Adaptations à la crise économique : redistribution de la vulnérabilité et apparition de nouveaux risques à long terme
Chalkias Christos|Delladetsimas Pavlos – Marinos|Sapountzaki Kalliopi
Politique, Structure Sociale
2015 | Déc
Les ajustements gouvernementaux à la crise et leurs retombées sociales
La crise de la dette souveraine et la récession à long terme dans le pays ont induit des changements sociaux, économiques, démographiques et environnementaux qui accroissent la vulnérabilité humaine et sociale face aux risques naturels et environnementaux, mais aussi face à de nouveaux risques sociaux ou face à des risques que l’on avait oubliés et qui font leur réapparition (comme la pauvreté active, la malnutrition, les SDF). De plus la vulnérabilité humaine et sociale s’aggrave en raison de l’augmentation de la vulnérabilité institutionnelle, c’est-à-dire de la capacité en chute libre des institutions de l’État providence à répondre aux crises et aux besoins pressants qui surgissent (Sapountzaki & Chalkias 2014).
Comment cela a-t-il commencé ? Dès le début de la crise de la dette souveraine en 2010, la résilience des gouvernements grecs à la crise s’est manifestée par le souci d’éviter de manquer aux obligations financières de l’État dans le cadre d’une vision purement financière et macro-économique. Toutefois l’ajustement en question n’a été possible que par des coupes sur les salaires et les retraites, par une augmentation des impôts directs et indirects, par des licenciements, par la diminution des prestations publiques de l’État providence et autres politiques d’assainissement des finances publiques. Il s’agit de politiques et de mesures d’austérité qui –comme mentionné précédemment– ont fait apparaître de nouveaux risques sociaux à long terme (ou ont fait réapparaître d’anciens risques), une part importante de la société grecque, notamment les couches sociales fragiles en accroissement, se trouvant ainsi directement exposée. De nombreux foyers d’Athènes ont été surpris par leur exposition brusque et imprévisible aux dangers du chômage, de la pauvreté, de la pauvreté active, de la malnutrition, de la dépression, de la morbidité, de la mortalité prématurée, de l’expulsion, de l’émigration forcée. Il s’agit en d’autres termes d’une « mutation » de la vulnérabilité de l’État et de la vulnérabilité macro-économiques en une vulnérabilité humaine et sociale, et de sa répercussion sur les couches sociales qui dépendent directement de l’assistance de l’État.
Parmi les dangers à long terme qui ont fait leur apparition avec la crise, les plus graves concernent la santé. La littérature sur le sujet offre déjà des indications fortes en ce qui concerne le lien entre niveau de revenu et indices de santé, par exemple morbidité, mortalité, espérance de vie et accès aux services de soin (photo 1). Le chômage, le travail partiel, l’insécurité de l’emploi et la perte de logement conduisent des couches de plus en plus larges vers l’exclusion sociale et provoquent des troubles psychologiques. Les chômeurs et les membres de leurs familles sont exposés à un plus grand risque de mort prématurée, de maladies chroniques et d’invalidité. À long terme, le chômage augmente le risque de suicide et est également lié à une augmentation de la consommation d’alcool, avec des conséquences à long terme évidentes sur la santé (Μαλλιαρού και Σαράφης 2012). Des articles parus dans la revue médicale The Lancet (Economou et al. 2011) confirment l’augmentation des suicides à Athènes et l’augmentation des cas de maladies infectieuses (photo 2).
Photographie 1 : Les retraités perdent l’accès aux services et aux produits de soin
Photographie 2 : L’austérité tue
La vulnérabilité institutionnelle accrue du système de soins (de nouveau en raison de la crise) renforce encore davantage les risques de santé. Dans des conditions de récession économique, les centres publics de soins souffrent de problèmes de financement en raison des coupes dans les dépenses publiques qui leur étaient consacrées. Le déficit public et le chômage compriment les budgets de couverture de santé et provoquent des problèmes de liquidité pour les hôpitaux et centres de soins privés aussi. À l’heure où la demande de services médicaux et surtout de services publics est en augmentation (à cause de la perte de revenu et de l’augmentation des cas de maladie), le système de soins lui-même souffre d’une vulnérabilité qui va s’aggravant (Μαλλιαρού και Σαράφης 2012).
Adaptations des ménages et des groupes sociaux : Qui souffre de vulnérabilité ou est exposé à de nouvelles menaces ?
De leur côté, les groupes vulnérables, les institutions locales et les organisations sociales réagissent souvent par des ajustements innovants pour faire face aux risques de la vie de tous les jours et à leur vulnérabilité qui s’accroît (Sapountzaki 2012). Voici quelques exemples d’adaptabilité personnelle ou sociale qui peuvent être avantageux aussi pour l’intérêt public courant et futur : le recours des habitants d’Athènes aux transports publics pour économiser les frais d’essence, la réduction des déchets ménagers, les économies d’énergie à la maison pour éviter des factures d’électricité trop importantes (graphique 1), la création de structure sociales pour combattre la pauvreté et l’inflation (par exemple les mouvements pour éviter les intermédiaires, les magasins, pharmacies et cabinets médicaux sociaux, les potagers municipaux (photo 3), les soupes populaires (photo 4), etc.). Ces structures ont permis de déplacer la vulnérabilité vers des personnes moins exposées. Par exemple, les épiceries sociales en offrant gratuitement des biens de première nécessité à ceux qui en ont besoin, attirent en même temps une partie de la clientèle des supermarchés en vendant à tout le monde à des prix identiques ou inférieurs.
Graphique 1 : Consommation d’électricité dans le département de l’Attique (1993 – 2011)
Photographie 3 : Affiche du Potager municipal
Photographie 4 : Soupe populaire de la municipalité d’Athènes
Il existe également toutefois de nombreux exemples d’ajustements individuels et sociaux qui se révèlent préjudiciables à long terme pour toutes les couches sociales, pour l’environnement, pour l’intérêt public en général. Parmi les exemples les plus caractéristiques, on trouve l’utilisation du bois pour le chauffage, l’utilisation de logements bon marché mais insalubres, la consommation de snacks et de produits alimentaires bon marché, mais présentant une qualité ou une sécurité douteuses, les coupures dans les dépenses de maintenance dans les secteurs de la transformation, des transports, du bâtiment, etc., le relâchement du cadre réglementaire en matière de développement du territoire et de protection de l’environnement pour attirer des investisseurs, etc. Ces pratiques ont déjà abouti ou vont aboutir à l’avenir à de nouvelles menaces ou à de nouvelles formes d’exposition à des risques qui ressurgissent : pollution atmosphérique (photo 5), catastrophes technologiques, incendies urbains, risque de santé et morbidité… Les ajustements des individus et des groupes risquent même d’accroître la vulnérabilité institutionnelle. Un exemple caractéristique en est la diminution du nombre des pompiers volontaires depuis que beaucoup de gens tournent le dos au bénévolat pour trouver un second emploi à temps partiel.
Photographie 5 : Le smog à Athènes dû au retour du chauffage au bois et à l’utilisation de combustibles polluants, janvier 2014
Les ajustements aux risques de la crise sont le fait de tous ceux qui ont accès aux ressources (non seulement financières) et peuvent développer les facteurs qui renforcent la résilience (flexibilité, complémentarité, rétroaction, efficacité, innovation, réseautage, autogestion, capacité d’apprentissage, expérience-connaissance-mémoire, interactivité à différentes échelles de temps et d’espace).
Par exemple :
- Individus et ménages déménageant pour trouver un loyer meilleur marché, changeant la structure du ménage, modifiant le temps nécessaire au remboursement de leur emprunt immobilier, changeant leur régime alimentaire, leur mobilité et leur consommation.
- Groupes sociaux et communautés construisant des économies sociales (réseaux d’échange, approvisionnement sans intermédiaires, etc.) et autres structures de solidarité pour boycotter les produits trop chers sur les marchés.
- Commerce de gros et de détail et activités de transformation se tournant vers des matières premières moins chères et promouvant des produits et des services de moindre qualité.
- Collectivités locales collaborant avec des ONG pour créer des structures combattant le chômage, la pauvreté, les problèmes des SDF, dans un effort pour restaurer leur image et retrouver leur prestige politique.
Certains de ces ajustements toutefois, que ce soit des réactions conscientes ou spontanées à la crise, impliquent une exposition latente aux risques. En ce sens, ils sont responsables de l’apparition de nouvelles menaces et font peser injustement ce supplément de vulnérabilité sur des groupes déjà fragiles. Il est encore trop tôt pour prévoir les conséquences de ce processus d’autorégulation de la vulnérabilité face à la crise à Athènes par des sujets sociaux multiples (résultant d’adaptations à différentes échelles de l’espace).Dans le discours officiel du gouvernement, la priorité continue d’être la viabilité des finances publiques et la santé macro-économique du pays dans le cadre de l’Eurozone. Toutefois ce sont les ajustements de la société aux niveaux social, économique et politique qui indiqueront si ces priorités sont adoptées par la société grecque.
Photographie 6 : Affiche contre l’ajustement d’une holding et autres formes d’ajustement « inoffensive »
Référence de la notice
Chalkias, C., Delladetsimas, P. M., Sapountzaki, K. (2015) Adaptations à la crise économique : redistribution de la vulnérabilité et apparition de nouveaux risques à long terme, in Maloutas Th., Spyrellis S. (éds), Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr/article/vulnerabilite-naturelle-et-socialle/ , DOI: 10.17902/20971.39
Référence de l’Atlas
Maloutas Th., Spyrellis S. (éd.) (2015) Atlas Social d’Athènes. Recueil électronique de textes et de matériel d’accompagnement. URL: https://www.athenssocialatlas.gr/fr , DOI: 10.17902/20971.9
Références
- Μαλλιαρού Μ και Σαράφης Π (2012) Οικονομική Κρίση. Τρόπος Επίδρασης στην Υγεία των Πολιτών και στα Συστήματα Υγείας. Το Βήμα του Ασκληπιού. Ηλεκτρονικό Περιοδικό του Τμήματος Νοσηλευτικής Α΄ 11(1): 202–212. Available from: http://www.vima-asklipiou.gr/volumes/2012/VOLUME 02_12/VA_REV_5_11_02_12.pdf.
- Economou M, Madianos M, Theleritis C, et al. (2011) Increased suicidality amid economic crisis in Greece. The Lancet 378(9801): 1459–1460.
- Sapountzaki K (2012) Vulnerability management by means of resilience. Natural Hazards, Springer 60(3): 1267–1285.
- Sapountzaki K and Chalkias C (2014) Urban geographies of vulnerability and resilience in the economic crisis era–the case of Athens. AZ Journal, special issue ‘Cities at risk’ 11(1): 59–75. Available from: http://www.journalagent.com/itujfa/pdfs/ITUJFA-19480-DOSSIER_ARTICLES-SAPOUNTZAKI.pdf.