Une approche alternative du plan urbain d’Athènes de 1833
2019 | Juin
Cet article porte sur les caractéristiques sociales du plan urbain d’Athènes de 1833, dit « plan Kleanthis-Schaubert ». L’approche sociale propre à cette recherche porte sur deux aspects : les concepteurs du plan d’une part, et le contexte social plus largement considéré d’autre part. En ce qui concerne les concepteurs, nous contestons la vision communément véhiculée sur leurs travaux, ceux-ci se caractérisant soi-disant par des formes géométriques stéréotypées qui, une fois posées sur le papier, viennent justifier leurs choix de planification (interprétation circulaire). A l’inverse, nous considérons que le travail de terrain qui présida à la création de la ville dans sa présente situation s’est « imposé » à eux, à travers les messages que leur adressaient les éléments du bâti eux-mêmes, et les importantes dimensions du plan urbain qu’ils avaient à servir. En outre, leur expérience due tant à l’enseignement qu’ils avaient reçu à Berlin, qu’à leur fécond voyage à Rome, a certainement contribué au renforcement de la dimension sociale de leur proposition de plan. Pour ce qui est de la seconde partie relative au contexte social global, nous soutenons que l’ambivalence entre des concepts contradictoires tels que communauté et société, tradition et vie moderne, espace public et privé, est le véritable révélateur des raisons pour lesquelles ce plan rencontra des résistances, résistances qui menèrent par la suite à l’élaboration du plan alternatif de Leo von Klenze. L’atteinte aux intérêts des propriétaires de terres à urbaniser, souvent évoquée, ne joua pas le rôle prééminent qui lui est souvent attribué. Dans une ville où l’institution municipale ottomane dite « démogéronsie » était toujours en vigueur en 1833, et où la perception de l’organisation de la vie quotidienne était enracinée dans une très longue période de temps, le dépassement de ces contradictions n’avait rien d’automatique. C’est très probablement pour cette raison que le coup d’État du 3 septembre 1843 était sous-tendu, non seulement par des dimensions clairement politiques, mais par des dimensions sociales tout aussi importantes.
Introduction – Les sources écrites
Les plus anciennes approches du premier plan d’Athènes étaient de nature nettement romantique ou littéraire, ou avaient été écrites dans le cadre de chroniques de voyages – les exceptions étant rares (Σουρμελής 1862, Φιλαδελφεύς 1902, Μπίρης 1933, Καρούζου 1934, Johannes και Μπίρης 1939). Les premières références systématiques apparaissent dans la seconde moitié du 20ème siècle. Les textes en question émanent de P. Lavedan (1952), Ι. Τραυλός (1960), Κ. Μπίρης (1966), Αθήνα-Ευρωπαϊκή Υπόθεση (1985), T.Hall (1997), E.Bastea (2000), Αλ. Παπαγεωργίου-Βενετάς (1999, 2001), D.Karidis (2014), Υ. Tsiomis (2017). Pourtant, même au sein de cette catégorie d’approches, la majorité des analyses historiographiques se situe en lisière de l’histoire de l’architecture et de l’histoire urbaine – l’encyclopédisme y prédomine : les portraits et la chronologie dominent l’ensemble du champ de l’analyse, et par conséquent le modus operandi du plan fait défaut. Dans le même temps, concernant le plan en lui-même, qui fait l’objet de très sèches descriptions, on laisse entendre qu’il répond aux standards de planification de son époque, que l’on retrouve décrits de manière monotone d’une publication à l’autre comme des instruments de synthèse tout-puissants et allant de soi. Le plus impressionnant est sans doute la grande pauvreté de l’analyse sociale, et plus particulièrement l’étroitesse de vue à travers laquelle sont analysées les réactions à la mise en œuvre de ce plan.
La « géométrie » du plan et la réalité sociale
En dépit de divergences partielles, les sources que nous venons d’évoquer semblent majoritairement s’accorder en ce qu’elles mettent l’accent sur le caractère géométrique du plan urbain. La « géométrie » du plan se laisse généralement percevoir à travers deux figures facilement identifiables (Figure 1)– un triangle ni vraiment isocèle, ni vraiment rectangle, et une forme quasi-rectangulaire (Αθήνα, Ευρωπαϊκή Υπόθεση : 93, Παπαγεωργίου-Βενετάς 2001: 67, Tsiomis 2017: 158). Mais cette « géométrie » peut sans doute se lire sous un autre angle de vue, et révéler ainsi d’autres éléments entrant dans la composition de ce plan.
Figure 1: Le plan Kleanthis-Schaubert (1833) et ses représentations schématiques (source: schéma de l’auteur D.Karidis 2014, Fig. III. 2)
Considérons comme des axes, plutôt que des formes géométriques, les éléments structurants du plan. Deux axes se laissent discerner dans la ville d’Athènes telle qu’elle existe dans la période pré-révolutionnaire (en ce qui concerne la vie économique et les conventions sociales présidant à la gestion de l’espace), que Kleanthis et Schaubert parvinrent à esquisser avant de soumettre leur proposition. Ces axes correspondent aux importantes portes d’accès à la ville par la Morée, Éleusis et Thèbes, et par la plaine de Mésogée. A leur point d’intersection, ces axes voyaient se concentrer une part importante de la vie politique, sociale et économique d’Athènes à la fin de la domination ottomane – le quartier du bazar. Chacun de ces axes était identifié par deux points de repère, tous définis depuis l’antiquité et le moyen-âge.
Figure 2: Naissance de la rue Aiolou (source: Lithographie d’un artiste inconnu,1843, collection privée)
L’axe nord-sud (la rue Aiolou), relie l’Érechthéion à l’horloge d’Andronicos (la tour des Vents – Figure 2). L’axe est-ouest (la rue Ermou) relie l’église de Kapnikarea à l’église d’Aghion Asomaton. Le choix de l’axe nord-sud explique aussi l’orientation du plan en direction de l’Acropole (avec une divergence d’environ 15° vis-à-vis du nord). Cette divergence est restée inexpliquée dans les diverses analyses jusqu’ici publiées, ou a été considérée comme une conséquence d’autres corrections topographiques (Tsiomis 2017: 154). L’autre axe, est-ouest, a été conçu de façon à diverger légèrement de l’angle droit que pourrait former son point d’intersection avec l’axe N-S que nous venons d’évoquer. Cette divergence est également restée non expliquée (Kαρύδης 2017: 107). Cet acte de planification est à mettre en relation avec des choix de configuration de l’espace comparables autour des deux églises, fondées sur les conceptions du classicisme romantique en matière de planification, plutôt que sur une rigide symétrie baroque (Figure 3).
Figure 3: Les axes fondamentaux de planification dans le plan initial, 1833 (source: l’auteur)
Les analyses dont nous disposons considèrent que le rôle majeur de l’axe nord-sud a été assumé par la rue Athinas, et non pas par la rue Aiolou, comme nous l’avons dit. Ceci est sans doute dû au fait que le regard des chercheurs s’est « focalisé » sur la recherche de la ligne bissectrice de l’angle supérieur du triangle que nous avons précédemment évoqué. De plus, l’un des points de repère servant à marquer le tracé de la rue Athinas n’était autre que les Propylées – choix ô combien malheureux [1].
Une seconde lecture attentive de la composition géométrique voit le regard se porter sur la distance qui apparaît entre la rue Aiolou et la rue Athinas : cette distance n’est autre que la longueur de la Bibliothèque d’Hadrien, bâtiment antique qui, à l’instar de l’horloge d’Andronicos, avait été abondamment mentionné dans les anciens récits de voyage [2]. Il n’y a pas de hasard dans le fait que la surface de la bibliothèque d’Hadrien corresponde à la surface de la grande majorité des îlots urbains figurant dans le premier plan d’Athènes. Étant donné que dans le plan d’une ville, la dimension des îlots urbains est aussi importante que celle des gestes de conception structurant le tissu urbain, il est permis de mieux saisir l’importance de ce constat. Autre remarque : la position du second axe parallèle à la rue Athinas en direction de l’ouest et qui ne fut finalement pas ouvert, à égale distance de cette rue comme de la rue Aiolou, explique la dimension retenue dans l’élaboration du rectangle correspondant au plan du palais royal ! [3]
Reste à interpréter le choix des concepteurs du plan concernant le passage de l’axe de la rue Ermou à travers l’église de Kapnikarea. Nous ne pouvons considérer que ce choix procède de « causes mystérieuses » (Tsiomis 2017: 154) [4]. Il convient ici d’orienter notre attention vers le voyage effectué par Kleanthis et Schaubert dès la fin de leurs études à la Baukademie [5]. Pour ces deux architectes, Rome fut un livre ouvert de l’histoire de la Ville, un précieux stimulant pour la découverte de l’architecture urbaine, et un intermédiaire déterminant entre la formation que leur avait apporté Karl Friedrich Schinkel et leur activité professionnelle ultérieure. De fait, Rome était alors la « matrice » d’interventions urbanistiques emblématiques ayant été réalisées au cours du règne du Pape Sixte V au cours du 16ème siècle (Gutkind 1969: 166). De nouveaux axes de circulation et des obélisques avaient été insérés de façon dynamique dans l’espace bâti et orientaient efficacement le visiteur en direction et autour des divers bâtiments et monuments, au moyen d’une « succession clairement agencée de ressentis architecturaux voulus » et non pas « au moyen d’une série de panoramas aveugles de maisons ou d’églises éparses, et de vagues paysages » (Bacon 1974: 136). La place de Santa Maria Maggiore surplombant la Strada Felicia, la désacralisation du plan baroque (Rasmussen 1969: 50), ne doit pas nous échapper. Elle pourrait être considérée comme l’expression archétypale présidant au choix ultérieur de positionner la place Kapnikarea dans l’axe de la rue Ermou.
Mais Rome comportait aussi un second défi en matière de lecture de l’espace urbain : le Trivium de la Piazza del Popolo. Au moment du voyage à Rome (1828), les interventions de Guiseppe Valadier venaient juste d’être achevées (Bacon 1974: 155, 157). Ces interventions comprenaient des agencements semi-circulaires à droite et à gauche de l’obélisque se trouvant au centre de la place, la connexion de celle-ci avec les jardins du Pincio à l’est, et un mouvement vers l’ouest en direction du Tibre. Voici donc un second archétype mobilisé quelques années plus tard par les mêmes architectes, pour structurer le premier plan d’Athènes : le Trivium « athénien », avec le palais royal à son sommet et les radiales en direction du Stade, de l’Acropole et du Pirée [6]. En restant fidèle à notre raisonnement, il semblerait que la recherche (facile) de modèles à Karlsruhe (Tsiomis 2017: 159) Versailles ou Saint-Pétersbourg fut sans doute infructueuse (Παγεωργίου-Βενετάς 1999: 266-267).
Ré-examen du contexte social et politique du premier plan
L’empereur François-Joseph, à l’occasion des interventions urbanistiques à Vienne et Budapest du milieu du 19ème siècle, avait défini des objectifs à ce sujet : Erweiterung, Regulierung, Verschönerung (Expansion, Ordonnancement, Embellissement). Le plan d’Athènes de 1833 était porteur de ces mêmes intentions et, de ce point de vue, les analyses existantes de ce plan traitent bien de cette dimension de la planification. Certains champs d’analyse ont cependant été soustraits à l’attention générale, qui, enfermée dans la « magie de la géométrie », a négligé la « magie de l’interprétation ». Les commentaires qui suivent tentent de dépasser les malentendus qui précèdent. Le début procède de la fin, c’est-à-dire du rejet du plan – peu de temps après son approbation – et l’introduction du plan de Leo von Klenze, lui succédant.
Dans la grande majorité des analyses existantes, les causes de l’abandon du projet sont essentiellement liées à des conflits d’intérêts fonciers. Les rares allusions à la dimension sociale et politique du plan sont éclipsées par ce que l’on considère comme « la tradition culturelle de la relation de la société grecque contemporaine avec la propriété foncière » (Μονιούδη-Γαβαλά 2017: 17).
Le processus de mise en œuvre du plan initial était nécessairement lié au dépassement de deux contradictions – d’un côté entre la « communauté » et la « société », qui rendent le sens des concepts de F.Tönnies Gemeinschaft et Gesellschaft (Bottomore 1972: 39), et de l’autre entre la « tradition » et la « modernité ». Ces deux contradictions s’enchâssent dans la transition entre la période pré-capitaliste et la période « contemporaine » (Karidis 2014: 245). ). En 1833, le système de gouvernement local dirigé par les démogérontes, qui était en vigueur au temps de la domination turque, subsistait toujours (Γέροντας 1964: 13). Le basculement de l’unité de base que constituait la petite communauté paroissiale, vers le concept d’ « individu » se pliant aux règles d’organisation sociales promues par un État moderne, ne pouvait se produire de façon « automatique ». L’abandon d’anciens comportements sociaux et mentaux, façonnés au cours d’une longue période de temps, était également synonyme de destruction d’un type de structuration sociale de nature organique (Figure 4). Même au moyen des plus stricts décrets d’un droit nouveau, il était chimérique d’imaginer qu’il fût possible d’accomplir en une brève période de temps la transition entre les quartiers médiévaux et « l’unité dans la diversité » qu’ils incarnaient, au cadre de la ville porteuse des valeurs du 19ème siècle, dont le modèle avait été arrêté sur la base d’une maniera grande théâtrale. Dans le creuset qu’il était alors question de créer, l’articulation de l’espace procédait d’un nouveau vocabulaire architectural et urbanistique.
Figure 4: l’Athènes moderne (source: Lithographie d’un artiste inconnu, vers 1840, collection privée)
Pour mettre en œuvre les nouvelles stratégies de production de l’espace urbain, la rupture avec le passé était indispensable. La continuité des façades des bâtiments le long des rues et les nouvelles empreintes spatiales d’un certain nombre de fonctions (par ex. le commerce et la production, avec le passage du complexe « bazar » à la rue commerçante « pure ») ainsi que l’introduction de nouvelles avenues, et le caractère proprement dramatique de la perspective et des vastes panoramas urbains, allaient de pair avec une nouvelle perception du fonctionnement et de l’esthétique de la ville – élément de modernité incontestable (Figure 5) (Karidis 2014: 244).
Figure 5: Mercato d’ Atene (source: G.Ferrario, Storia del Governo…di tutti Popoli antichi e Moderni, Firenze, M.DCCC.XXVIII)
La rupture avec le passé était donc nécessaire. Et il est certain que les concepteurs du premier plan d’Athènes ne disposaient pas d’une quelconque « baguette magique » leur permettant de mettre en œuvre leur projet. Au cours des premières années de vie de la capitale de l’État grec, il était impossible aux membres d’une famille vivant dans une maison « traditionnelle » d’accepter les nouvelles et strictes limitations entre les sphères publique et privée qui se mettaient alors en place (pourquoi?), de réaliser que l’espace situé face à leur habitation ne serait plus géré (pourquoi?) conformément à leurs habitudes, mais en fonction des décisions prises (pourquoi?) par des équipes d’acteurs publics formés à cet effet (dont ils ignoraient l’existence). G. Finlay faisait pertinemment remarquer que les habitants d’Athènes eux-mêmes avaient été ignorés au cours du processus du choix et de la mise en œuvre du plan (Finlay 1836: 95-96). Mais d’un autre côté, il ne fait aucun doute que la spéculation foncière en bordure de la nouvelle capitale était un phénomène courant. Il en allait de même pour les conflits entre les propriétaires fonciers, qui considéraient comme une atteinte à leurs intérêts la mise en œuvre du nouveau plan, et l’action d’un gouvernement incapable de leur fournir des indemnisations du fait de la très forte augmentation des prix du foncier (Morot 1873: 43-44).
Figure 6: L’insurrection du 3 septembre 1843 (source: Lithographie d’un artiste inconnu, collection privée)
Compte tenu de l’analyse qui précède, il serait possible d’affirmer que le mouvement révolutionnaire du 3 décembre 1843 qui, en règle générale, est appréhendé en des termes politiques, doit également être perçu comme une réaction sociale et psychologique de la petite société athénienne à la décennie de pressions à laquelle elle avait dû faire face. Le décret officiel ordonnant la mise en œuvre du premier plan d’Athènes faisait très clairement partie de ces pressions (Figure 6).
Appendice – La contribution de K. Fr. Schinkel au plan
Le plan de K. Fr. Schinkel concernant le palais royal sur l’Acropole s’est avéré être une proposition provocatrice, au point que, peu-à-peu, toute évocation des vertus de ce plan s’est trouvée éclipsée par des débats contradictoires au sujet des propositions de planification (Kühn 1979: 511). Une lecture attentive des écrits de l’architecte de la cour de Prusse confirme que ce projet dans son ensemble n’avait en aucun cas valeur de proposition prétendant à une quelconque mise en œuvre – il s’agissait d’une suggestion prospective (de même que sa proposition pour le palais royal d’Orianda en Crimée, 1838), conçue dans le cadre d’un échange d’idées avec le prince Maximilien de Bavière portant sur l’idéal de l’expression architecturale, et plus particulièrement de la grandeur de l’architecture grecque (Bergdoll 1994: 217).
Pour cette même raison, l’opinion superficielle selon laquelle ce plan atteste de l’impossibilité pour Schinkel de participer au premier plan d’Athènes (avec comme argument sous-jacent que dans ce plan, le palais royal était situé dans la partie basse de la ville), est largement avancée.
Au contraire, la participation du professeur de Kleanthis et Schaubert à l’élaboration du plan général d’Athènes, est étayée par des éléments solides [7]. Et ces éléments ne reposent pas sur de supposées recommandations adressées à Schaubert lors de sa visite à Schinkel, sous la forme d’un premier jet du plan d’Athènes (« corrigé », dit-on, par Schinkel), mais, très probablement, sur trois propositions-suggestions majeures, émises par Schinkel à l’intention de Kleanthis et Schaubert dès les premiers stades de l’élaboration du plan.
La première concerne le positionnement « en contrepoint » du palais royal vis-à-vis de l’Acropole : le dialogue entre le siège du souverain et le caractère public d’un symbole de civilisation avait déjà été instauré à Lustgarten (Berlin), quelques années plus tôt, avec la construction de l’Altes Museum face au palais royal (Bergdoll 1994: 73-86) [8]. Dans le choix de cet emplacement, Schinkel prit directement part. A Athènes, du fait de l’alternance permanente des types de bâtiment, il est très probable qu’il ait été proposé d’introduire un dialogue équivalent.
La seconde proposition porte sur le complexe commercial en forme de ‘Π’, situé, dans le plan d’Athènes, le long de la rue Athinas. Le modèle pourrait en être le Kaufhaus dont Schinkel avait proposé la construction à Berlin (Παπαγεωργίου-Βενετάς 2001: 75-76, Tsiomis 2017: 164). Cette proposition avait été émise en 1827, à l’époque où Kleanthis et Schaubert étaient élèves de la Bauakademie. Cette proposition, bien qu’elle ne fut pas suggérée directement par Schinkel, était certainement connue des deux autres, puisqu’une partie de l’enseignement général de cette faculté de l’Académie de Berlin était constituée de la présentation de l’œuvre architecturale de Schinkel et des autres enseignants.
La troisième proposition concerne le trivium formé par les radiales et autres rues partant du palais [9], que nous avons déjà évoqué.
Comme on peut le constater, la première et la dernière de ces propositions-suggestions, constituent quasiment l’ADN du premier plan d’Athènes ! [10]
Même si ces trois propositions-suggestions de Schinkel, éventuellement émises, ne peuvent jusqu’à présent être étayées par des documents écrits, elles ne perdent pas pour autant leur valeur en tant qu’hypothèses de travail reposant sur des fondements solides, d’un autre type.
[1] Ce complexe urbain présentait (naturellement) un aspect purement frontal, « regardant » la partie ouest de l’Acropole sans égards pour la vue qu’il offrait depuis le nord. Le plan de Leo von Kenze de 1834, portant sur le flanc nord de l’Acropole, en fournit une preuve approximative.
[2] D’ordinaire, la façade ouest de la bibliothèque était représentée avec les Propylées et les magasins annexes – la plus célèbre de ces représentations étant celle de Le Roy (Les ruines des plus beaux monuments de la Grèce, 1774).
[3] Les dimensions du plan de la bibliothèque d’Adrien sont d’environ 76×115 m. Ce plan est indicatif, tout comme ceux contenus dans le Architektonisches Lehrbuch, de Fr. Weinbrenner (Tübingen, 1810-1819), manuel d’architecture d’évidence connu des étudiants de la Bauakademie.
[4] Une des sources fait exception à la règle, bien que de façon peu claire. K. Biris écrit : « Ils détournent (?) la rue Ermou de l’axe perpendiculaire à la rue Athinas afin de sauvegarder (?) l’église de Kapnikarea… » – les points d’interrogation sont de nous (Μπίρης 1966: 29-30). Dans d’autres références bibliographiques, il est probable que le silence assourdissant entourant cette question sous-entende que ce choix allait de soi !
[5] Ce voyage incluait la visite, indispensable à cette époque, de Rome. Les sources disponibles rendent compte de cette visite comme « sans intérêt », et ce de manière lapidaire, ou bien se limitent à la rencontre (effectivement très importante) de Kleanthis et Schaubert avec Karl Wilhelm Freiherr von Heideck, à Rome (Bastea 2000: 73, Παπαγεωργίου-Βενετάς 1999: 33). Cette rencontre fut équivalente à celle qu’avait faite K. Fr. Schinkel, environ deux décennies plus tôt, et toujours à Rome, avec W. Humboldt. C’est par le biais de ce dernier que Schinkel avait pu s’introduire dans la cour de Prusse.
[6] A moins qu’un tiers ait porté cette solution du Trivium à la connaissance des deux architectes (v. suite du texte).
[7] Karidis, https://www.blod.gr/lectures/to-allo-shedio-tis-athinas-tou-1833
[8] L’immense passage aux colonnes ioniques face au Neues Museum et les lieux centraux du bâtiment ouverts sur l’extérieur symbolisaient le caractère social de la culture, et non pas un « conventionnel » écrin muséal pour œuvres d’art (comme la glyptothèque de Munich par Leo von Klenze réalisée en 1830, ou encore le British Museum réalisé par Robert Smirke en 1827). A Berlin, l’apparence impénétrable et sévère du palais relevait du contrepoint parfait. A Athènes, que Schinkel ne visita jamais, le symbole de la civilisation et de la démocratie existait déjà. Pour Schinkel quoi de plus logique – il ne restait à ajouter que le palais royal face à l’Acropole.
[9] Le trivium a fait l’objet d’un commentaire dans le paragraphe précédent.
[10] Peut-être cette remarque explique-t-elle la « perspicacité » de Leo von Klenze, lorsqu’il fut appelé à remplacer le plan initial par une nouvelle mouture. En effet, le déplacement du palais royal fut du point de vue du symbolisme l’intervention et l’amendement le plus fondamental qu’il ait apporté au plan de son concurrent !
Référence de la notice
Karidis, D. (2019) Une approche alternative du plan urbain d’Athènes de 1833, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/une-approche-alternative-du-plan-urbain-dathenes-de-1833/ , DOI: 10.17902/20971.89
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
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- Καρύδης Δ (2018) Το «άλλο» σχέδιο της Αθήνας του 1833. Αθήνα. Available from: https://www.blod.gr/lectures/to-allo-shedio-tis-athinas-tou-1833.
- Μονιούδη – Γαβαλά Δ (2017) Σχεδιασμός και έγγειος ιδιοκτησία στην Αθήνα, 1833-1922. Αθήνα: Παρασκήνιο.
- Μπίρης Κ (1966) Aι Αθήναι από του 19ου εις τον 20ον αιώνα. Αθήνα: Έκδοσις του Καθιδρύματος Πολεοδομίας και Ιστορίας των Αθηνών.
- Παπαγεωργίου – Βενετάς Α (1999) Εδουάρδος Σάουμπερτ (1804-1860). Σιετή Τ (επιμ.), Αθήνα: Οδυσσέας.
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