Les distributions initiales et l’état actuel des logements des réfugiés et des espaces publics à Nikaia de l’Attique
2024 | Jan
Le quartier de Nikaia de l’Attique, indissolublement lié au logement urbain des réfugiés de 1922, est particulièrement intéressant en tant qu’objet d’étude : il s’agit d’un des plus grands quartiers de réfugiés qui conserve une partie significative de ses anciens bâtiments. Ces édifices relèvent de divers types architecturaux. Ils sont composés d’un ou deux étages, d’appartements de petite superficie et comportent de nombreuses expansions/ajouts réalisés de façon illégale. Il est important de souligner qu’ils n’ont pas été intégrés au régime des bâtiments classés ou à protéger. On trouve un nombre important d’appartements désaffectés qui créent des conditions de décomposition dans des poches précises du quartier, donnant lieu à des préoccupations quant à l’évolution future de la région mais aussi à la préservation de la mémoire collective. La planification initiale de la région présente un intérêt particulier : elle inclut un réseau d’espaces intermédiaires entre les îlots bâtis, combinés à des ruelles. Le tout, dans certaines conditions, peut opérer comme un réseau.
Introduction
La question des réfugiés de 1922 marqua une étape dans l’histoire grecque contemporaine. En effet, elle fut liée à un énorme changement d’ordre démographique pour le pays. À la suite de la guerre gréco-turque (1919-1922), le traité de Lausanne de 1923 eut pour effet l’échange obligatoire de populations entre la Grèce et la Turquie (Εξερτζόγλου, 2016: 343). Selon les données historiques (Clark, 2009: 11), plus d’1 200 000 chrétiens orthodoxes et 400 000 musulmans furent contraints de quitter leur foyer et de s’établir respectivement en Grèce et en Turquie. Le vécu de l’expatriation forcée, les souvenirs traumatiques de l’incendie de Smyrne ainsi que les efforts d’intégration dans les nouvelles patries déterminèrent dans une large mesure l’identité grecque contemporaine (Παπαδόπουλος, 2013: 335-336).
Les efforts d’intégration furent directement liés à la question du logement. Au départ, la décision ministérielle du 15 septembre 1922 relative à la réquisition d’immeubles en vue du logement de réfugiés, ainsi que la loi afférente adoptée peu après, furent une première tentative de résoudre, provisoirement, la question. L’insuffisance de cette mesure entraina la constitution du Fonds pour l’assistance des réfugiés, en novembre 1922, qui opéra jusqu’à 1925 et fut actif dans tout le pays (Γκιζελή, 1984: 132-140). Ensuite, en 1925, la Commission pour le logement des réfugiés (EAP) fut créée, sous la tutelle de la Société des Nations (Χίρσον, 2004: 114 και Γκιζελή, 1984: 156). L’EAP, dont la mission était d’assurer la réhabilitation définitive, divisa la population des réfugiés en deux groupes : le groupe « urbain » et le groupe « rural », en fonction du lieu d’origine, et orienta les populations correspondantes vers les centres urbains ou les zones rurales, respectivement (Γκιζελή, 1984: 178). Parmi les intentions de l’EAP figurait l’intégration harmonieuse des réfugiés dans les conditions sociales existantes, au moyen du logement et du travail. Dans les agglomérations rurales, la question fut résolue par le biais de la cession de terres cultivables. Dans les villes, la question ne fut pas résolue collectivement : l’EAP mit finalement l’accent sur l’accès au logement (Τούση, 2014: 55-57). Ainsi, sous la pression de la conjoncture historique, émergea pour la première fois le logement social, dans un contexte de nécessité d’urgence pour loger les réfugiés. (Γκιζελή, 1984: 14, 123).
Les premiers quartiers de réfugiés furent aménagés hors des limites de la ville (Σαρηγιάννης, 2000: 104), à une distance variant entre 1 et 4 kilomètres (Λεοντίδου, 1989: 209). Ce choix eut également un impact social. Pour plusieurs décennies, la population des réfugiés était victime de discriminations et d’exclusion sociale, vivant dans des formes urbaines manquant d’infrastructures sociales (Λεοντίδου, 2001: 216; Χίρσον, 2004: 117; Κουτελάκης κ.α., 1991:171; Pentzopoulos, 1962:12).
Au fil du temps, l’aspect des quartiers des réfugiés commença à changer, en particulier, après 1960 avec l’expansion du système de la contre-prestation, qui a entraîné le remplacement du parc de bâtiments (Τούση, 2014: 40). En dépit des changements observés au fil du temps, bon nombre de ces zones conserve des éléments qui renvoient au passé lié aux réfugiés (tracé de rues, habitations de réfugiés, noms de rues, monuments). De ce point de vue, l’exemple de Nikaia de l’Attique est caractéristique de la survivance d’une partie importante du noyau réfugié initial. Dans l’analyse qui suit, nous présentons brièvement l’évolution du quartier, en mettant l’accent sur l’état actuel.
Bref état des lieux de la constitution initiale du quartier de Nikaia
Un des plus grands quartiers urbains de réfugiés, celui de Nikaia, est indissolublement lié à la politique de logement des réfugiés d’Asie Mineure venus en 1922. En effet, avant qu’ils ne s’établissent ici, la zone était pratiquement inhabitée (zone de pâturage saisonnier, Χίρσον, 2004: 114; Παπαδοπούλου, 2003: 67). Les premiers habitants étaient des Arméniens, qui s’établirent, en 1923, à l’extrémité la plus au sud du quartier, à la lisière de Palia Kokkinia (Παπαδοπούλου, 2003: 65). Par la suite, au cours de la même année, des réfugiés d’Asie Mineure s’y établirent également. La création du quartier est attribuée à Epaminondas Charilaou, 1er vice-président du Fonds pour l’assistance des réfugiés (Παπαδοπούλου, 2003: 7). Le site reçut l’appellation de « Néa Kokkinia », pour le distinguer du quartier déjà existant de Kokkinia, et, jusqu’à 1934, relevait de la municipalité du Pirée. Le 18-12-1939, suite à un concours, il fut renommé en « Nikaia », nom emprunté à la ville de Nikaia (Nicée) de Bithynie, située en Asie Mineure du Nord-ouest. Le nom de Kokkinia n’est pas directement lié à l’établissement des réfugiés et à la civilisation d’Asie Mineure.
Au début de 1923, le Fonds pour l’assistance des réfugiés procéda à la cartographie de la région, afin d’y faire construire des logements. Au début, les réfugiés séjournaient dans des tentes et, ensuite, des habitations furent construites, dont la superficie était particulièrement modeste (5×4 m ou 6×4 m, Χίρσον, 2004: 114). Des extraits de la presse quotidienne de la période 1928-1932 portant sur Kokkinia, en décrivent les soins médicaux lacunaires, l’absence de toilettes, la densité de population élevée, l’absence de raccordement au réseau d’approvisionnement en eau et l’absence d’éclairage dans les rues. Au recensement de 1928, on enregistra 33 201 habitants. Toutefois, la presse quotidienne indique que la population s’élevait à 45 à 50 000 personnes. L’extrait suivant, issu de l’article publié par Dimitris Makridis intitulé Πώς ζουν οι πρόσφυγες εις Ν. Κοκκινιάν (La vie des réfugiés à Néa Kokkinia), les 14, 15, 16/12/1928 dans le quotidien Imerissios Typos :
« Néa Kokkinia, qui compte 45-50 mille habitants et dont les recensements ne font état que de 33 mille, est confronté à de nombreux problèmes. (…) Il y a urgence à décongestionner les baraquements. Lorsque les réfugiés arrivèrent ici, 6 390 familles furent logées dans 4 484 baraquements ! Cela veut dire que chacun accueille deux couples dont l’intimité familiale est « assurée » au moyen d’une couverture trouée pendue au milieu… » |
Ces descriptions sont révélatrices des conditions particulièrement difficiles concernant le logement et les carences en infrastructures (Κουτελάκης κ.α., 1991: 171).
Dans les cinq années qui suivirent, l’EAP procéda à la planification systématique de la région et à la construction de logements (Παπαδοπούλου, 2006:7 ; Χίρσον, 2004: 114). Ces logements relèvent de divers types architecturaux, tels que nous les présentons à la rubrique III du présent. La première phase de logement (1924-1926) couvrit la zone d’Osia Xéni et Agios Nikolaos (Χίρσον, 2004: 114). Au cours de la période 1925-1926, l’activité de l’EAP culmina avec l’aménagement de la majorité des îlots bâtis du quartier (Χίρσον, 2004: 115). En 1927, un deuxième emprunt international permit d’aménager le quartier « Germanika » (op.cit.). La dernière entreprise portant sur le logement des réfugiés dans la région date des années 1934 et 1935, où le ministère de la prévoyance sociale fit construire des immeubles à appartements (Χίρσον, 2004: 116). Il s’agit des immeubles qui, ayant été considérés dangereux suite au séisme de 1981, furent démolis. Le site fut ensuite attribué à l’Hôpital général de Nikaia O Agios Pantéléimon. En faisant un bilan de l’activité de l’EAP dans la zone de la capitale entre 1926 et 1930, on constate qu’un total de 5 584 logements furent construits dans le quartier de Kokkinia (Λεοντίδου, 1989: 211). Dans l’ouvrage «Πειραιάς και Συνοικισμοί» (Le Pirée et les/ses Quartiers Κουτελάκης, 1991: 172) sont cités les ingénieurs Dionysios Kokkinos et Alexandros Fatséas, qui opérèrent pendant 4 ans dans le quartier afin de construire les logements destinés aux réfugiés. Depuis, le quartier continua de s’étendre au moyen de la cession de terrains (v. Figure 1), mais, dorénavant, c’étaient les réfugiés qui assumaient la construction (Χίρσον, 2004: 116).
Comme l’explique Michalis L. Rodas dans Χρονικά της Νίκαιας (Chroniques de Nikaia, Παπαδοπούλου, 2003: 7) les réfugiés qui faisaient eux-mêmes l’acquisition de leur logement versaient 1/10 du prix moyennant des intérêts s’élevant à 8 %. L’étude des actes de cession délivrés par le Service d’assistance sociale de la Région de l’Attique a permis de constater que le montant variait en fonction du type de logement et allait de 18 000 à 24 000 drachmes [1]. Outre les mauvaises conditions de logement, un autre point essentiel était celui de la liaison entre la région et le reste du tissu urbain. Cela fut un point de préoccupation pour plusieurs années car, en effet, bon nombre d’habitants se déplaçaient quotidiennement hors du quartier. Enfin, en vertu de l’acte sous n° 279/20-2-1936 pris en 1936, le ministère des transports agréa l’établissement de la circulation entre la rue Piréos et Aspra Chomata (quartier de Nikaia situé entre les rues Ipirou, P. Ralli, Thivon, Παπαδοπούλου, 2003: 13, 56).
Figure 1: Carte de Nikaia reprenant les divers types de logement
Source: Toussi E. 2018, étude du matériel d’archives du Service technique de la Ville de Nikaia – Agios Ioannis Renti et du Service d’assistance sociale de la Région de l’Attique, source de la carte : Service technique de la Ville de Nikaia – Agios Ioannis Renti.
En ce qui concerne la composition sociale initiale de la population de Nikaia, les habitants provenaient de différentes régions d’Asie Mineure et appartenaient à différents niveaux socio-économiques (Παπαδοπούλου, 2003: 6; Χίρσον, 2004: 302). Compte tenu de l’isolement social et géographique du quartier, des réseaux sociaux se développèrent progressivement, renforcés grâce aux mariages et aux proximités intellectuelles. Selon Hirson (2004: 82) ces réseaux étaient principalement composés des gens venus d’Asie Mineure, tandis que les contacts avec les Arméniens étaient limités. Il convient toutefois de relever que la coexistence était harmonieuse et imprégnée de respect mutuel (op. cit.). Les relations sociales se reflétaient dans l’utilisation qui était faite de l’espace public, à la micro-échelle de la ville. Outre les conditions liées à l’isolement de la zone, le caractère conscient de cette interaction sociale était également dû à l’organisation de la société issue d’Asie Mineure en quartiers individuels formés sur la base de l’ethnicité de la population (Χίρσον, 2004: 304 et 80-82, quartier arménien, israélite, turc, orthodoxe grec, etc [2] ). Ce tissu de relations fut également renforcé par l’octroi de dot aux filles, ce qui entraîna une dominance féminine dans l’espace géographique. Ainsi, les ménages des quartiers de réfugiés entretenaient des liens de parenté du côté des femmes (matrilocal, Λεοντίδου, 1989: 246). Ce système de relations quotidiennes était renforcé par un espace multifonctionnel intermédiaire, situé entre les îlots bâtis du quartier, qui indiquait l’imprécision des limites entre espace public et espace privé et s’opposait à la logique de leur séparation absolue (Νικολαϊδου, 1991:83).
L’établissement de nouveaux habitants après la 2ème guerre mondiale, combiné à l’expansion du plan urbain, apportèrent des modifications dans les équilibres existants, éliminant dans une certaine mesure l’exclusion sociale (Τούση, 2014: 316). Les migrants domestiques des années 1950 et 1960 s’établirent aux limites du quartier l’élargissant au moyen de la construction d’édifices à un étage, réalisés sans permis de construire (op. cit.). Après les années 1970 et l’essor que connut le système de la contre-prestation dans la région, le caractère du quartier, initialement lié aux réfugiés, est fortement modifié, aussi bien en raison des changements apportés à l’environnement bâti que suite à l’adoption de nouvelles normes sociales de vie quotidienne (op. cit.).
La planification urbaine de la zone et les types architecturaux dominants
L’arrivée des réfugiés d’Asie Mineure fut à l’origine d’expropriations étendues dans la région. Les plans du quartier des réfugiés suivirent le plan hippodamien, incluant quatre types différents d’îlots bâtis (Figure 2). Ceux-ci furent conçus, dans leur majorité, de sorte à ce qu’ils contiennent un espace commun et une ou deux allées. Il est particulièrement rare de trouver d’îlots bâtis ne disposant ni de allées ni d’espace commun.
Figure 2: Types d’îlots bâtis du quartier des réfugiés de Nikaia
Source: Recherche primaire et étude du matériel d’archives, Toussi, 2011 et 2014.
Suite à la recherche primaire, trois types fondamentaux de logements de réfugiés furent identifiés dans la région, tels que représentés à la figure 3. Il s’agit d’édifices à un étage et à deux étages, à toits recouvert de tuiles, de superficie limitée. Le type dominant est le type I a, où quatre unités de logement identiques sont reprises. Les complexes à deux étages (II a et II b) sont moins nombreux et se trouvent isolés et dispersés.
Figure 3: Classification des types architecturaux de logements identifiés dans la zone étudiée
Source: Recherche primaire.
Note : afin d’élaborer ce tableau, nous avons effectué une étude des plans cadastraux initiaux, confirmé les dimensions, enregistré les édifices existants, identifié la situation des édifices dans la zone, procédé à la documentation photographique et à la réalisation d’un plan numérique, Toussi E., 2011-2019.
Ainsi qu’il résulta de l’étude du matériel d’archives (répartitions initiales et plans cadastraux, Service d’assistance pour les actes de cession aux réfugiés et Service d’urbanisme de la Ville de Nikaia – Agios Ioannis Renti) et de la recherche menée sur le terrain, chaque îlot bâti du quartier des réfugiés de Nikaia constitue une étude de cas distinct. Les causes de cette complexité doivent être recherchées dans la planification initiale.
Figure 4: Le cas des îlots bâtis n° 182 et 181. Dans l’îlot bâti n° 182, l’espace intermédiaire est divisé et porte un numéro de propriété, ce qui n’est pas le cas pour l’îlot bâti n° 181
Source: Service technique de la Ville de Nikaia – Agios Ioannis Renti, département de topographie, traitement par l’auteur.
Tel que représenté sur l’extrait de plan cadastral issu du quartier de Nikaia, (Figure 4), il arrivait fréquemment que l’espace intermédiaire des îlots bâtis ne fût pas qualifié dès le départ d’espace commun: Qui plus est, dans plusieurs cas, il portait un numéro de propriété et un marquage indiquant la division et la répartition des propriétés (Figure 5). Au cœur de la majorité des îlots bâtis, se trouvaient d’anciennes installations (lavoirs ) qui, plus tard, furent démolies. Après la démolition, on procéda à des attributions (des cessions forcées de propriété) dans le but d’assurer le caractère intègre des propriétés.
Figure 5: espaces communs ouverts dans les îlots bâtis du quartier de Nikaia, représentation des espaces communs qualifiés, dans les répartitions initiales et autres cas
Source: Synthèse de plans cadastraux individuels et indication des espaces suite à l’étude du matériel d’archives du Service d’assistance sociale, Région de l’Attique, traitement par l’auteur
L’état actuel des édifices du quartier des réfugiés
Selon l’étude menée sur le terrain, les appartements des réfugiés au cœur de Nikaia présentent une superficie limitée, allant de 30 à 60 m2 et de nombreux ajouts réalisés sans permis de construire, ajoutant des structures aussi bien dans l’espace commun ouvert que sur les trottoirs. Pour que les terrains situés au cœur du quartier des réfugiés de Nikaia soient considérés intègres, aux termes des règles d’urbanisme en vigueur, ils doivent présenter une façade de 6m et une superficie totale de 110 m2. Les nouveaux édifices présentent une hauteur nettement supérieure aux anciens édifices de réfugiés d’un ou deux étages. Cela crée une image hétérogène et a un impact important sur le comportement des édifices sur le plan environnemental, comme l’ombre portée indésirable d’un édifice sur l’autre, l’éclairage et l’aération naturels insuffisants.
La majorité des anciens logements de réfugiés n’est pas entretenue. Il en résulte des dégradations significatives de l’ossature des édifices. Les démolitions de complexes de logements de réfugiés étaient rares jusqu’aux années 2018-2019 (deux, sur dix ans). Depuis quelques années (2019-2023), les démolitions sont plus fréquentes et concernent surtout des édifices à un ou à deux étages (Photo 1 & 2 . Un taux significatif des édifices des réfugiés du quartier Germanika [3], fut démoli, tandis que, pour ce qui est des autres types d’édifices, l’état d’entretien est moyen. Il est important de souligner que les édifices de réfugiés encore conservés n’ont pas été intégrés au régime des bâtiments classés ou à protéger.
Photo 1 & 2: Démolitions récentes d’édifices de réfugiés
Source : recherche menée sur le terrain, E. Toussi 2021.
Figure 6: Comparaison entre une photographie aérienne actuelle et une carte de répartition initiale. Synthèse de carte par unification de feuilles individuelles du cadastre. Indication des édifices de réfugiés à deux étages existants, ainsi que de ceux qui furent démolis.
Source: Juxtaposition des schémas de plans en vue de ces types architecturaux, recherche primaire, enregistrement
Selon la recherche primaire, les édifices qui présentent l’état de dégradation le plus important sont les complexes de réfugiés à deux étages qui, dans la majorité des cas, comptent plusieurs appartements abandonnés. Comme il apparaît sur l’Image 8, un nombre très limité de ce type de complexes a été démoli. Quatre d’entre eux furent inclus à un projet de restauration lancé par la municipalité, dans les années 1990. La principale question concernant les édifices de réfugiés de type II a est liée au nombre élevé de successeurs. Cela a un effet qui freine le processus de prise de décisions. Il est à relever également que certaines parties de ces complexes ou certains appartements individuels sont suffisamment entretenus et coexistent avec des appartements qui sont complètement délabrés.
Selon les témoignages d’anciens habitants (Τούση, 2014: 470), dans les années 1980, les appartements à l’étage du type II a furent les premiers à être abandonnés. Ce phénomène fut associé au fait que les appartements étaient desservis par un couloir extérieur commun, ce qui réduisait fortement la sensation d’intimité des appartements se trouvant à l’étage.
L’état actuel des espaces communs en plein air des îlots bâtis du quartier des réfugiés
La planification initiale des îlots bâtis assura l’existence d’un espace commun intermédiaire qui s’avéra particulièrement important pour le développement des réseaux à la micro-échelle de la ville. Au fil des ans et, en particulier, après les années 1980, la démolition des complexes initiaux et la construction d’immeubles à appartements modifièrent de façon significative la qualité et le nombre de ces espaces en plein air. Dans les années 1990 et plus tard, ces espaces intermédiaires bénéficièrent d’interventions de réaménagement.
Le régime de propriété de ces espaces est particulièrement complexe, en particulier lorsqu’il existe plusieurs successeurs sur des espaces qui étaient au départ distribués à des réfugiés, titulaires de logements. De nos jours, bon nombre de ces espaces appartiennent à l’État et un nombre élevé est de propriétaire inconnu. Une autre question cruciale a trait aux constructions réalisées sans permis, dans ces espaces, dès le début de la construction du quartier, mais aussi à plusieurs attributions qui sont encore en suspens. Selon les données issues de la recherche menée sur le terrain, outre les changements dans le nombre et la superficie des espaces intermédiaires ouverts, on observe également un affaiblissement des relations sociales au niveau des voisinages.
La mémoire collective dans la région : les données
Le souvenir de la constitution initiale du quartier est conservé dans son appellation-même mais aussi dans les noms de rues encore conservés. Indubitablement, l’existence des maisons de réfugiés elles-mêmes – en dépit de leur dégradation importante – et la conservation du tracé initial du plan urbain sont des éléments établissant un lien entre le présent et le passé. Au cœur du quartier des réfugiés on trouve des noms de rue inspirés des noms de localités d’Asie Mineure (Menemeni, Proussa, Magnisia, Ikonio, etc.) mais aussi des noms de personnalités qui jouèrent un rôle déterminant pour le logement et la vie des réfugiés, tel que Henry Morgenthau [4], président du premier conseil d’administration de la Commission pour le logement des réfugiés (Γκιζελή, 1989: 162). Dans la présente analyse, nous tenons à citer les monuments qui ont trait à l’action héroïque des habitants de Nikaia dans la Résistance. Il s’agit de monuments, de plaques commémoratives et de statues liés à la Rafle de Kokkinia qui eut lieu le 17 août 1944 et qui entraîna près de 8 000 arrestations (Μπλόκο Κοκκινιάς (la Rafle de Kokkinia) 2004: 56) et près de 200 exécutionsς (Βόγλης, 2010: 160). Plusieurs places, telles que celles de Diamanto Koumpaki et d’Athina Mavrou à Néapoli, portent le nom de combattantes de la Résistance. L’enclos de l’ancienne fabrique de tapis où se déroulèrent les incidents dramatiques du 17 août est aujourd’hui un symbole de la Résistance, un lieu de mémoire qui accueille des expositions et des évènements artistiques (Photo 3). On trouve également ici le musée municipal de la Résistance nationale, qui opère avec le soutien de la Société de sauvegarde des archives nationales (EDIA).
Photo 3: Vue du site de l’Enclos de la Rafle
Source: Recherche sur le terrain, Toussi, 2022.
Épilogue
Les éléments du patrimoine immatériel et matériel contribuent à cartographier l’histoire de Nikaia, en dépit des changements qui ont marqué tant la composition de la population que l’environnement bâti. Certaines parties du tissu urbain préservent le lien avec leur planification initiale et fournissent des renseignements sur le parcours de la ville et son développement. Une question essentielle est soulevée par la forte dégradation des anciens édifices de réfugiés mais aussi par la diminution progressive des espaces intermédiaires multifonctionnels qui faisaient partie des îlots bâtis. Ces espaces, combinés aux allées ainsi qu’aux piétonniers épars, pourraient constituer la base pour la création d’un réseau vert qui unirait les espaces individuels avec d’autres espaces verts existants et plus étendus, améliorant de façon significative la qualité de la vie dans la région.
Remerciements
Nous voudrions remercier tout particulièrement Mme Giannaki et M. Thomaïdis, de la Région de l’Attique – Service de prévoyance sociale, pour le soutien qu’ils nous ont apporté dans l’étude du matériel d’archives (cartographie et actes de cession). Nous remercions chaleureusement Mme Lekka, dont la contribution et le soutien furent déterminants tout au long de la présente recherche. Nous souhaitons également remercier M. Giorgos Veranis pour le matériel cartographique d’archives qu’il a fourni concernant des îlots bâtis précis (îlots n° 159, 174) ainsi que Mme Despina Tringa, pour le soutien qu’elle nous offrit de la part de la municipalité de Nikaia – Agios Ioannis Renti, en nous permettant de visiter et de représenter une habitation du quartier de Germanika. Nous voudrions également remercier les familles qui résident dans les logements de réfugiés et qui participèrent à notre recherche, tant dans l’analyse du profil social de la région que dans l’enregistrement des logements de réfugiés.
[1]Étude des actes de cession de l’îlot bâti n° 159, sous n° 1642 (concerne un étage surélevé d’un complexe à deux étages), n° 12056 rez-de-chaussée de l’îlot bâti n° 159, n° 14161 de l’îlot bâti n°79 propriétés sous n° 3 et 4, titres de propriété de la Banque Agricole, îlot bâti 174 propriété n° 31, n° 6987, îlot bâti 174 propriété n° 30, n° 16933
[2] Matériel afférent dans le documentaire Smyrne : la destruction d’une ville cosmopolite – 1900-1922: Titre original : Smyrna: The Destruction of a Cosmopolitan City – 1900-1922, Maria Iliou et Alexandros Kitroev
[3] Pour une analyse détaillée de l’état actuel du quartier de Germanika, voir Tousi E., Karadoulama K., Papaioannou I., Patsea A., Skrepi A., Spentza E., Voskos T., Zafeiropoulos G. (2023) Issues of Urban Conservation and Collective Memory. The case of the Asia Minor post-refugee urban neighborhood Germanika at Nikea, Piraeus, Greece. Journal of Sustainable Architecture and Civil Engineering, Kaunas University of Technology
Référence de la notice
Toussi, E. (2024) Les distributions initiales et l’état actuel des logements des réfugiés et des espaces publics à Nikaia de l’Attique, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/logements-des-refugies-et-espaces-publics-a-nikaia-de-lattique/ , DOI: 10.17902/20971.118
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
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- Σαρηγιάννης Γ.Μ. (2000) Αθήνα:1832-2000 [Athens 1832-2000], Εκδόσεις, Συμμετρία, Αθήνα
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- Tούση Ε. (2019) Μελετώντας το αποτύπωμα της Κοινωνικής Κατοικίας στην Περιφερειακή Ενότητα Πειραιά. Μια συγκριτική διερεύνηση. Μεταδιδακτορική έρευνα, Σχολή Αρχιτεκτόνων Μηχανικών ΕΜΠ, Τομέας Πολεοδομίας – Χωροταξίας
- Χίρσον Ρ. (2004) Κληρονόμοι της Μικρασιατικής Καταστροφής. Η κοινωνική Ζωή των Μικρασιατών Προσφύγων στον Πειραιά, Μορφωτικό Ίδρυμα Εθνικής Τραπέζης