (Rafina – Lavrio), protection de l’Attique contre les inondations et nouvelle planification stratégique des réseaux d’énergie et de communication de l’Attique (http://www.minenv.gr/#).
Les deux grands ouvrages d’Athènes ci-dessus permettent de tirer la conclusion que la construction des grandes infrastructures techniques en Grèce est d’une importance décisive pour la planification, la vie quotidienne et l’avenir des zones métropolitaines. Une question centrale que posent les grands travaux est que souvent ils sont conçus a posteriori en contournant la planification urbanistique et territoriale de la ville, la conséquence en étant que leur intégration n’est pas suffisamment « organique » dans l’espace urbain. C’est là, parmi toute une série de facteurs comme le manque de concertation suffisante et substantielle et de projections réalistes, une des raisons pour lesquelles ces travaux, bien que résolvant des problèmes de fonctionnalité immenses dans la ville, ne parviennent pas à lui offrir les avantages prévus par leur planification initiale. En même temps, ils créent de nouvelles conditions, souvent imprévues, dans l’organisation et le fonctionnement de la ville et imposent un nouveau cadre à la planification en mettant l’accent sur la poursuite des grands travaux, sur les grandes interventions. Il en résulte un problème de compatibilité entre le rythme et la dynamique de la planification et le rythme de la dynamique des grands travaux.
Référence de la notice
Kaparos, G., Skayannis, P. (2015) Les grands travaux d’infrastructure, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/les-grands-travaux/ , DOI: 10.17902/20971.38
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Λαλιώτης Κ (2000) Ομιλία στο Συνέδριο για την Μελέτη Ανάπτυξης του Μετρό. Αθήνα.
- Νάθενας Γ, Κουρμπέλης Α, Βλαστός Θ, κ.ά. (2007) Από τα παμφορεία στο μετρό – 170 χρόνια δημόσιες συγκοινωνίες Αθηνών-Πειραιώς-Περιχώρων. 1η έκδ. Αθήνα: Μίλητος.
- Σκάγιαννης Π και Καπαρός Γ (2013) Τα έργα υποδομών στην Ελλάδα και η παρουσία των μεγάλων έργων μεταφορικών υποδομών: μεταβαλλόμενα υποδείγματα και προτεραιότητες. Αειχώρος 18: 13–65.
- Attiko Metro SA (2007) Annual Internal Economic Report. Athens.
- Dimitriou HT, Low N, Sturup S, et al. (2014) What constitutes a ‘successful’ mega transport project?/Leadership, risk and storylines: The case of the Sydney Cross City Tunnel/The case of the LGV Méditerranée high speed railway line/Dealing with context and uncertainty in the development of the Athen. Planning Theory & Practice, Taylor & Francis 15(3): 389–430.
- European Commission (2005) Trans European Transport Network Priority Projects. Available from: http://ec.europa.eu/ten/transport/maps/doc/axes/pp07.pdf.
- Flyvbjerg B, Bruzelius N and Rothengatter W (2003) Megaprojects and risk: An anatomy of ambition. Mc Leod C (ed.), Cambridge: Cambridge University Press.
- Harvey D (1982) The limits to capital. 1st ed. Oxford: Blackwell.
- Kaparos G, Skayannis P and Pavleas S (2010) Athens Metro Project Profile. Volos. Available from: http://www.omegacentre.bartlett.ucl.ac.uk/wp-content/uploads/2014/12/GREECE_ATHENSMETRO_PROFILE.pdf.
- Skayannis P and Kaparos G (2010) Athens Metro Base Project: HLR Report. Volos.