« Mazi na ta fame ». Le mouvement de citoyens « Sans intermédiaires » en ville
2015 | Déc
Les marchés « sans intermédiaires », qui font depuis peu une apparition dynamique sur les places et les espaces libres des quartiers de la ville, constituent une autre forme de réseaux alimentaires alternatifs (Alternative Food Networks) et de nouvelles relations ville-campagne. Ces marchés informels mettent des paysans et de petits producteurs en contact direct avec les consommateurs de la ville, en court-circuitant les intermédiaires de toutes sortes loin du circuit des transactions commerciales des produits alimentaires de base. Ils se rangent parmi les nouveaux mouvements sociaux qui émergent dans notre pays suite à la crise économique, pour une économie solidaire et durable au bénéfice des producteurs et des consommateurs. La crise a mis encore plus en lumière les distorsions tout au long de la chaîne de distribution des produits agricoles, avec l’intrusion de revendeurs et d’intermédiaires qui font augmenter le prix final des aliments. Parallèlement, le consommateur ne connaît pas la provenance exacte des aliments qui arrivent sur sa table (où et comment ils ont été produits, quelles sont les méthodes de transformation, quel trajet ils ont suivi jusqu’au rayon du magasin), ce qui fait que souvent il se pose des questions sur leur qualité et sur leur valeur nutritive.
C’est pourquoi, aux antipodes des grandes industries agro-alimentaires et des réseaux du commerce de détail, les petits réseaux de commercialisation non seulement restaurent la relation de confiance entre producteur et consommateur, mais contribuent à renforcer les économies des lieux de production. Pour les consommateurs de la ville, le bénéfice ne consiste pas seulement à acheter des « aliments de qualité avec une identité » à des prix abordables, mais aussi à participer activement aux mouvements de citoyens, à renforcer la solidarité sociale en ville, à soutenir la petite agriculture familiale et les producteurs indépendants.
Le mouvement a commencé avec ce que l’on a appelé le « mouvement de la pomme de terre » (2012) dont les pionniers ont été le Groupe d’action bénévole du département de Piéria « Mon pays » (O Topos mou), qui exprimait une demande sociale pressante pour des produits alimentaires bon marché sans intermédiaires. La première étincelle avait été lancée ; par la suite, le mouvement « sans intermédiaires » s’est répandu rapidement dans de nombreuses villes grecques : il répondait aux besoins alimentaires des ménages urbains appauvris par la récession économique. Dans la région métropolitaine du Grand-Athènes, ces marchés alternatifs se déroulent sur des places, des préaux d’écoles, des parkings et autres lieux ouverts. Ils ont été lancés et renforcés par des initiatives de groupes de citoyens et des collectifs du quartier, mais, assez souvent, par les initiatives des autorités municipales désireuses de faire face directement aux problèmes alimentaires urgents de leurs citoyens.
Les marchés sans intermédiaires du « mouvement de résistance et de solidarité » de Galatsi « Perno abariza » (Expression apparentée au Jeu de barres), le réseau de solidarité de la 6e Communauté d’Athènes « To myrmigi » (La fourmi), le « bazar » du mouvement citoyen de solidarité et de culture de Psychiko-Philothéï « I ombreles » (Les parasols) et le mouvement citoyen sans intermédiaires de Halandri « Mazi na ta fame » (Croquons ensemble), et bien d’autres mouvements, dressent leurs étals tout au long de l’année, les dimanches prévus à cet effet. Comme le soulignent les membres du collectif de Galatsi :
« Nous explorons d’autres modes d’organisation de la distribution des produits alimentaires sans intermédiaires de toutes sortes. Nous décidons nous-mêmes des produits que nous consommons. Nous soutenons le petit et moyen producteur grec en lui donnant accès au consommateur. Nous couvrons nos besoins quotidiens en dépassant la logique du profit. À la dissolution du tissu social, nous répondons par l’esprit collectif, par la cohésion sociale, par un esprit de solidarité et de coopération » (http://www.xmesazontes.gr/member/announcement.aspx?aid=51). |
L’organisation et le fonctionnement de ces marchés reposent sur l’action bénévole de citoyens, tandis que la minutie et la préparation systématique de la part des participants constituent les facteurs clés de leur réussite. Cela se constate d’ailleurs dans les quantités en augmentation constante des produits distribués, puisque le mouvement sans intermédiaires gagne du terrain et des consommateurs. Un membre de l’Assemblée générale du mouvement citoyen sans intermédiaires de Halandri « Mazi na ta fame » souligne :
« La première distribution a commencé en décembre 2012 : on avait recueilli 300 commandes et on a distribué 11 tonnes de produits. Deux ans plus tard, les commandes atteignaient le chiffre de 1010, avec 37 tonnes de produits distribués, tandis que de 10 sortes de produits que nous avions au départ, nous sommes passés aujourd’hui à 90, avec entre autres, huile, fromages, pommes de terre, miel, légumineuses, et même vin et fruits secs ». |
La qualité des produits et le sérieux des producteurs sont les paramètres principaux du processus d’organisation, qui vise à garantir la santé des consommateurs et la qualité des services qui leur sont offerts, puisque des membres du mouvement effectuent régulièrement des contrôles aléatoires. De l’autre côté, les producteurs qui n’observent pas scrupuleusement le programme des rencontres sont exclus des distributions du réseau « sans intermédiaires ».Un autre membre du mouvement de Halandri explique :
« nous avons eu un cas où un producteur a annulé sa participation pour la deuxième fois la veille de la distribution, laissant le bec dans l’eau les consommateurs qui avaient fait des commandes spécifiques » |
Les cas de défaillance sont cependant rares, car les producteurs n’ont pas intérêt à galvauder la relation de confiance avec les consommateurs du moment que leur participation au commerce sans intermédiaires leur garantit d’une part de vendre leurs produits, qui plus est en grandes quantités, d’autre part, d’économiser la marge bénéficiaire de l’intermédiaire.
L’accès aux lieux où se tient le commerce ouvert est libre et habituellement il attire des clients bien au delà des limites du quartier. Le contact direct et les discussions avec les producteurs, la bonne qualité des produits combinés à des prix abordables, l’extraversion, la vitalité et l’interaction sociale, grâce aux manifestations parallèles qui ont lieu régulièrement (activités pour les enfants, concerts, conférences, lectures, cuisine collective, etc.) attirent des citoyens de tous les coins de la région, transformant ces marchés ouverts en lieux de retrouvailles sociales, de débats politiques et de fêtes populaires. L’un des bénévoles de l’action de Halandri souligne :
« il nous arrive des consommateurs de très loin, de Vyronas, de Kalamaki… de toutes les classes professionnelles ou sociales, des ingénieurs, des professeurs… des chômeurs ; très souvent il arrive que les deux époux travaillent. Mais surtout il s’agit de gens qui, il y a peu, constituaient la classe moyenne, en voie de prolétarisation ; cela ne signifie pas qu’on n’y retrouve pas des couches inférieures. De cette façon le mouvement est soutenu non seulement par les habitants de Halandri, mais aussi par les habitants d’autres régions qui y participent activement. Bien sûr, il y a beaucoup de gens qui viennent juste pour l’argent, pour trouver des produits bon marché… tu sais, quand le portemonnaie est vide, on ne s’intéresse pas tant ni à l’organisation participative ni au soutien de la production locale » |
Toutefois, bien que le mouvement sans intermédiaires soit devenu très populaire, tant du côté des producteurs (qui s’assurent de nouveaux marchés) que du côté des consommateurs (accès à des produits de qualité avec une origine identifiable et des prix abordables), cela reste de la sphère du commerce informel, puisque l’État ne l’intègre pas dans le cadre institutionnel approprié (loi 4264/2014 De l’exercice des activités commerciales hors magasins / organisation et fonctionnement des marchés populaires et conditions d’octroi des licences pour exercer le commerce ambulant).
À côté du commerce ouvert fonctionnant dans une école, une autre action, le « panier de la solidarité » s’adresse aux ménages qui doivent faire face à des problèmes de survie. Il s’agit d’un mouvement de solidarité additionnel dans lequel une partie des produits achetés par les consommateurs et une partie de la production offerte par les producteurs sont collectées dans des paniers pour les familles nécessiteuses de la municipalité. Le point de départ de ce mouvement a été la malnutrition de certains enfants dans des écoles de la région, qui a jeté à bas le préjugé stéréotypé qu’il n’y a pas de pauvreté dans les banlieues à hauts revenus d’Athènes. Comme le relèvent des membres de l’initiative de solidarité ouverte de Halandri, « Mazi na ta fame » :
« Le premier indicateur a été que des enfants se sont évanouis dans nos écoles. C’est l’instituteur qui peut le premier constater quel élève a un problème lié à la pauvreté à la maison. Un élève qui n’apporte pas d’en-cas à l’école fait face à un problème de pauvreté, un point c’est tout. Comme nous avons dans notre mouvement des instituteurs bénévoles, l’information a été immédiate : en réponse, il y a eu une mobilisation en masse et c’est ainsi que nous avons institué le panier. Aujourd’hui nous distribuons 70 paniers à autant de familles de la municipalité et la tendance va en s’accroissant ; nous faisons également notre possible pour repérer d’autres familles concernées, puisque la honte empêche beaucoup d’entre elles de venir vers nous. Notre objectif est que personne ne reste isolé face à la crise, de résister à la crise » |
Comme on le voit partout, les réseaux alimentaires alternatifs qui font leur apparition ces dernières années dans certains quartiers d’Athènes, reposent essentiellement sur des collectifs dans le cadre du développement d’un « mouvement de bénévolat et de solidarité », face à des phénomènes de désintégration et de ruptures sociales, en proposant une voie différente d’organisation populaire, de participation de masse et de résistance à la crise. Sur son site web, l’initiative de solidarité de Halandri « Mazi na ta fame » déclare :
« Non seulement nous n’avons pas « croqué tous ensemble » mais nous avons de plus en plus de difficulté à nous procurer le nécessaire. C’est l’un de nos objectifs principaux de pouvoir nous approvisionner en aliments bon marché mais aussi de qualité, tout en promouvant des formes participatives d’autogestion démocratique et de solidarité sur une base durable, en organisant des distributions à intervalles réguliers ». (http://mazinatafame.blogspot.gr/p/blog-page_328.html) |
Référence de la notice
Petrou, M. (2015) « Mazi na ta fame ». Le mouvement de citoyens « Sans intermédiaires » en ville, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/sans-intermediaires/ , DOI: 10.17902/20971.4
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Renting H, Schermer M and Rossi A (2012) Building Food Democracy : Exploring Civic Food Networks and Newly Emerging Forms of Food Citizenship. International Journal of Sociology of Agriculture and Food 19(3): 289–307.
Sources en ligne
Voluntary action team of the Pieria District: http://www.otoposmou.gr/
http://pernoampariza.wordpress.com/
http://mazinatafame.blogspot.gr/