L’accès des migrants à la propriété (2000-2010): Formes principales de la ségrégation ethnique « horizontale » et « verticale » par le logement dans la municipalité d’Athènes
Balampanidis Dimitris
Logement, Migration, Structure Sociale
2015 | Déc
La présence massive des migrants et la coexistence multiculturelle dans les quartiers d’Athènes constituent une expérience sociale récente dans l’histoire de la ville, qui commence au début des années 90, quand la Grèce cesse d’être un pays qui envoie des migrants pour devenir un pays qui en accueille. Le premier flux massif de migrants provient principalement de pays des Balkans et d’Europe de l’est ; s’y ajoute après 2000, un nombre important de réfugiés et de migrants, surtout en provenance du Proche-Orient, de l’Asie et de l’Afrique. À titre indicatif, on estime que jusqu’en 2004, les migrants constituent en Grèce 10% de la population totale (Baldwin-Edwards et al. 2004) ; ils se concentrent principalement dans les grands centres urbains, en premier lieu dans la Région Attique et dans la municipalité d’Athènes (Καβουνίδη και Χατζάκη 1999).
Dans le discours public dominant, les migrants ont été considérés comme des sujets a priori marginaux, délinquants et misérables, tandis que certains quartiers du centre d’Athènes où ils résident ont été stigmatisés comme des ghettos « inaccessibles », dangereux et dévalorisés. Le discours scientifique au contraire a décrit les migrants comme un ensemble de la population particulièrement hétérogène à l’interne et a révélé le large éventail des cas de logements réhabilités, ainsi que la répartition géographique particulière de leur établissement dans les quartiers de la ville. Dans les premières études scientifiques sur le sujet en particulier, on parlait de lieux de « ségrégation », où les migrants vivent socialement isolés des « indigènes », sans abri ou entassés sur les places, dans les gares, dans des hôtels délabrés ou des bâtiments abandonnés du centre-ville (Ψημμένος 1995).
Des études ultérieures toutefois ont révélé un accès massif des migrants au logement, surtout par le marché locatif, et ont souligné leur relative dispersion dans de nombreux quartiers d’Athènes et le niveau élevé de mixité avec la population « autochtone », malgré certaines concentrations plus fortes par endroits (Βαϊου et al. 2007, Πετρονώτη 1998). Dans un laps de temps très bref, les migrants à Athènes et dans d’autres grandes villes, comme Salonique, ont adopté une grande variété de solutions pour se loger, dont beaucoup ont été qualifiées de « chemins vers la prospérité » ou de trajectoires humaines « positives » qui renversent les stéréotypes habituels et les représentations racistes (Λαμπριανίδης και Λυμπεράκη 2005).
Dans le présent article, nous mettons l’accent sur l’accès des migrants à la propriété propre, qui constitue d’ordinaire le dernier stade d’un long parcours pour se loger ainsi que le cas de reclassement résidentiel le « plus réussi » et le « plus sûr » [1]. Dans quelle mesure les migrants ont-ils part au marché immobilier, pour lesquels d’entre eux cet accès est-il plus facile et quelle est la géographie particulière de ce phénomène ? Les constats présentés ci-après s’appuient sur une étude quantitative partielle effectuée dans les archives du Bureau des hypothèques d’Athènes, qui s’est concentrée exclusivement sur la municipalité d’Athènes et sur la décennie 2000-2010 [2].
Sur la base d’un échantillon aléatoire et représentatif de 45 000 actes de vente de logement, la participation des migrants au marché immobilier approche les 7%, au moment même où leur importance démographique sur l’ensemble de la population de la municipalité d’Athènes est estimée à 17,5% environ pour 2001 (Office national hellénique de la statistique 2009, 47) et à 16% pour 2011 (ΕΛΣΤΑΤ – ΕΚΚΕ 2015). C’est là une contribution particulièrement importante au marché du logement, étant donné qu’ils sont installés dans le pays depuis peu et vu les difficultés auxquelles ils ont dû faire face, par exemple les emplois mal payés, le manque de permis de séjour ou l’absence de politique sociale centrale en matière de logement. Les migrants ayant part au marché du logement proviennent de 57 nationalités différentes, qui ne sont pas toutes également représentées dans ce phénomène. Loin devant les autres, ce sont les Albanais (qui de toute façon sont de loin les plus nombreux parmi les migrants) qui ont la plus grande part au marché immobilier, suivis par les Roumains, les Bulgares et les ressortissants de l’ancien Bloc de l’Est ; les migrants provenant de pays de l’Asie ou du Proche-Orient ont une participation moindre, tandis que les Africains n’ont qu’une participation minime (figure 1).
Figure 1 : Part des migrants au marché immobilier par nationalité (municipalité d’Athènes, 2000-2010, échantillon de 3089 migrants propriétaires)
Source: échantillon « aléatoire » à partir des archives du Bureau des hypothèques d’Athènes, traitement des données par l’auteur
Carte 1: Répartition horizontale des migrants propriétaires de leur logement (municipalité d’Athènes, 2000-2010, échantillon de 277 propriétés)
La répartition horizontale des migrants propriétaires de leur logement dans la municipalité d’Athènes révèle une géographie double (carte). D’un côté nous observons certaines concentrations plus élevées aux alentours, au nord et à l’ouest de la place Omonia, c’est-à-dire autour des places Vathis, Attikis et Agiou Panteleïmona et dans des quartiers comme Kypseli, Viktoria, Patisia et Agios Nikolaos. Il s’agit de quartiers qui se trouvent près de nœuds importants de transports publics (stations Larissis et Attikis) et au centre de la ville, et qui par ailleurs, depuis les années 90, offrent un parc immobilier important, vétuste et bon marché, et abandonné dans une large mesure par la population « autochtone » qui a cherché de meilleures conditions de vie dans des banlieues éloignées. (Arapoglou, Maloutas 2011). D’un autre côté, nous observons une dispersion importante des propriétaires migrants dans la population d’autres quartiers, sur toute l’étendue quasiment de la municipalité, c’est-à-dire dans des quartiers comme Gkyzi, Ampelokipi, Katechaki, Ellinorosi, Exarchia et Ilisia à l’est, Pangkrati, Neos Kosmos, Koukaki et Petralona au sud. Il s’agit en tout cas de quartiers présentant une mixité sociale, où « autochtones » et migrants semblent cohabiter sans clivage spatial strict dû à la nationalité. La mixité ethnique spatiale dans les quartiers d’Athènes est confirmée par la répartition verticale des propriétaires migrants (figure 2). Les migrants occupant un logement en propriété propre se retrouvent surtout entre le rez-de-chaussée et le deuxième étage, un pourcentage important d’entre eux habitent les troisième et quatrième étages, tandis que très peu d’entre eux habitent en sous-sol ou plus haut. Autrement dit, « autochtones » et migrants cohabitent non seulement dans les mêmes quartiers mais aussi dans les mêmes immeubles, en reproduisant bien sûr une forme typique de stratification verticale du sous-sol à l’attique, sans toutefois que les migrants soient spécialement cantonnés dans les étages inférieurs.
Figure 2: Répartition verticale des appartements propriétés de migrants
Source : échantillon aléatoire à partir des archives du Bureau des hypothèques d’Athènes, traitement des données par l’auteur
La géographie horizontale et verticale de l’accès des migrants à la propriété propre, comme nous l’avons présentée ici, renverse les conceptions stéréotypées sur leur retranchement spatial dans des ghettos ethniques, ainsi que les représentations racistes qui voient en eux des sujets a priori dangereux, délinquants et misérables. Sans ignorer les conditions de logement extrêmement difficiles que connaissent par ailleurs la grande majorité des migrants, leur accès à la propriété de leur logement est également un fait bien réel, qui élargit l’éventail de leurs « trajectoires de logement ». Qu’ils soient locataires ou propriétaires, les migrants participent au marché immobilier, y investissent et « prennent racine » dans des quartiers ou des immeubles qui avaient été dans une large mesure laissés à l’abandon. Autrement dit, les migrants, au cours des dernières années, (re)peuplent la ville d’Athènes, dans des zones « centrales » et « visibles », bien que les politiques officielles et les plans d’urbanisme s’entêtent à les ignorer et à les maintenir à la marge.
[1] Par « propriété propre », nous entendons le cas où une personne est propriétaire d’un logement et qu’elle l’occupe. Parmi les migrants propriétaires mentionnés dans le présent article, nous trouvons des migrants qui ont acheté un logement mais résident dans un autre logement qu’ils louent, ou qui ont acheté plus d’un logement, un qu’ils occupent eux-mêmes tandis qu’ils louent les autres à de tierces personnes, ou les concèdent à des parents, ou les vendent, voire possèdent des logements qui restent vacants.
[2] La recherche dans les archives du Bureau des hypothèques d’Athènes a été conduite au cours des années académiques 2010-2011 et 2013-2014, après autorisation spéciale du ministère de la Justice, de la Transparence et des Droits de l’homme, dans le cadre de la thèse de doctorat en cours de l’auteur intitulée : « Géographies de l’établissement des migrants dans l’espace urbain. Accès au logement et ségrégations spatio-sociales à Athènes et à Paris », qui a été subventionnée par la Fondation des Bourses d’études de l’État (ΙΚΥ).
Référence de la notice
Balampanidis, D. (2015) L’accès des migrants à la propriété (2000-2010): Formes principales de la ségrégation ethnique « horizontale » et « verticale » par le logement dans la municipalité d’Athènes, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/propriete-du-logement-immigrante/ , DOI: 10.17902/20971.55
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Baldwin Edwards M (2004) Στατιστικά δεδομένα για τους μετανάστες στην Ελλάδα: Αναλυτική μελέτη για τα διαθέσιμα στοιχεία και προτάσεις για τη συμμόρφωση με τα standards της Ευρωπαϊκής Ένωσης. Αθήνα. Available from: http://www.mmo.gr/pdf/general/IMEPO_Report_Final_Greek.pdf.
- Βαΐου Ν (2007) Διαπλεκόμενες καθημερινότητες και χωρο-κοινωνικές μεταβολές στην πόλη. Μετανάστριες και ντόπιες στις γειτονιές της Αθήνας. Αθήνα. Available from: http://iktinos2.arch.ntua.gr/genspace/pithagoras.pdf.
- ΕΛΣΤΑΤ – ΕΚΚΕ (2015) Πανόραμα Απογραφικών Δεδομένων 1991-2011. Available from: https://panorama.statistics.gr/.
- ΕΣΥΕ (2009) Απογραφή πληθυσμού – κατοικιών 18 Μαρτίου 2001. Πειραιάς. Available from: http://dlib.statistics.gr/Book/GRESYE_02_0101_00098 .pdf.
- Καβουνίδη Τ και Χατζάκη Λ (1999) Αλλοδαποί που υπέβαλαν αίτηση για κάρτα προσωρινής παραμονής. Υπηκοότητα, φύλο και χωροθέτηση. Αθήνα.
- Λαμπριανίδης Λ και Λυμπεράκη Α (2005) Αλβανοί μετανάστες στη Θεσσαλονίκη: Διαδρομές ευημερίας και παραδρομές δημόσιας εικόνας. Θεσσαλονίκη: Παρατηρητής.
- Πετρονώτη Μ (1998) Το πορτραίτο μιας διαπολιτισμικής σχέσης. Κρυσταλλώσεις, ρήγματα, ανασκευές. Αθήνα: Πλέθρον, ΕΚΚΕ.
- Ψημμένος Ι (1995) Μετανάστευση από τα Βαλκάνια. Κοινωνικός αποκλεισμός στην Αθήνα. 1η έκδ. Αθήνα: Παπαζήσης.
- Arapoglou V and Maloutas T (2011) Segregation, inequality and marginality in context: The case of Athens. The Greek Review of Social Research 136(C): 135–155.