L’étalement urbain à travers des archives cartographiques – le cas de Petroupoli
Chalkias Christos|Kalogeropoulos Kleomenis|Tsatsaris Andreas
Cadre Bâti, Infrastructures, Quartiers
2018 | Fév
Les mutations urbaines sont un phénomène pouvant être considéré à plusieurs niveaux. Outre une dimension non spatiale (qu’elle soit sociale, environnementale, économique, ou politique), il existe une dimension proprement spatiale du phénomène. Cette contribution aborde la question de l’étalement urbain de manière originale, dans la mesure où elle analyse la mutation du tissu urbain bâtiment par bâtiment, en représentant chacun des bâtiments mentionnés à chaque recensement, à l’échelle des îlots urbains. La municipalité de Petroupoli (carte 1) a été choisie comme zone d’étude, car elle constitue un exemple caractéristique d’agglomération, dont l’évolution a été étroitement liée aux transformations du bassin Attique depuis l’entre-deux guerres. Cette étude est basée sur l’exploitation de cartes issues de six recensements nationaux de la population (1961-2011) réalisés par l’Autorité Statistique Hellénique (EL.STAT.). Ces cartes ont fait l’objet d’un traitement par Système d’Information Géographique (SIG), de manière à ce qu’elles renseignent et illustrent spatialement la façon dont le tissu urbain s’est étendu, dans le temps et dans l’espace.
Carte 1 : La municipalité de Petroupoli
Cette méthodologie peut être utilisée afin d’étudier et de cartographier les mutations du tissu urbain dans les autres agglomérations de Grèce, sur la base des archives cartographiques de l’EL.STAT., constituées de cartes physiques (c’est-à-dire non numériques) utilisées par les recensements nationaux de population, de 1961 à nos jours.
Introduction
Le siècle précédent a été caractérisé par des interventions humaines sur l’environnement, particulièrement en Amérique et en Europe (Antrop 2000, Jaeger et al. 2010). L’une des formes revêtues par ces interventions a été l’étalement urbain, ou « urban sprawl » en anglais (Γεμενετζή 2011; Γερόλυμπου & Παπαμίχος 2001, Κουρσάρη 2008, Λαγαριάς 2013), mais nous avons choisi d’utiliser celle d’ « étalement urbain » dans le cadre de la présente étude.
Les mutations urbaines modernes constituent un phénomène aux multiples facettes dans lequel, en-dehors de la dimension géographique (ou spatiale), existent des dimensions sociales, environnementales, économiques et politiques (Λαγαριάς 2013). En Amérique et en Europe, dès les années 1980, de nombreuses villes ont engagé une mutation rapide, passant du modèle traditionnel de la ville compacte vers des formes de construction plus dispersées, caractérisées par de grands espaces bâtis entourant le noyau urbain (Schneider & Woodcock 2008). La mobilité dans l’espace est en grande partie liée à la mobilité sociale, qui a été particulièrement importante en Grèce au cours des trois premières décennies d’après-guerre et qui correspond largement à l’immigration intérieure. La mobilité spatiale croissante a également contribué à une intense activité économique qui, à partir d’un certain point, s’est principalement traduite par l’étalement du tissu urbain (Μαλούτας 2008).
En Europe du Sud plus globalement, la mobilité sociale et spatiale, et par suite l’étalement urbain, sont allés avec une intense urbanisation, phénomène qui dans bien des régions de cet ensemble géographique se caractérise après-guerre par l’auto-promotion immobilière « populaire » en zones périphériques, parallèlement à l’absence de planification et de mécanismes de contrôle. Au fil du temps, les facteurs de l’étalement urbain se sont modifiés, et dès les années 1980 ils sont liés au développement des résidences secondaires, à l’importante croissance économique, au mouvement des classes moyennes vers la banlieue et aux grands travaux d’infrastructures (Καυκαλάς κ.ά. 2015).
La présente contribution a pour objectif de rendre compte de l’étalement de la ville de Petroupoli, conséquence des déplacements de ses habitants, anciens et récents. L’étude est basée sur l’exploitation de cartes issues de six recensements nationaux de la population (1961-2011) réalisés par l’Autorité Statistique Hellénique (EL.STAT.), qui renseignent et illustrent graphiquement la façon dont le tissu urbain s’est étendu, dans le temps et dans l’espace, via un Système d’Information Géographique (SIG).
Les données
Les données utilisées dans cet article proviennent principalement de l’EL.STAT., et sont constituées :
- De données historiques cartographiques (cartes des recensements de 1961, 1971, 1981 et 1991), dont la reproduction numérique a été réalisée par scanner (données matricielles),
- De données numériques concernant le parc de bâtiments du recensement de 2001 et les îlots urbains du recensement de 2011 (données vectorielles),
- D’orthophotographies récentes (orthophotographies 2007-2009 de l’Agence Nationale du Cadastre et de la Cartographie S.A. – ANCC).
Le tableau suivant présente les données utilisées dans cette recherche (Tableau 1).
Tableau 1. Les données de l’enquête
Méthodologie
La méthodologie retenue pour cette enquête consiste à exploiter des documents d’archives cartographiques, afin d’analyser l’étalement urbain d’agglomérations/villes du territoire grec, et inclut l’ensemble du processus généralement induit par l’utilisation de systèmes d’information. Soit : a) la préparation des données, b) leur traitement, et c) leur analyse, en vue d’en dégager des résultats. Le système d’information mobilisé pour les besoins de cette enquête est le Système d’Information Géographique ArcGIS 10.3.
La préparation des données comprend un certain nombre d’étapes visant à leur donner une forme numérique, une référence spatiale correcte, et une valeur mesurable.
Elles ont acquis une forme numérique par scannage des cartes des recensements de 1961, 1971, 1981, 1991. Le scannage a été réalisé en grand format A0 et 600 dpi, afin d’obtenir une image digitale disposant de la meilleure résolution possible, et un fichier numérique facilement utilisable par le système.
Le système de géo-référencement attribue aux données une référence spatiale. L’utilisation de plusieurs cartes scannées superposées les unes aux autres nécessite un géo-référencement commun à toutes. Pour ce faire, il était indispensable de réaliser le processus de géo-référencement des cartes historiques scannées via un système auquel était déjà intégré un fond de cartes numériques. Le fonds de cartes numériques des îlots urbains que nous avons choisi nous a semblé être le plus pertinent, étant donné qu’il est intégré à un système largement utilisé dans le pays (Système de Référence Géodésique Hellénique 1987 – SRGH 87), et qu’il est le plus récent de tous (2011).
Grâce au géo-référencement, les fonds de cartes historiques ont acquis une orientation et une échelle correcte, ce qui dès lors rend possible la détermination de positions et la réalisation de mesures, linéaires ou de surfaces, sur ceux-ci.
Le traitement des données a fait l’objet d’une série de tâches liées au mode de traitement lui-même. Plus précisément, sur la base des fichiers numériques du parc de bâtiment issus du recensement national de population de 2001 (vector shp) par l’EL.STAT., nous avons procédé à une mise à jour d’une copie de ce fichier. En prenant pour fonds de carte les orthophotographies de 2007-2009 de l’ANCC (wms intégré à l’environnement ArcGIS), nous avons mis à jour le parc de bâtiments (copie du fichier du recensement de 2001), pour aboutir à la création d’un nouveau fichier comprenant cette fois le parc de bâtiments du recensement de 2011 (car les orthophotographies de 2007-2009 sont chronologiquement plus proches du recensement de 2011). Cette mise à jour consiste à supprimer d’anciens bâtiments ou à en numériser de nouveaux.
Un fichier, copie du parc de bâtiments du recensement de 2001, a ensuite été créé. Ce fichier, à qui est associé le fond de carte du recensement de 1991, représente une fois traité le parc de bâtiments du recensement de 1991. Dans ce cas, le traitement de données consiste essentiellement à supprimer des bâtiments, car suite à ce bond de dix ans en arrière le parc de bâtiments est plus réduit que celui qui apparaît dans le cadastre de 2001.
L’étape suivante a consisté à réaliser une copie du parc de bâtiments de 1991 créé précédemment. Associé au fonds de carte du recensement de 1981, ce fichier donne le parc de bâtiments du recensement de 1981. De même, le traitement de données consiste principalement en la suppression d’un certain nombre de bâtiments. Cette opération a été répétée, jusqu’à aboutir à la création du fichier représentant le recensement de 1961.
Comme nous l’avons déjà mentionné, le troisième stade de cette méthodologie est l’analyse des données, afin de réaliser une photographie diachronique de l’étalement urbain, de cadastre en cadastre. Au cours de cette étape, nous avons appliqué l’ensemble des procédures nécessaires à l’obtention du résultat souhaité concernant l’étalement urbain, bâtiment par bâtiment.
Le schéma suivant décrit brièvement la méthodologie qui a été suivie tout au long de cette recherche (Figure 1).
Figure 1: La méthodologie suivie
Résultats
Nous avons travaillé sur l’étalement urbain de la municipalité de Petroupoli au fil des recensements de population, de 1961 à 2011. En appliquant la méthode décrite plus haut nous avons créé six cartes (une pour chaque recensement), qui représentent le parc de bâtiments correspondant à chaque recensement national (Cartes 2-7).
Cartes 2-7 : L’étalement du tissu urbain de la Municipalité de Petroupoli 1961-2011
Sur les cartes ci-dessus, les bâtiments construits après le recensement précédent apparaissent en rouge. Le rouge montre l’extension du tissu urbain dans la décennie couverte par chacun des recensements.
Il apparaît clairement que la ville s’est développée progressivement, dans un sens nord – nord ouest, s’étendant vers les contreforts du mont Pikilo. Les données quantitatives contenues dans les cartes ci-dessus concernant le parc de bâtiments illustrent la rapide croissance de l’espace bâti dans la zone étudiée, tout au long de la période 1961-2011. En examinant parallèlement les mutations de la population au cours de la même période, on peut tirer le constat que celle-ci est directement liée aux mutations du parc de bâtiments. Par conséquent, la majorité des bâtiments sont des immeubles d’habitation (Tableau 2) :
Tableau 2 : Données quantitatives sur l’étalement urbain et les évolutions de la population, 1961-2011
Source: ELSTAT
La plus importante phase de croissance de la population comme de la construction de bâtiments dans la zone étudiée a lieu entre 1961 et 1971. Au cours de cette période, il semble qu’un pôle résidentiel se crée à Petroupoli, autour d’une importante concentration de population initiale et par extension d’infrastructures bâties. Les deux réalités connaissent une croissance graduelle à chaque décennie. Cependant, cette croissance ralentit progressivement. En ce qui concerne la population, la baisse de croissance est d’environ 10 % par an, tandis que le bâti ne connaît pas d’évolution aussi linéaire. Alors que l’augmentation de la population entre les recensements de 1961 et 1971 a été quantitativement « explosive » (119 % environ) et s’est accompagnée d’une importante croissance du bâti (66,4%), le phénomène s’est nettement modifié au cours du temps, ce qui peut être dû à des facteurs différents (valeur des terrains, manque d’infrastructures collectives etc.). Malgré cela, on note une tendance croissante pour chacun des deux indicateurs en valeurs absolues, et ce jusqu’au dernier recensement (Figure 2).
Figure 2: Bâtiments et population en valeurs absolues, à Petroupoli (Attique) entre 1961 et 2011
Source: ELSTAT
Conclusions
Cet article se fonde sur l’exploitation de données cartographiques historiques, dans le but d’interpréter des phénomènes socio-économiques. Des fonds de cartes de ce type existent dans presque toutes les administrations d’État produisant du matériel cartographique, et demeurent la plupart du temps inexploités.
À travers cet exemple d’exploitation des cartes historiques de l’EL.STAT., dans le cadre d’une approche analytique moderne, et en prenant pour exemple une zone urbaine relativement réduite du bassin de l’Attique, nous avons démontré l’utilité de cette méthode. Le phénomène de l’étalement urbain dans cette zone a ainsi pu être étudié de façon étayée et documentée.
Ce qui confère à cette étude son importance et son caractère innovant, en comparaison avec d’autres (utilisant par exemple des images satellites ou des photographies aériennes), c’est le fait d’avoir étudié l’étalement urbain, bâtiment par bâtiment, au sein de chaque îlot urbain. Ceci ne peut se faire sur la base de sources comme les photographies aériennes (surtout antérieures aux années 1980), desquelles il est difficile d’ « extraire » les bâtiments, et de les convertir en données.
En outre, cette méthode peut être également appliquée à l’analyse et à la cartographie des mutations de l’espace urbain d’un grand nombre d’agglomérations de Grèce. Et ceci sur la base des archives cartographiques de l’EL.STAT., qui comprend des cartes physiques utilisées dans le cadre des recensements nationaux, dès 1961 et jusqu’à nos jours.
Référence de la notice
Chalkias, C., Kalogeropoulos, K., Tsatsaris, A. (2018) L’étalement urbain à travers des archives cartographiques – le cas de Petroupoli, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/letalement-urbain-de-petroupoli/ , DOI: 10.17902/20971.81
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
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