Contester la crise : économie collaborative / sociale et solidarité ou charité ?
2015 | Déc
Je ne crois pas en la charité. Je crois en la solidarité.
La charité est verticale. Elle va de haut en bas.
La solidarité est horizontale. Elle respecte l’autre.
J’ai beaucoup à apprendre d’autres hommes.Eduardo Galeano
À l’occasion de la crise, les politiques d’austérité, d’« assainissement » des finances publiques et les réductions brutales dans les dépenses de solidarité sociale sont les outils principaux de l’action politique dans l’« agenda » des gouvernements des pays européens. Les politiques de rigueur, leur application et leur résultat en Grèce montrent que transférer la charge financière sous la forme d’une dette vers les plus faibles est un transfert de responsabilité de type stratégique, « forçant les autres (et non les responsables) à payer le prix de la politique financière publique » pratiquée ces dernières années (Peck 2012). Les reports de charge « en chaîne » subis surtout par les classes sociales les plus basses, les ouvriers et la classe moyenne, résultat des politiques d’austérité nationales et européennes, sont désormais visibles dans bien des villes européennes, comme à Athènes. Dans ce cadre, les politiques d’austérité urbaines, par le biais des coupes radicales dans les services et infrastructures urbaines, les politiques pour l’entreprise et le développement, et par les privatisations, ainsi que les taux élevés de chômage et le problème des sans-abri font d’Athènes un « terreau de revanchisme en matière de finances publiques » (Peck 2012).
Les dures répercussions des mesures ci-dessus sur les questions de reproduction sociale des groupes sociaux « sensibles » et précaires sont visibles sur une part grandissante de la population, chômeurs, sans-abri et personnes récemment marginalisées suite aux politiques d’austérité. L’effondrement de la prévoyance sociale, des infrastructures publiques et des systèmes nationaux de santé et de formation, ont hâté les mobilisations au sein de la société civile, qui concernent surtout des pratiques d’aide et de couverture des besoins immédiats, comme collecte et distribution de produits alimentaires, articles médicaux et pharmaceutiques et autres biens, soupes populaires, organisation de manifestations sociales pour recueillir de l’argent et échange de services et de biens sans argent. Même si souvent ces pratiques sont interprétées à la lumière de rhétoriques normatives dépolitisées sur la charité, comme moyen pour une approche humaniste universelle des « miséreux », j’aimerais ici tenter une approche critique de ces pratiques en les examinant à partir de leur base politique.
C’est pourquoi il est indispensable de différencier les concepts de « charité » et de « solidarité » pour bien distinguer les logiques qui se trouvent derrière d’une part les soupes populaires « seulement pour Grecs » qu’organise Chrysi Avgi et les distributions de produits alimentaires par des groupes de sociétés et des médias, et d’autre part, derrière les initiatives et structures de solidarité « par en bas ». Tandis que la charité dénote une « fourniture immatérielle de soin à distance » et une aide vers « un autre qui est lointain », la solidarité constitue une « relation qui conteste concrètement certaines formes d’oppression » (Featherstone 2012). La différenciation conceptuelle réside dans les modes par lesquels les participants s’impliquent dans ces pratiques. D’une part les pratiques de charité objectivent les bénéficiaires passifs de l’aide et de cette façon perpétuent des rapports de pouvoir inégaux et des formes d’oppression. D’autre part, la solidarité en tant que relation consiste en une expérience partagée qui sert de base à une collaboration active des participants. La collaboration de ce type à son tour est porteuse d’un potentiel d’émancipation sociale qui passe par la lutte politique, sans que ce processus soit linéaire.
Quant à l’organisation « par en bas » de la solidarité, on trouve également des différenciations entre initiatives et groupes actifs à Athènes, ainsi que dans toute la Grèce, qui concernent des groupes qui visent à satisfaire autant que possible les besoins quotidiens essentiels des groupes sociaux appauvris, ainsi que des groupes qui tentent de faire face à l’austérité par des moyens alternatifs. Dans la première catégorie, on trouve des initiatives locales, qui collectent et distribuent de la nourriture, des vêtements et des produits de première nécessité, ainsi que des pharmacies et dispensaires sociaux qui fournissent des soins de base aux chômeurs, aux personnes ayant perdu leur couverture sociale ou aux migrants. La seconde catégorie comprend des expériences dans les économies alternatives, comme le troc ou les banques du temps, transactions avec devises alternatives, marchés sans intermédiaires » et coopératives. Ces groupes d’économie sociale et solidaire, ainsi que les coopératives, utilisent des formes d’activités et d’organisation économiques, comme production et distribution de biens et de services, qui se développent, sont soutenues et contrôlées par les participants eux-mêmes. Par conséquent pour ce qui touche l’activité et l’organisation économiques de ce type, un élément décisif de différenciation de la production et de la distribution des biens et services par rapport au modèle capitaliste dominant est la priorité de l’intérêt collectif des personnes impliquées sur la recherche à tout prix de la plus-value et l’accumulation des profits. L’approche participative et l’acceptation d’une responsabilité collective pour la prise de décision à l’intérieur du groupe promeuvent un modèle horizontal d’organisation des rapports de travail (Wright 2010).
De ce fait, ces pratiques de solidarité se développent sur la base d’un modèle alternatif d’organisation d’une économie solidaire, tout en constituant des « ateliers de formation » pour les participants, en agissant comme des « relations transformationnelles » et des « forces génératrices » de relations et d’espaces politiques (Featherstone 2012). Les initiatives et les structures de solidarité qui surgissent à Athènes et en Grèce se trouvent encore au stade initial, et il leur reste à évoluer vers des organisations sociales fortes d’opposition « par le bas », aux politiques d’austérité néolibérales. Même si très souvent ces initiatives et structures se retrouvent confrontées à des obstacles concrets et à des oppositions internes, leur rôle à ce jour pour l’activation et la mobilisation des participants pour des actions collectives et des pratiques d’entre-aide constitue une opposition critique à la peur ambiante qui domine le discours public et aux tactiques de recherche d’un « bouc émissaire », à la xénophobie et aux pratiques de type fasciste envers des groupes sociaux précaires et marginalisés.
Référence de la notice
Arampatzi, A. (2015) Contester la crise : économie collaborative / sociale et solidarité ou charité ?, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/solidarite-ou-charite/ , DOI: 10.17902/20971.27
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Featherstone D (2012) Solidarity: Hidden histories and geographies of internationalism. 1st ed. London: Zed Books.
- Peck J (2012) Austerity urbanism. City, Routledge 16(6): 626–655. Available from: http://dx.doi.org/10.1080/13604813.2012.734071.
- Wright EO (2010) Envisioning real utopias. London: Verso London.