Faire émerger la ville "perdue" des tuberculeux à travers les archives. Les sanatoriums du mont Pentélique, porte d’entrée d’une histoire des hôpitaux
2022 | Déc
Ce texte aborde un aspect méconnu du passé de la ville d’Athènes. Fondamentalement, il s’agit pour moi de tenter de rendre compte d’une nouvelle catégorie d’espace historique : les lieux de la santé. Afin d’analyser la spécificité et les caractéristiques historiques qui plaident en faveur des espaces historiques, je ferai brièvement référence à l’histoire de l’implantation de sanatoriums sur les flancs du mont Pentélique et à la théorie de la climatologie médicale qui désignait certains lieux comme plus ou moins propices à la guérison de la tuberculose.
De la fin du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres, de riches tuberculeux séjournaient dans la campagne environnante de Maroussi afin de profiter de ce sain environnement naturel pour se soigner. Plus tard, cette pratique suscitera l’intérêt de certains médecins, de bienfaiteurs et d’investisseurs. Tous avaient en vue la création de grandes infrastructures hospitalières sur la montagne verdoyante du mont Pentélique. Nombre de ces sanatoriums ont été transformés en hôpitaux généraux publics au cours de l’après-guerre, après s’être totalement défaits de leur identité historique. Aujourd’hui, peu d’habitants de Maroussi et de Melissia se souviennent encore de ces histoires. L’objectif de cet article est de verser à la discussion un nouveau mode de préservation de la mémoire dans l’espace urbain – à travers le processus de restauration de bâtiments historiques – et d’éviter ainsi que ces bâtiments ne tombent dans l’oubli. L’objectif est également de présenter quelques pistes de préservation de la mémoire à l’occasion de la mise en valeur d’un complexe hospitalier à Barcelone et de la restauration d’un sanatorium en Belgique.
La mise en valeur de la trajectoire historique de ces grands complexes est susceptible de modifier radicalement la relation des Athéniens et des habitants de Pendeli avec l’environnement forestier, trop hâtivement qualifié de non historique. En outre, certaines histoires éclairent le passé d’une zone urbaine désignée comme une banlieue moderne et dépourvue d’histoire. Enfin ce texte a pour but de montrer comment l’étude des documents d’archives peut révéler des lieux oubliés et des histoires qui échappent au regard des historiens, comme celles du soin des malades.
Les lieux de soin
La prise en compte des installations industrielles en tant qu’éléments du patrimoine architectural et historique des sociétés contemporaines est le résultat des travaux et débats scientifiques, intégré par l’archéologie industrielle dans la période d’après-guerre. C’est un champ dont la vocation consiste à consigner, étudier et préserver les vestiges des activités productives des sociétés anciennes et modernes. Le besoin de recherche et de compréhension des processus économiques à petite et grande échelle a abouti à une exigence de préservation des vestiges matériels, puis plus tard des empreintes immatérielles dans les archives mémorielles. Cet élargissement des problématiques au-delà des limites étroites de l’évolution technique se traduit dans la définition posée par Jacques Pinard en 1985 : « L’archéologie industrielle vise donc à créer quelque chose de plus qu’une histoire des sciences et des techniques en voulant reconstituer, à partir d’éléments précis, tout cet espace matériel et humain qui entoure une société » (Pinard, 1991:11). Ce nouveau champ de discussion a été l’occasion de voir émerger en Grèce, à la fin des années 1980, une tendance à préserver certains sites industriels et à les mettre en valeur à travers différents programmes de restauration.
Ce texte ne traitera pas du patrimoine industriel. À travers cet exemple, j’interroge les raisons pour lesquelles les infrastructures relatives à la santé publique et aux soins de santé des citoyens échappent à toute inclusion dans les monuments du patrimoine architectural moderne. Bien que les architectes s’y réfèrent et étudient l’œuvre de leurs concepteurs, le caractère ininterrompu de leur fonctionnement, toujours dans la même enveloppe matérielle, aboutit à un passage sous silence sans doute involontaire de leur passé, et finalement à un oubli collectif. Peu de citoyens peuvent faire référence à des événements ou des personnes associées aux hôpitaux et aux structures de soins grecs. En faisant référence à l’archéologie industrielle, j’ai voulu rappeler que dans d’autres cas, les questionnements persistants de la communauté scientifique ont contribué à l’inclusion d’une certaine catégorie de bâtiments fonctionnels dans le domaine des monuments historiques modernes. Les rares études sur la trajectoire historique des hôpitaux grecs, l’absence de fonds d’archives classés donnant accès à des informations administratives, financières et fonctionnelles ont conduit à un long oubli au cours des dernières années. En d’autres termes, dans de nombreux cas, nous ignorons les conditions spécifiques, les programmes publics de santé et les besoins sociaux qui ont donné naissance à ces établissements de soin.
À travers l’étude d’un tel exemple historique, j’essaierai de mettre en relief un cas particulier, non pas d’institutions hospitalières à caractère historique mais plutôt d’un site de soins de santé plus large, et oublié. Dans ma thèse de doctorat, j’ai utilisé le terme » lieux de soins » pour rendre compte de la pratique médicale du XIXe siècle selon laquelle le climat de divers lieux de peuplement à travers la planète avait des propriétés thérapeutiques pour un certain nombre d’affections (Στογιαννίδης, 2016: 50-73). Au début du XIXe siècle, les médecins des îles britanniques étaient à la recherche d’un remède à une maladie répandue dans les couches sociales supérieures. La tuberculose frappait les jeunes étudiants, les artistes et les écrivains. Comme la bourgeoisie aisée avait les moyens de faire face aux coûts des visites et des traitements médicaux, les médecins ont cherché des remèdes adaptés aux moyens financiers de ces groupes sociaux. Les premières idées consistaient à envoyer de jeunes tuberculeux dans les zones tempérées du bassin méditerranéen (Italie centrale, sud de la France, îles Ioniennes). Ils ont livré leurs réflexions dans des traités décrivant l’environnement naturel (flore, faune, climat) de ces régions (Clark, 1820; Clark, 1829; Fisk, 1907; Johnson, 1890; Matthews, 1835; Weber & Weber, 1907)
Ils ont rapidement remarqué que la combinaison d’un régime riche et des conditions climatiques de l’Europe méridionale menait à un rétablissement temporaire des patients. À mesure que les médecins recueillaient davantage de données encourageantes sur les climats méditerranéens, ils furent conduits à élaborer une théorie scientifique restée connue sous le nom de climatologie médicale. Ils prétendaient que des conditions climatiques spécifiques permettaient de combattre la tuberculose et prolonger la vie des porteurs de la maladie. Cette théorie s’est répandue à tel point que certains médecins ont alors affirmé que le climat méditerranéen pouvait être créé artificiellement dans différentes zones géographiques du globe. Ils ont donc commencé à proposer des moyens permettant de réduire l’humidité intérieure et d’augmenter la luminosité des bâtiments dans lesquels les tuberculeux seraient soignés. L’un des défenseurs les plus connus de ces idées fut James Clark, qui devint plus tard le médecin royal de Victoria d’Angleterre (Clark, 1829). Clark s’aperçut immédiatement que les propositions de relocalisation de riches malades de la tuberculose en Méditerranée entraînaient un manque à gagner pour l’économie nationale. Après plusieurs relevés des conditions climatiques en différents endroits d’Angleterre, aménagés ou non, il établit un catalogue des caractéristiques spécifiques de chaque région qui rendait celle-ci propice au soin des tuberculeux et de toute personne affectée par une maladie du système respiratoire (Στογιαννίδης, 2016:44-46).
De fait, dès ce moment-là, l’idée du sanatorium comme lieu de soins pour les patients tuberculeux était née. Comme toutes les idées, il a fallu quelques décennies et quelques médecins pionniers pour qu’elle fasse son apparition dans les Alpes entre 1850 et 1860 en tant que nouvelle catégorie d’institution de santé (Στογιαννίδης, 2016: 51-53). À la fin du XIXe siècle, il s’était imposé en Europe centrale comme un type d’hôpital spécialisé et un lieu d’isolement des vecteurs de transmission microbienne (bacilles). L’idée d’ouvrir des hôpitaux spécialement dédiés à l’isolement et au traitement de la tuberculose s’est répandue sur tout le continent et au-delà de ses frontières géographiques après que Robert Koch eut apporté en 1882 la preuve de la nature infectieuse de la tuberculose par des recherches en laboratoire. La révélation de la contagiosité des microbes a rendu nécessaire le confinement des porteurs afin de protéger la partie saine de la société. Reprenant les idées de médecins comme Clark, les médecins grecs du début du vingtième siècle ont cherché des lieux où construire des sanatoriums.
Retour historique sur la prise en charge des malades de la tuberculose, aisés ou non, à Athènes
Dès la fin du XIXe siècle, les tuberculeux athéniens allaient s’installer dans les forêts et les campagnes de Maroussi pour y trouver un soulagement à la maladie généralisée des villes (Στογιαννίδης, 2016: 367-368). Il est certain qu’il s’agissait d’une pratique qui s’était déjà répandue, puisque la presse publiait des nouvelles brèves sur les tuberculeux qui séjournaient sous les arbres et au bord des eaux du mont Pentélique (Η φθισική, 1888). Ces publications, ainsi que probablement d’autres données issues de l’observation du climat de l’Attique, ont conduit les médecins et hygiénistes Konstantinos Savvas et Vasilios Patrikios à effectuer une visite de terrain au Pentélique au printemps 1902. À la même époque, le palais de la duchesse de Plaisance était devenu propriété de l’État grec. Ainsi, les deux médecins et représentants de l’Association panhellénique contre la tuberculose proposèrent que le palais soit désormais utilisé comme sanatorium (Σκριπ, 23.04.1902; Στογιαννίδης, 2016: 258-259). La question de la conversion du palais fut transmise au Parlement, mais sans résultat. Des idées portant sur sa valorisation furent à nouveau soumises en 1919, lorsque Kostas Kitsikis prit en charge l’étude de sa transformation en hôtel et centre d’hydrothérapie (Φεσσά-Εμμανουήλ & Μαρμαράς, 2005).
La commission n’aboutit à aucune conclusion concernant le choix du Pentélique et Sofia Schliemann reprit les rênes du projet, et procéda à la construction d’un petit bâtiment dans la zone agricole d’Ampelokipi. La décision de Schliemann et du comité de construire un sanatorium populaire qui soignerait prioritairement les tuberculeux pauvres à cet endroit avait une dimension sociale. Les principaux critères étaient la recherche d’une zone présentant un environnement forestier et une proximité relative du centre-ville. Ce type de sanatorium urbain a été implanté avec succès dans les villes américaines. La construction du SOTIRIA a finalement constitué la solution apportée au soin des tuberculeux sans ressources ou journaliers qui souhaitaient être soignés dans un environnement familier et à courte distance de leur domicile familial.
La trajectoire administrative du SOTIRIA fut analogue aux conditions sociales engendrées par la décennie de guerre (guerres balkaniques, Asie Mineure). Réfugiés et soldats tuberculeux affluèrent aux portes du petit sanatorium. Les donations de citoyens fortunés (Abet, Economidis, Kyriazidis) permirent à l’administration de construire de petites cliniques, de sorte que la capacité du sanatorium en lits puisse être peu à peu augmentée. Suite à l’arrivée de nombreux réfugiés d’Asie Mineure au port du Pirée, le SOTIRIA reçut plus de demandes d’admission qu’il ne pouvait en satisfaire, ce qui mena au refus d’un certain nombre de patients. Les tuberculeux qui n’étaient pas admis campaient dans les bois entourant les cliniques (Στογιαννίδης, 2016: 286-332). La pression exercée par le campement des patients à ciel ouvert, dans des conditions inadéquates et aggravantes pour leur santé suscita de nouvelles initiatives.
La construction de sanatoriums privés pour soigner les riches tuberculeux était une idée présente à l’esprit des entrepreneurs et politiciens grecs dès le début du vingtième siècle. En effet, bon nombre d’entre eux tentèrent de collaborer avec des médecins d’Europe centrale afin de créer un réseau d’admission de patients originaires de ces pays (Στογιαννίδης, 2016: 169-175). Selon Arnold, la prédilection pour les lieux de villégiature méditerranéens s’était imposée dans le prolongement des séjours de plusieurs mois des artistes et intellectuels européens en Europe du Sud (Arnold, 2012: 16-18). La plupart des entreprises qui furent alors tentées étaient sans doute prématurées ou par trop grandioses pour une économie grecque encore immature. Il semble que le secteur de la santé publique n’était pas encore prêt à l’émergence de grands organismes privés de santé. Dans certains cas, les communautés locales ont repoussé ces plans par crainte de la transmission de germes infectieux.
Bien que l’activité privée dans le secteur de la santé soit liée au profit économique, l’échec des premières tentatives de sanatoriums privés confirme que l’environnement social a une influence sur ces initiatives. Quelques décennies plus tard, l’effondrement administratif et financier du SOTIRIA a rendu impérative la fondation d’autres organismes de prise en charge des citoyens tuberculeux. Les sanatoriums existants à Chania, Thessalonique et le petit sanatorium de Parnitha n’étaient plus en mesure de répondre aux centaines de demandes. Des dizaines de tuberculeux choisirent de camper aux abords du Pentélique et à Lykovrisi (Magoufana), à la recherche des propriétés bénéfiques du soleil et de l’air pur. La présence accrue de ces patients dans les zones boisées, les réclamations des habitants de Maroussi pour leur éviction et la volonté maintenue des médecins d’exercer dans de grands hôpitaux qui appliqueraient les normes européennes ont alors plaidé en faveur d’une nouvelle vague de construction de sanatoriums. Bien que la montagne du Pentélique n’eût pas été choisie au début du siècle, dans les années 1930, elle semblait constituer la solution idéale pour la création du Davos grec.
Les nouveaux sanatoriums du Pentélique ont considérablement enrichi le patrimoine architectural de cette zone et, à la fin des années 1930, ont transformé les flancs de la montagne en véritable parc naturel doté de propriétés thérapeutiques. Parmi les pins, des complexes impressionnants ont émergé, qui respiraient la confiance et l’espoir dans le programme de santé de l’entre-deux-guerres. Les sanatoriums Papadimitriou et Tsagari appartiennent à la catégorie des grands sanatoriums (Images 1 & 2, Carte 1). En fait, le cas de Tsagari est un cas de grand projet d’investissement, puisque participèrent à sa construction des entrepreneurs, industriels, politiciens et médecins grecs (Images 3-4, Carte 1).
Images 1-4 : Les sanatoriums Papadimitriou et Tsagari
Les hôpitaux privés n’ont pas tous cherché à augmenter leur capital initial. L’Institut Sismanoglio sur la tuberculose s’inscrivait dans la doctrine qui considérait la politique de bienfaisance comme synonyme de culture bourgeoise (Images 5-7). Le Sanatorium pour tuberculeux sans ressources (qui deviendra plus tard le Sanatorium pour tuberculeux de la fonction publique) a suivi le modèle du SOTIRIA, dans la mesure il a été construit par un groupe de bourgeois philanthropes souhaitant aider ceux des tuberculeux qui rencontraient des difficultés pour survivre (Image 8 & 9). La Fondation hospitalière des gens de mer fut une initiative privée conduite par une association professionnelle financièrement puissante (Images 10 et 11). Le grand sanatorium de la Maison du marin témoigne des revendications sociales et des protestations syndicales de l’entre-deux-guerres et présente des points communs avec le sanatorium mondialement connu des foreurs au diamant néerlandais (Zonnestraal).
Images 5-11 : L’Institut Sismanoglio sur la tuberculose, le Sanatorium pour tuberculeux sans ressources et la Fondation Hospitalière des gens de mer
Carte 1 : Localisation des sanatoriums dans la région de l’Attique
L’abandon des bâtiments des anciens sanatoriums et la nécessité de les remettre en service : évocation d’expériences de réemploi réussies en Europe
En l’espace d’une décennie, la montagne du Pentélique fut transformée, d’un campement improvisé de tuberculeux en villégiature en une « montagne magique » à la grecque. Le parcours ayant mené à ces hôpitaux modernes ne fut pas aisé. Au début de la Seconde Guerre mondiale, la plupart d’entre eux furent occupés par les forces d’occupation, puis dans les décennies d’après-guerre furent intégrés, à divers moments, au système national de santé (Images 12-15). Depuis la récente crise économique, plusieurs d’entre eux ont interrompu ou limité leurs activités. En tant qu’infrastructures à l’abandon, elles sont incapables de documenter leur passé, la raison de leur création et enfin de se connecter à la mémoire des résidents actuels de Pendeli et Melissia. Aucun des anciens sanatoriums ne porte d’indications sur la période de grande transmission de la tuberculose, sur les causes qui ont conduit à leur construction et à leur abandon. La référence initiale à l’archéologie industrielle visait à établir cette caractéristique commune. Tout comme plusieurs complexes industriels désormais historiques restent à l’abandon dans le tissu urbain, ces sanatoriums sont désormais perdus au milieu des pins, dépouillés de toute mémoire et de tout contexte historique. Alfrey et Putnam affirment que la préservation des monuments n’a de sens que lorsqu’elle parvient à rappeler le contexte historique dans lequel ils ont été créés et à impliquer des publics différents par le biais de programmes d’histoire publique (Alfrey & Putnam, 1996: 179-183).
Images 12-15 : Plans de localisation des sanatoriums des années 1960
Les exemples de gestion réussie d’hôpitaux historiques présentent d’assez nombreuses différences. À Barcelone, l’hôpital historique Sant Pau, produit du modernisme architectural, a été entièrement préservé et est aujourd’hui un musée qui met en valeur l’utilisation ancienne du bâtiment (Image 16-18). Les visiteurs y découvrent toutes les innovations technologiques auxquelles furent conduits les architectes pour améliorer les conditions de soins aux patients et l’esthétique impressionnante des décorations conçues pour atténuer le désespoir des patients et mettre en valeur la vigueur de la bourgeoisie. Ce complexe particulier de bâtiments hospitaliers possède un fonds d’archives de son fonctionnement, ce qui a permis d’opérer une restauration architecturale cohérente et facilite la recherche et la compréhension de son passé. La restauration a commencé en 2009, lorsque l’hôpital a déménagé dans de nouveaux locaux. Le projet de restauration a été jusqu’à présent financé par la municipalité de Barcelone, la Région de Barcelone, la Généralité de Catalogne, le gouvernement espagnol et le Fonds européen de développement régional. Le projet n’est pas encore achevé, car il reste 4 des 12 ailes de l’hôpital, ainsi que les bâtiments auxiliaires à rénover. Chacun des bâtiments du complexe n’est inclus dans le programme de réhabilitation que lorsqu’un plan d’exploitation viable est soumis (Conejo da Pena, Villatoro, Nebot, & Fugueras, 2014).
Images 16-18 : L’hôpital historique Sant Pau à Barcelone
De même, la restauration du spectaculaire sanatorium Joseph Lemaire, en Belgique, n’a commencé qu’en 2008 après des décennies d’abandon, afin de lui donner une nouvelle vocation, celle d’accueillir des personnes âgées. Il s’agit d’un sanatorium conçu d’après les principes du modernisme architectural par l’architecte belge Maxime Brunfaut (1909-2003), un utopiste qui envisageait une société sans classe offrant des opportunités et des services pour tous (Putzolu, 2017). La restauration n’est pas encore terminée. L’axe central de ce projet de réaffectation est de conserver l’ancienne fonction du complexe en tant qu’établissement de soins tout en restituant aux communautés locales un témoignage physique du passé doté de perspectives viables. Le financement du projet a été assuré par le ministère de la culture du pays, suite aux pressions exercées par le « Groupe de travail pour la documentation et la conservation les bâtiments du mouvement moderne » (DOCOMOMO).
Les sanatoriums abandonnés ne sont pas seulement des lieux de soins pour les corps. Ce sont des lieux historiques de la mémoire sociale, puisque nés de conditions sociales particulières, parfois d’une demande récurrente d’associations professionnelles, et qui ont soigné pendant de nombreuses années un grand nombre de citoyens grecs. Leurs murs continuent de documenter la pensée et la vision architecturales d’époques antérieures. Leur réutilisation permettra de préserver cette composition architecturale, et est de nature à donner un nouveau souffle à la relation entre l’architecture et l’environnement naturel. Toutes les grandes installations ne peuvent pas être transformées en musées historiques. Une proposition alternative, telle que la conversion des anciens sanatoriums en résidences de personnes âgées ou d’autres usages répondant aux besoins des habitants de la région, pourrait s’avérer être une solution salvatrice et servir d’exemple pour l’utilisation du patrimoine historique. La création d’espaces historiques ou mémoriels au sein des hôpitaux en activité pourrait avoir un effet positif sur la santé psychique des patients hospitalisés et de leurs proches, surtout si elle mettait en lumière toutes les trajectoires historiques et les processus sociaux à travers lesquels ces institutions ont pu voir le jour.
Jusqu’à récemment, l’un des moyens de protéger les monuments les plus récents était leur classement en tant que monuments préservés, principalement par les services du ministère de la Culture et auparavant de l’ancien ministère de l’Environnement, de l’aménagement du territoire et des travaux publics. Aujourd’hui, la société grecque s’est familiarisée avec la valeur culturelle de ces monuments grâce aux nombreux cas concrets et programmes éducatifs, de sorte que les classements pourraient être remplacées par des plans intégrés de promotion et d’utilisation de ces complexes. Alors que la réutilisation de bâtiments industriels est souvent entravée par les difficultés que comporte l’aménagement de leurs espaces intérieurs, ces difficultés techniques ne sont pas présentes dans les grands complexes hospitaliers. La plupart des bâtiments avaient suffisamment d’ouvertures pour permettre à la lumière du soleil de pénétrer dans les salles des patients.
La préservation et la réintégration de ces bâtiments dans le tissu urbain permettront de sauvegarder la mémoire d’une expérience oubliée, et qui n’est pas seulement liée à une maladie contagieuse mais aussi aux programmes voués à la combattre. Les traces de ce qui a précédé la reconstruction des sanatoriums et des années de leur fonctionnement ne peuvent être trouvées que dans les archives des banques, des revues médicales et d’architecture et dans la presse de l’époque. C’est une histoire qui échappe aux grands récits et dont la survie n’est assurée que par la préservation des sources matérielles (constructions, archives). L’expérience de l’État-providence n’a pas jailli d’une soudaine prise de conscience, mais a été le produit de processus sociaux et de tendances de long terme. La préservation de la mémoire en relation avec l’espace urbain est une obligation à laquelle nous ne pouvons renoncer en tant que citoyens et collectivités actives. La localisation et l’implantation spatiale particulières des sanatoriums créent un nouveau dialogue avec l’environnement forestier et sont une raison supplémentaire à leur réintégration parmi les lieux de mémoire.
Référence de la notice
Stoyannidis, Y. (2022) Faire émerger la ville « perdue » des tuberculeux à travers les archives. Les sanatoriums du mont Pentélique, porte d’entrée d’une histoire des hôpitaux, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/les-sanatoriums-du-mont-pentelique/ , DOI: 10.17902/20971.109
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Référence
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