Inverser la tendance à l’abandon du centre-ville : la présence des migrants dans les secteurs du logement et des affaires
Balampanidis Dimitris|Polyzou Iris
Logement, Migration, Quartiers, Structure Sociale
2015 | Déc
L’arrivée et l’installation après 1990 d’un nombre important de migrants dans la Région Attique, et surtout dans la municipalité d’Athènes, se réalisent dans un environnement urbain en pleine mutation. Les années 80 ont été une décennie de profonds changements sociodémographiques, aussi bien au centre qu’en banlieue, ainsi que de transformations importantes du caractère fonctionnel de la ville.
En effet l’Attique a connu dans les années 80 une croissance démographique limitée, mais aussi une grande redistribution géographique de sa population, la tendance dominante étant le déplacement vers les banlieues. Les pertes démographiques dans les zones d’habitat du centre et les augmentations dans les zones périphériques ont été les plus fortes pour les classes socioprofessionnelles moyennes à élevées, tandis que les plus grandes variations démographiques ont eu lieu dans ce qu’on appelle les « beaux quartiers », les banlieues nord et sud-est de l’agglomération urbaine de la capitale (Maloutas et al., 2006) [1]. En dix ans à peine, la population de la municipalité d’Athènes est tombée de 885 737 en 1981 à 772 072 en 1991, et selon les résultats du dernier recensement de 2011, elle atteint aujourd’hui à peine 664 046 habitants, chiffre qui comprend le nombre important des migrants qui sont venus s’ajouter à la population totale au cours des deux dernières décennies [2].
Cette diminution constante de la population et la « fuite » socialement asymétrique vers les banlieues que l’on relève dès le début des années 80, se sont traduites dans les quartiers du centre-ville par un grand parc immobilier vacant, vétuste, dégradé et bon marché.
Au cours de cette même période, on observe une tendance similaire vers les banlieues dans la géographie du petit et moyen commerce de détail. Jusqu’à la fin des années 70, la municipalité d’Athènes concentrait 41 % des activités commerciales de la Région Attique ; elle a perdu peu à peu sa dynamique, et en 2011, ce chiffre tombe à 34 % (Γεωβάση Αττικής 2012). L’entrée de chaînes internationales et l’arrivée de centres commerciaux sur le marché intérieur, mais aussi l’installation de nouveaux complexes commerciaux dans les zones d’habitat nouvellement construites dans les banlieues, affaiblissent encore plus les activités commerciales du centre-ville. Aujourd’hui, avec le facteur aggravant de la crise, le nombre de magasins fermés dépasse 30 % dans certaines rues de la ville (Confédération nationale du Commerce et de l’Entreprenariat – Institut du Commerce et des Service, 20/09/2012).
Après une décennie de profondes transformations urbaines, comme décrit ci-dessus, les migrants qui commencent à arriver en masse en Grèce se concentrent principalement dans la Région Attique, tandis que la moitié d’entre eux environ s’installent dans la municipalité d’Athènes (Vaïou et al. 2007). Selon les données du recensement de 2011, on estime à 17,7% de la population totale le nombre des migrants installés dans le Secteur central de la Région Attique.
L’objectif du présent article est de montrer que la présence de la population des migrants dans la municipalité d’Athènes joue un rôle important pour stopper les phénomènes répétés d’abandon et de dégradation aussi bien du parc immobilier que des activités entrepreneuriales au centre-ville.
Pour ce faire, notre étude a porté sur le degré et les modalités de participation des migrants dans les domaines de l’habitat et du commerce, dans deux quartiers du centre de la municipalité, à Kypseli et au Metaxourgio. En ce qui concerne l’habitat, nous avons relevé le rapport et la répartition géographique des habitants, Grecs et migrants, sur la base des noms figurant sur les boutons de sonnette d’un nombre représentatif d’immeubles [3].
Quant aux activités entrepreneuriales, nous avons relevé le nombre et l’emplacement des magasins et services ouverts et fermés tenus par des migrants, ainsi que certaines de leurs caractéristiques, comme le type d’activités commerciales ou le pays d’origine de leur propriétaire migrant ou de leur clientèle. Pour compléter l’étude, nous avons relevé pour trois rues centrales caractéristiques de chaque quartier, le nombre total des activités entrepreneuriales exercées par des Grecs ou des migrants pour en établir la proportion [4].
Selon les relevés sur place à Kypseli et au Metaxourgio, 15 % et 16,5 % respectivement des appartements sont occupés par des migrants, tandis que 15 % et 21,5 % respectivement du parc immobilier de chaque quartier reste inoccupé.
Carte 1a: Nombre des migrants par immeuble à Kypseli (échantillon de 600 immeubles et de 11.213 appartements)
Carte 1b: Nombre des Grecs par immeuble à Kypseli (échantillon de 600 immeubles et de 11.213 appartements)
À Kypseli, la répartition géographique horizontale des migrants qui y habitent est relativement homogène, à l’exception de leur présence réduite le long de l’axe de la rue Phokionos Negri (où les loyers restent élevés) et de leur concentration légèrement supérieure dans le secteur nord-ouest, où habitent depuis des années des ménages à faible revenu. En comparant la répartition horizontale des migrants installés à celles des Grecs, les modèles d’installation sont similaires, ce qui indique une mixité de logement ethnique généralement équilibrée (cartes 1a, 1b). De même, au Metaxourgio, les migrants résidents sont dispersés de façon relativement similaire sur l’ensemble du quartier, à l’exception d’une concentration légèrement supérieure dans le secteur nord-est, près de la place Omonia (cartes 2a, 2b).
Carte 2a: Nombre des migrants par immeuble à Metaxourgio (échantillon de 181 immeubles et de 2.800 appartements)
Carte 2b: Nombre des Grecs par immeuble à Metaxourgio (échantillon de 181 immeubles et de 2.800 appartements)
La mixité ethnique de l’habitat se confirme non seulement horizontalement (au niveau du quartier) mais aussi verticalement (au niveau de l’immeuble), puisque les migrants, tout comme les habitants Grecs, ne sont pas cantonnés à quelques étages seulement des immeubles. À Kypseli, la moitié des migrants environ résident entre le sous-sol et le rez supérieur et l’autre moitié entre le premier et le quatrième étage, tandis que très peu d’entre eux ont accès à des étages plus haut. Au Metaxourgio, où les constructions sont moins hautes et les maisons individuelles plus abondantes qu’à Kypseli, la majorité des migrants habitent entre le premier et le troisième étage.
À Kypseli et au Metaxourgio, les migrants exerçant des activités commerciales représentent respectivement 10 % et 44 % de l’activité commerciale totale. Les différences entre les deux quartiers sont importantes et sont liées aussi bien à leurs caractéristiques spatio-sociales qu’aux concentrations de migrants spécifiques de chaque quartier.
À Kypseli, nous avons relevé 133 magasins ouverts et 48 magasins fermés tenus par des migrants, qui se répartissent de façon quasi similaire dans le quartier (carte 3). Dans leur grande majorité, il s’agit de magasins d’alimentation, de services téléphoniques, de commerces en tout genre et de salons de coiffure. Les principales régions d’origine des patrons de magasins migrants sont l’Afrique, l’Asie, l’ancien bloc soviétique, la Chine et le Proche-Orient (tableau 1). Dans plusieurs cas, la nature de l’activité est liée au pays d’origine des migrants. De même, l’activité commerciale ethnique à Kypseli s’adresse principalement à une clientèle mixte. Plus précisément, selon nos relevés, 56 % des entreprises s’adressent d’abord à des migrants, surtout les salons de coiffure et les services téléphoniques, et 44 % à une clientèle mixte, surtout les magasins d’alimentation et les commerces non spécialisés.
Carte 3: Magasins des migrants, ouverts et fermés, à Kypseli
Tableau 1: Type d’activités commerciales et région d’origine des migrants propriétaires de magasins dans le quartier de Kypseli
Au Metaxourgio, nous avons relevé 260 magasins de migrants ouverts et 28 fermés, qui se répartissent surtout dans le secteur est du quartier, à la hauteur de la place Koumondourou et dans le secteur nord, à proximité de la place Omonia (carte 4). Dans ce quartier, la première place revient au prêt-à-porter en gros, devant les magasins non spécialisés, l’alimentation et la restauration. Les régions d’origine des migrants qui tiennent ces magasins sont également liées directement aux types d’activités commerciales : la première place est occupée par les Chinois, devant les ressortissants des pays de l’ancien bloc soviétique et d’Asie (tableau 2). Enfin, 67 % des magasins s’adressent à une clientèle mixte, contre 32 % à une clientèle de migrants.
Carte 4: Magasins des migrants, ouverts et fermés, à Metaxourgio
Tableau 2: Type d’activités commerciales et région d’origine des migrants propriétaires de magasins dans le quartier de Metaxourgio
Les relevés ci-dessus montrent que l’arrivée et l’installation en masse des migrants dans la municipalité d’Athènes constituent une contribution importante à l’arrêt des tendances à l’abandon de certains quartiers du centre-ville, à la dévalorisation du parc immobilier et au déclin des fonctions vitales pour la ville, comme le logement et les activités entrepreneuriales. Autrement dit, la présence des migrants dans ces deux quartiers a compensé la « fuite » vers les banlieues des années précédentes et a maintenu la présence et l’activité humaines dans les deux quartiers du centre ayant fait l’objet de notre étude. Cela a contribué également à revigorer l’économie locale en (ré)activant le marché du locatif d’habitation et du locatif professionnel. Enfin, grâce à leurs contributions financières et à leurs efforts, les migrants ont contribué par leurs travaux d’entretien, d’amélioration et de transformation à réhabiliter le parc immobilier ainsi que l’espace public environnant. Au total, la présence des migrants au centre-ville semble pallier à la dévalorisation grandissante, démographique et fonctionnelle, du centre-ville et renforcer le caractère multifonctionnel qui a été le sien au cours de son histoire.
[1] La diminution de la population dans la municipalité d’Athènes et l’augmentation dans les municipalités et communes suburbaines de moindre importance s’est poursuivie dans les années 1990, mais avec un rythme moins soutenu (Μαλούτας et al. 2006, 279).
[2] Pour les données démographiques, v. Office national hellénique de la statistique, Population effective de la Grèce lors du recensement du 5 avril 1981, Athènes, 1982, JO 882, Tableau de la population effective lors du recensement du17 mars 1991, 6 décembre 1993, ELSTAT, Tableau de la population permanente – Recensement 2011, http://www.statistics.gr/portal/page/portal/ESYE/PAGE-census2011
[3] La méthode suivie pour la collecte des données impose certaines limites importantes. Les noms des habitants mentionnés sur les boutons de sonnette des immeubles ne sont souvent pas à jour ou « dissimulent » des informations au cas où certains occupants ne désirent pas être « visibles » (Βαϊου et al. 2007, 82). Nous considérons toutefois que cette méthode peut offrir sinon une représentation absolument précise, au moins une estimation satisfaisante du nombre d’habitants migrants à l’échelle réduite de l’immeuble.
[4] Les relevés sur place pour l’ensemble des deux quartiers étudiés ont été effectués entre juin 2012 et février 2013. Les trois rues centrales caractéristiques des quartiers sont les rues Drosopoulou, Agias Zonis et Kyprou à Kypseli, et les rues Megalou Alexandrou, Agesilaou et Kolokynthous au Metaxourgio.
Référence de la notice
Balampanidis, D., Polyzou, I. (2015) Inverser la tendance à l’abandon du centre-ville : la présence des migrants dans les secteurs du logement et des affaires, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/migrants-logement-et-entreprises/ , DOI: 10.17902/20971.48
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Βαΐου Ν (2007) Διαπλεκόμενες καθημερινότητες και χωρο-κοινωνικές μεταβολές στην πόλη. Μετανάστριες και ντόπιες στις γειτονιές της Αθήνας. Αθήνα. Available from: http://iktinos2.arch.ntua.gr/genspace/pithagoras.pdf.
- Γεωβάση Αττικής (2012) Η εξέλιξη του λιανικού εμπορίου 1978-2011. Οργανωτική-λειτουργική αναδιάρθρωση και χωρο-κοινωνικές επιπτώσεις (Επιστημονικός υπεύθυνος Ι. Σαγιάς). Αθήνα.
- ΕΛΣΤΑΤ (2011) Πίνακας αποτελεσμάτων Μόνιμου Πληθυσμού – Απογραφής 2011. Available from: http://www.statistics.gr/portal/page/portal/ESYE/PAGE-census2011.
- ΕΣΕΕ-ΙΝΕΜΥ (2012) Απογραφή του εμπορικού κέντρου της Αθήνας και καταγραφή των λουκέτων στα πλαίσια της ΓΕΩΒΑΣΗΣ. Αθήνα. Available from: http://www.inemy.gr/Portals/0/Gewvasi/Louketa/1.ereuna_louketa_athina_septevrios_2012 -.pdf.
- ΕΣΥΕ (1982) Πραγματικός πληθυσμός της Ελλάδος κατά την απογραφή της 5 Απριλίου 1981. ΕΣΥΕ.
- Μαλούτας Θ, Εμμανουήλ Δ και Παντελίδου Μαλούτα Μ (2006) Αθήνα. Κοινωνικές δομές, πρακτικές και αντιλήψεις: Νέες παράμετροι και τάσεις μεταβολής 1980-2000. Αθήνα. Available from: http://www.ekke.gr/open_books/athens_2006.pdf.
- ΦΕΚ Β’ 882 (1993) Πίνακας πραγματικού πληθυσμού κατά την απογραφή της 17ης Μαρτίου 1991. Ελλάδα.