Opération « Xénios Dias » : Stratégie de dissuasion des migrants par la détention, l’intimidation et la violation de leurs droits
2015 | Déc
Les politiques migratoires appliquées en Grèce au cours des vingt dernières années avaient, dans leur grande majorité, un caractère répressif. Au début, dans les années 90, de nombreux Albanais ont été arrêtés et expulsés dans le cadre de la conjoncture politique et des « opérations coups de balai » de l’époque, tandis que dans les années 2000, des migrants en provenance de l’Afrique, du Proche-Orient et de l’Asie, entrés illégalement dans le pays, ont été détenus en masse aux frontières. Plus récemment, entre 2010 et 2012, la plupart des arrestations ont eu lieu surtout à la frontière gréco-turque, tandis que les moyens pour le contrôle aux frontières ont été renforcés de façon importante (tableau 1).
Tableau 1 : Pourcentages par région des arrestations effectuées sur l’ensemble du territoire entre 2009 et 2013
Source : Statistiques de la Police nationale hellénique, http://www.astynomia.gr
Dans les années 90, on crée une police des frontières et on ouvre des postes de police disposant de cellules dans le département de l’Evros ; au milieu des années 2000, on construit un centre de détention à Samos et à Chios ; à partir de 2007, l’opération en Égée baptisée « Poséidon » est coordonnée par Frontex et en 2011, on lance l’opération « Rabbit » à la frontière terrestre avec la Turquie. Dès 2010, la Thrace occidentale devient le lieu par excellence de contrôle à la frontière, dans une région emblématique aussi bien au niveau national qu’au niveau européen, pour régler le « problème » du passage des frontières en direction de la Grèce, avec des arrestations massives. Cette situation change radicalement toutefois après 2012, pour deux raisons principales : l’application de la loi 3907/2011 et les opérations « Xénios Dias ».
L’adaptation de la législation grecque aux dispositions de la Directive européenne en matière de « retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier » prévoit l’établissement de nouveaux moyens et structures pour le contrôle aux frontières. Concrètement, on institue une procédure de contrôle de l’immigration qui vise à simplifier et à systématiser la reconnaissance et la collecte de données pour toux ceux qui passent les frontières. Effectivement, dès le premier semestre 2012, l’application de la loi aboutit à une accélération nette des procédures de contrôle des migrants aux frontières [1]. Les centres de détention de Pheres, Venna, Phylakio, Tychero et Soufli ne reçoivent que les migrants en voie d’expulsion. Parallèlement à l’application du nouveau mode de contrôle à la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie, le gouvernement lance en août 2012 l’opération « Xénios Dias », non pas dans les zones frontière, mais dans les grands centres urbains du pays. Les contrôles généralisés concernent en premier lieu la ville d’Athènes, et visent surtout les migrants sans papier, aboutissant à des milliers d’arrestations et de détentions [2]. Après leur contrôle et leur arrestation, les migrants sont conduits aux postes de police d’Athènes pour identification. Au cas où ils n’ont pas de permis de séjour en règle ou ont de faux papiers, ils sont systématiquement détenus dans les postes de police de la ville ou transportés dans des centres de détention d’Athènes (centre de départ d’Amygdaleza), de Xanthi, Komotini, Paranesti et Corinthe. La capacité de ces nouvelles installations, inaugurées en 2012, est impressionnante et dépasse celle des centres de détention aux frontières : dans plusieurs cas, elles peuvent recevoir jusqu’à 1000 personnes
Tableau 2 : Nombre des contrôles, arrestations et détentions de migrants effectués à Athènes au cours de l’opération « Xénios Dias »
L’établissement exact du nombre de migrants arrêtés et détenus demande une méthode de calcul particulière. Les chiffres figurant au tableau 2 résultent de l’addition des chiffres mentionnés dans les rapports quotidiens et publiés sur le site officiel de la Police nationale. Ces chiffres correspondent à des arrestations de migrants pour contrôle de papiers et incluent contrôle au poste de police et détention pour « violation de la législation nationale en matière de séjour dans le pays ».
L’impact social principal des opérations « Xénios Dias » réside dans le caractère de la détention des migrants après leur arrestation. La durée de cette détention n’est jamais connue du détenu et peut se prolonger légalement jusqu’à 18 mois, sur la base des amendements introduits par la loi 3907/2011. De plus, en raison de leur institution récente, les centres de détention de départ sont très peu reliés aux réseaux de soutien aux migrants fournissant des services juridiques voire parfois des services médicaux. Autrement dit, le contact avec le « dehors » devient plus rare, tandis que certains migrants détenus sont transférés et détenus pendant des mois dans des postes de police du centre d’Athènes (carte 1).
Carte 1 : Le parcours de détention d’Amin. Source L. Pillant 2012
Un autre impact important des opérations de contrôle, dans le cadre de l’application de la loi 3907/2011, est l’« extension » de la pratique de détention des zones frontières à l’intérieur du pays. Cette « extension » géographique des détentions vers les centres urbains s’est accompagnée d’un discours ostensible des autorités sur la répression des flux migratoires et des migrants qui vivent dans les villes, surtout à Athènes. Ainsi les opérations « Xénios Dias » ont eu pour principal résultat la diminution des arrestations à la frontière et une augmentation des arrestations dans les grands centres urbains. C’est dans les villes désormais, et non à quelque frontière lointaine et invisible que les opérations « Xénios Dias » ont augmenté la « visibilité » des arrestations et ont exploité sur le plan communicationnel la répression contre les migrants. En particulier à Athènes, ville où se concentre plus d’un tiers de la population du pays, la « visibilité » des arrestations a eu une force communicationnelle particulière (carte 2).
Carte 2 : Zone d’application principale de l’opération « Xénios Dias ». Source L. Pillant
Au delà des bénéfices offerts par les opérations en question au pouvoir politique, face à une opinion publique hostile à la présence des étrangers –phénomène auquel contribue aussi la force électorale en augmentation du parti néo-nazi « Chrysi Avgi »– la « visibilité » des arrestations a provoqué chez les migrants eux-mêmes une crainte généralisée à l’égard des autorités grecques. À cela s’ajoute au cours de la même période, le danger accru de voir apparaître des attaques racistes envers eux, surtout dans les grandes villes. Tout cela a agi, indirectement, de façon dissuasive sur tous ceux qui avaient l’intention de passer la frontière à destination de la Grèce, ce qui explique aussi la brusque diminution des arrestations à la frontière gréco-turque à partir d’août 2012.
À la lumière des remarques ci-dessus, il ne fait aucun doute que les opérations en question ont eu un impact négatif pour les migrants en Grèce, par le biais de la stratégie d’intimidation et de dissuasion flagrante qu’exercent les autorités aux dépens des migrants qui vivent à Athènes ou qui désirent s’installer dans le pays bien qu’ils ne disposent pas de papiers en règle. Il est important de ranger dans les nouvelles stratégies de contrôle la pratique désormais bien établie de la détention non seulement dans les régions frontalières « invisibles », mais aussi au cœur d’Athènes et d’autres grandes villes, ainsi que les arrêts multiples dans les « parcours » de contrôle et de détention des migrants entre centre de détention et postes de police, dans les régions frontalières et au cœur des villes.
[1] L’accélération des procédures de contrôle à la frontière a été établie grâce à une recherche sur place dans le département de l’Evros réalisée entre mai et août 2012, dans le cadre de la thèse de l’auteur.
[2] L’opération « Xénios Dias » vise un large échantillon de personnes qui ne répondent pas aux modèles sociaux établis, c’est-à-dire marginaux, migrants sans papiers, sans-abri, prostituées, pourvoyeurs de faux papiers, organisateurs de jeux de hasard interdits, etc.
Référence de la notice
Pillant, L. (2015) Opération « Xénios Dias » : Stratégie de dissuasion des migrants par la détention, l’intimidation et la violation de leurs droits, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/operation-xenios-dias/ , DOI: 10.17902/20971.17
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Pillant L (2015) Les conséquences socio-spatiales des nouvelles modalités du contrôle migratoire à la frontière gréco-turque. L’Espace Politique (En ligne), Département de géographie de l’université de Reims Champagne-Ardenne 25(1). Available from: http://espacepolitique.revues.org/3369.
- Pillant L (2014) Introduction of procedures for migration controls in Greece. Case study in the Aegean Islands. Anteby L, Baby-Collin V, Mazzella S, et al. (eds), Borders, Migrations and mobilities. Perspectives from the Mediterranean, Bruxelles: Peter Lang.
- Pillant L (2013) Entre territoires d’exception, de la mise à l’écart et de l’exclusion, quelle lecture des lieux de contrôle de la migration en Grèce ? In: De Rapper G, Sintès P, and Bardhoshi N (eds), Social practices and local configurations in the Balkans, UET (European University of Tirana Press), p. 295