Planifier Athènes au 19e siècle
2015 | Déc
La fin de la Révolution a trouvé une Athènes profondément blessée, car elle avait subi des destructions très importantes. Toutefois, quand bien même ce n’est qu’en mars 1833 que la garnison turque se retire de l’Acropole, la renaissance progressive de la ville avait commencé dès 1830.
En novembre 1831, les architectes Stamatis Cléanthis et Eduard Schaubert, élèves de Karl Friedrich Schinkel, l’architecte allemand sans doute le plus important du néoclassicisme, s’installent à Athènes et en commencent le relevé systématique ; ils rédigent par la suite leur proposition d’urbanisation dans la perspective de l’établissement probable de la capitale de la Grèce libérée en ce lieu. Effectivement, en mai 1832, le Gouvernement provisoire post-capodistrien leur confie le soin d’élaborer le Nouveau plan de la ville d’Athènes, qui est approuvé en juillet 1833 par le Régent qui avait entretemps pris les rênes de l’État.
Que prévoyait dans les grandes lignes ce plan initial ? La Nouvelle Ville englobait environ la moitié de l’ancienne, et s’étendait vers l’ouest, le nord et l’est. L’autre moitié de la Vieille ville, délimitée par les rues Iphaistou, Pandrosou et Adrianou, devait être expropriée pour y effectuer des fouilles archéologiques. Mais la partie conservée de la Vieille ville n’était conservée que comme zone géographique et non comme espace bâti, puisqu’il était prévu que la plus grande partie de cette zone serait redistribuée par de nouvelles rues et divisée en lotissements rectangulaires réguliers. Les axes principaux devaient former un triangle isocèle dont le sommet devait être l’actuelle place Omonia, les côtés les rues Pireos et Stadiou actuelles, et la base la rue Ermou. Toute cette orientation avait pour objectifs Le Pirée, le Stade et surtout l’Acropole, aux pieds de laquelle la ville s’étendait comme des bras ouverts. Au sommet du triangle, il était prévu d’édifier le Palais : le sommet géométrique et le sommet du pouvoir de l’État se recoupaient de façon symbolique. L’orientation des côtés ne devait rien au hasard : « Ils se recoupent » comme le soulignent Cléanthis et Schaubert dans leur mémoire, « de telle façon que du balcon du palais on jouisse d’une belle vue à la fois sur le pittoresque Lycabette, sur le Stade panathénaïque, sur l’Acropole, si riche en souvenirs glorieux, et sur la flotte et les navires de commerce du Pirée ». Les rues Pireos et Stadiou étaient coupées de façon symétrique par les places de la Bourse (Chrimatistiriou) et du Théâtre (Theatrou). Il s’agit des places actuelles Koumoundourou et Klafthmonos, qui sont effectivement symétriques, ce qu’il est difficile de remarquer aujourd’hui au milieu du chaos d’Athènes.
Le réseau routier se développait en partie sur un plan radial à partir des places circulaires, et en partie parallèlement et perpendiculairement aux axes principaux, toujours avec une régularité absolue. Le plan prévoyait précisément l’emplacement de tous les bâtiments publics et de façon générale, toutes les zones fonctionnelles de la ville : ministères, tribunaux, casernes, police, poste, hôtel de la monnaie, évêché, parcs, etc. L’ensemble était prévu pour accueillir toutes les fonctions d’une capitale et une population qui devait atteindre 40 000 habitants.
Le plan géométrique que l’on retrouve aussi bien dans le plan de Cléanthis et Schaubert que dans celui de Klenze, que nous verrons plus loin, constitue un élément constitutif de l’urbanisme néoclassique romantique, tel qu’il a pris forme à la fin du 18e siècle ; cet urbanisme se caractérise aussi par la planification fonctionnelle et l’utilisation rationnelle de l’espace, par une conception indissolublement liée à la nouvelle conscience bourgeoise, qui trouve son expression symbolique précisément dans l’Asty, la Nouvelle Ville.
Fin 1833 on avait commencé à mettre en œuvre le plan. Mais dès que l’on comprit l’importance des expropriations nécessaires à l’édification des bâtiments publics, à la création des parcs et du réseau routier, ainsi que pour les fouilles archéologiques, on assista à une vague de protestations, si bien que le Régent ordonna de surseoir à la réalisation du plan, en juin 1834.
Par la suite on fit appel au célèbre architecte bavarois Leo von Klenze pour élaborer en septembre 1834 un plan révisé, qui se caractérisait principalement par une réduction de la superficie totale de la ville et des lieux de fouilles, la réduction de la largeur des rues et de la superficie des places, ainsi que par une réduction du réaménagement de la Vieille Ville. Il prévoyait en fin de déplacer le Palais et par conséquent tout le centre de gravité administratif de la ville de la place Omonia sur les flancs du Céramique.
Les modifications de Klenze ont réduit les difficultés, mais ne les ont pas éliminées. Le début des démolitions pour ouvrir dans un premier temps les nouvelles rues Eolou, Ermou et Athinas, s’est heurté aux réactions des habitants, à qui le Gouvernement n’avait pas cédé de nouveaux terrains comme il l’avait promis. Devant l’incapacité à financer les expropriations prévues, on décida en 1836 de réduire une nouvelle fois la zone archéologique, proposition connue sous le nom de Révision Hansen-Schaubert. D’autres révisions de moindre ampleur suivirent tout au long du 19e siècle.
Mais il restait à résoudre la question du Palais. On se résolut finalement à faire appel au fameux architecte bavarois Friedrich von Gaertner, qui finit par choisir l’ensellement entre le Lycabette et l’Acropole, à l’extérieur des murailles de la Porte de la Mésogée ; il établit les plans pour la construction du Palais, à l’emplacement où il fut finalement construit (le Parlement actuel). Quelques changements de plan limités dans la zone du Palais eurent lieu en 1837, avec le plan dit de Hoch.
Ces changements successifs ont abouti d’une part à préserver une grande partie de la Vieille Ville, d’autre part à réorienter la Nouvelle Ville vers l’emplacement final du Palais, ce qui a revalorisé le secteur situé à l’est de l’axe de la rue Athinas. Cette revalorisation s’exprime par exemple dans le développement disproportionné de la rue Stadiou (et par la suite, de la rue Panepistimiou) par rapport à la rue Pireos, ou de la place Klafthmonos par rapport à la place Koumoundourou, etc
Athènes a mis du temps à s’étendre sur l’ensemble de l’espace prévu par les plans. Pendant des décennies, ses limites sont effectivement restées essentiellement celles de la vieille ville. Il est intéressant de relever que les quartiers qui constituent aujourd’hui le centre de la ville, comme la place Omonia elle-même et tout le flanc nord de la rue Pireos, sont restés pratiquement déserts jusque dans les années 1870-1880, tandis que le monastère Pétraki, dans l’actuel quartier de Kolonaki, était encore à l’époque un monastère rural. La zone de Strefi se trouvait quasiment jusqu’au début du 20e siècle à la limite de la ville, la future avenue Alexandras n’était qu’un torrent entre les monts Tourkovounia et Lycabette, et l’on ne trouvait à Kypseli que quelques fermes éparses que l’on pouvait compter sur les doigts d’une main, et quelques villas de campagne, buts d’excursion pour les Athéniens.
Ce développement est lié au rythme d’augmentation de la population d’Athènes. Il va de soi que l’établissement de la capitale à Athènes y attira une grande affluence de nouveaux habitants. De 12 000 environ en 1834, la population doubla dans la décennie suivante. Toutefois les prévisions de Cléanthis-Schaubert pour une ville de 40 000 habitants ne se réalisèrent pas avant les années 1860, et le chiffre clé de 100 000 ne fut atteint qu’à la fin des années 1880. Nous ne nous étendrons pas sur les causes de cette accélération, qui sont liées quoi qu’il en soit à la fonction même de la ville à long terme, d’abord comme centre administratif, plutôt que comme centre industriel, dans la mesure surtout où ce rôle était assumé par une autre ville toute proche : Le Pirée.
Référence de la notice
Kallivretakis, L. (2015) Planifier Athènes au 19e siècle, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/planification-au-19e-siecle/ , DOI: 10.17902/20971.65
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Καλλιβρετάκης Λ (1996) Η Αθήνα τον 19ο αιώνα: Από επαρχιακή πόλη της Οθωμανικής Αυτοκρατορίας, πρωτεύουσα του Ελληνικού Βασιλείου. Στο: Μοσχονάς Ν (επιμ.), Αρχαιολογία της πόλης των Αθηνών: επιστημονικές-επιμορφωτικές διαλέξεις, Αθήνα: Αρχαιολογία της Πόλης των Αθηνών, σσ 173–196. Available from: http://helios-eie.ekt.gr/EIE/handle/10442/7282.
- Μπίρης Κ (1966) Aι Αθήναι από του 19ου εις τον 20ον αιώνα. Αθήνα: Έκδοσις του Καθιδρύματος Πολεοδομίας και Ιστορίας των Αθηνών.
- Μπίρης Κ (1933) Τα πρώτα σχέδια των Αθηνών. Ιστορία και ανάλυσίς των. Αθήνα: Τύποις Κ. Σ. Παπαδογιάννη.
- Πολίτης Α (1933) Ρομαντικά χρόνια. Ιδεολογίες και νοοτροπίες στην Ελλάδα του 1830-1880. Αθήνα: Ε.Μ.Ν.Ε. – ΜΝΗΜΩΝ.
- Τραυλός Ι (1960) Πολεοδομική εξέλιξις των Αθηνών. 2ο έκδ. Αθήνα: ΚΑΠΟΝ.
- Matton L and Matton R (1963) Athènes et ses monuments: du XVIIIe siècle à nos jours. Athens: Institut français d’Athènes.